
L’agence MANUELLE GAUTRAND ARCHITECTURE a été retenue pour le projet du bâtiment C42 de Citroën qui a été inauguré en 2007 (voir le post consacré au passé, présent et futur de ce bâtiment situé au 42 des Champs Élysées ici : lignesauto.fr/?p=23685) Nous avons profité de l’interview avec Manuelle Gautrand pour évoquer les quelques passerelles qui existent entre les univers de l’architecture et du design automobile.

* Manuelle Gautrand a cofondé l’agence d’architecture MANUELLE GAUTRAND ARCHITECTURE en 1991 (dont elle est l’architecte principale) avec Marc Blaising, son associé, Directeur Général de l’agence. L’équipe compte plus de 20 architectes. Visitez le site officiel pour découvrir ses projets et réalisations : http://manuelle-gautrand.com/
Quelles sont donc ces passerelles entre l’univers du design automobile et de l’architecture ?
Manuelle Gautrand : « Il y a beaucoup de passerelles entre l’architecture et un certain nombre d’industries, comme l’aéronautique ou l’automobile. On y retrouve cette capacité de dessiner, de voir dans l’espace les objets qui nous entourent. C’est valable pour les grands bâtiments autant que pour les voitures. Il existe une forme d’art pleine d’ingénierie, mais aussi pleine de sensibilité. »

Et vous, vous n’avez jamais été tentée de dessiner des voitures comme Zaha Hadid (1950-2016) par exemple ?
« Non, ça ne m’a pas effleurée. Mais quand j’ai été sélectionnée au concours pour le C42, je me suis beaucoup plongée dans le design automobile, et bien sûr celui de Citroën. Je reconnais que le design dans l’industrie a un côté bluffant par rapport à l’architecture, parce qu’on a l’impression que c’est plus parfait !»

« Il y a des développements dans les domaines des matériaux ou de fonctionnalités qui font appel à des recherches intensives. J’ai été fascinée lorsque j’ai travaillé avec eux, y compris au département design, parce que j’ai découvert un autre univers. C’était très enrichissant, y compris pour moi afin de dessiner le projet C42. »

Les moyens sont-ils comparables entre ces deux univers ?
« Non, j’ai découvert avec l’industrie automobile un univers qui a plus de moyens que celui de l’architecture. Je parle notamment de moyens financiers bien sûr. A la conception, il y a des équipes très importantes qui effectuent des recherches pointues dans des domaines aussi variés que les nouveaux matériaux, la technologie et, sur le plan sociétal, ils font des recherches poussées sur la société et la vie de demain… »

Pour avoir un point de repère, combien étiez-vous à l’agence sur le projet C42 ?
« Nous étions cinq à six personnes dans les phases de développement. Proportionnellement on a beaucoup moins de moyens, mais ce n’est pas forcément un inconvénient car on apprend à travailler dans une grande concision. »
Ce qui diffère entre le travail de l’architecte et celui du designer automobile, c’est que le produit rendu en architecture est statique, vivant toujours dans le même contexte, alors que celui de l’automobile est dynamique…
« C’est la grande différence car effectivement, on n’a pas cette mobilité. Mais je le prends pour un avantage. L’architecture est ancrée dans le sol, et j’aime bien cette notion d’enracinement. »

Le designer dessine un objet dynamique, vous concevez des bâtiments qui sont comme des arbres, implantés (presque) pour la vie !
« J’aime beaucoup votre image, ce parallèle avec les arbres. Oui, nos projets sont enracinés et dégagent ce côté de protection. Même si l’environnement d’un bâtiment peut évoluer, le projet a quand même une certaine pérennité. Cet ancrage est quelque chose qui me plait beaucoup dans l’architecture. »

Une autre passerelle entre les deux univers concerne les matériaux recyclés…
« Oui, absolument. C’est dans ce domaine que l’on réalise que les moyens dans l’automobile sont extraordinaires. Ils peuvent effectuer des recherches très pointues sur les matériaux de demain. Il y a aussi plus de moyens mis en place pour de vrais développements industriels de ces matériaux, et je trouve que sur cet aspect, on est en retard en architecture. »

Une agence comme la vôtre sous-traite ce type de travail ?
« Nous investissons à l’agence dans ce domaine. Et on conçoit des projets à partir de matériaux recyclés. Nous ne sommes pas seuls dans ce travail, mais on reste une force de propositions, tout en nous appuyant sur des ingénieries spécialisées qui sont capables de tester la portance et la pérennité chimique de ces matériaux recyclés ou nouveaux. »

L’automobile de demain passe par une prolifération de voitures électriques. Existe-t-il une obligation faite aux architectes d’intégrer des espaces de charge, que ce soit dans les maisons individuelles ou les bâtiments collectifs ?
« Il commence à y avoir des contraintes, mais à l’agence, lorsqu’il y a une demande de parking, nous pensons dès le départ aux espaces dédiés à la recharge, ça nous parait tellement évident. Mais la tendance forte est que l’on dessine de plus en plus de projets sans aucun parking. »

Aucun parking ?
« Oui, et c’est positif ! Il se trouve qu’historiquement à l’agence, on travaille sur des projets en hyper-centres urbains, à Paris ou ailleurs. Je pense que dans ce type d’endroits, conserver des parkings souterrains n’est pas la solution alors que de plus en plus, on se dirige vers des mobilités douces. Et dans l’économie d’un projet, cette notion de parking pèse lourd ! Concrètement, on réalise beaucoup de projets sans parking. On vient même de gagner pour 2022 un concours pour réinventer un ancien garage Citroën que l’on va restructurer avec des logements, et pour lequel il n’y a pas de parking souterrain… »

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Sortons du sous-sol pour découvrir beaucoup de couleurs dans vos projets. Étonnant, alors que l’automobile, elle, pourrait jouer avec les couleurs mais ne nous propose que du gris ou du noir…
« Non, ce n’est pas étonnant. Pour autant, je ne le fais pas dans tous les projets. En réalité, les programmes les plus marquants sont les plus colorés, mais si on revient sur le C42, on a réalisé sur ce plan un bâtiment assez neutre en façade. A chaque fois qu’on utilise la couleur, c’est pour des raisons très particulières.»

« Avec notre projet à Roissy (ci-dessus et ci-dessous), on est sur le site de l’aéroport avec une architecture qui a une belle histoire, assez brutale avec ses bâtiments en béton. Ce sont souvent des projets qui ont une belle écriture, mais au final il en ressort une sorte d’austérité. Donc quand on nous a appelé pour concevoir ce double hôtel, on a pensé à le rendre accueillant et faire en sorte qu’il exprime une forme d’hospitalité. »

« On s’est donc écarté de l’écriture environnante, avec un projet constitué de deux volumes en vis à vis : si les façades extérieures restent dans une palette chromatique discrète, les deux façades intérieures sont au contraire très colorées, pour marquer les entrées de l’hôtel. On a voulu donner cet esprit joyeux car au final, dormir dans un aéroport, ce n’est pas forcément très plaisant. Un aéroport est un endroit où vous avez une vision lointaine, avec de grandes perspectives. On tenait à ce que l’on voit cet éclat. La couleur arrive toujours pour exprimer une fonction particulière, ou alors pour réveiller un site qui en a besoin. D’ailleurs, il faut les deux. Sinon, on n’utilise pas la couleur. »

