

L’Histoire a ceci d’intéressant qu’elle a souvent des répercussions sur le futur. A moins que ce ne soit l’inverse. L’annonce faite par Renault du choix du nom Rafale pour le prochain coupé SUV sur la base d’Austral, s’appuie sur l’aviation avec le Caudron-Renault C460 de 1934.

Pour nous, amoureux de design, il fait plutôt référence à un projet d’étude nommé Rafale pour le programme X29 de la Renault 25 qui a été commercialisée en 1984. Concernant l’étude stylistique de la Renault 25, on croit que tout a été dit. C’est faux. Au côté du projet de Gaston Juchet, on sait qu’il y a eu un projet interne concurrent, appelé Rafale. En fait, il y a eu DEUX Rafale… Et saviez-vous que la R25 devait s’appeler R40 ? Et qu’elle a été raccourcie maintes fois durant l’étude, et même en urgence après le gel du style… Il est temps d’entrer par la grande porte dans l’univers des petites histoires automobiles.

Rappel historique rapide : le programme X29 lancé en 1977 doit remplacer le duo Renault 20 et Renault 30 (nées respectivement en 1976 et 1975). La première maquette dénommée « M » (ci-dessus) est signée par le centre de design avancé dirigé par Jacques Nocher. Elle est l’œuvre du designer français Marc Deschamps.

Cette maquette est longue, basse et passe des premiers tests clientèles dès la fin de l’année 1978. Dans ses notes, Jacques Cheinisse, directeur du produit explique « qu’une nouvelle tentative est réalisée en octobre 1979, avec de nouvelles propositions de Gaston Juchet d’un duo bicorps et tricorps, et la maquette M modifiée. Les résultats sont décevants : trop break ou trop sportive. »

Cette maquette « M » dévie donc en interne vers plusieurs propositions signées Gaston Juchet qui sont mises en concurrence, face à une maquette Gandini, ci-dessus. Cette dernière est rapidement écartée – elle respire par tous ses pores un parfum très Citroën ! – et le programme retient finalement la version de Gaston Juchet qui se doit néanmoins d’évoluer. Jacques Cheinisse précise dans ses notes que « Gaston Juchet retourne à ses études et fait évoluer le tricorps en travaillant l’aérodynamique, et ça devient, grâce à l’effet de transparence de la bulle en vue latérale, un hybride bicorps-tricorps. On l’appellera Bicaéro. »

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Rappel important en ce début des années 1980 : le centre de design est sous la direction de Robert Opron, passé de chez Citroën (GS, SM, CX) à Renault en 1975. Gaston Juchet reste le responsable du style, alors que Robert Opron prend en charge tout le design groupe. A l’époque, le style Renault dessine aussi des camions.

Sur le projet X29, le très discret Gaston Juchet est rapidement mis en concurrence avec son propre bureau de design avancé, dirigé par Jacques Nocher, où un talentueux designer a rejoint l’équipe en 1977 : Jean-François Venet. Jacques Cheinisse précise que « le bureau de design avancé travaillait alors sur un projet de recherche aérodynamique. La maquette de 1979 (immatriculée 112 RR 79, ci-dessus) n’était pas au dimensionnement voulu par le cahier des charges X29 : elle était un peu plus basse mais surtout plus longue. On l’appelait Rafale. »

Jacques Nocher et Jean-François Venet apportent cette maquette transformée (immatriculée 402 RR 80, ci-dessus) dans le programme X29, alors que tous les efforts sont portés sur la proposition de Gaston Juchet. Jacques Cheinisse se souvient que « l’on voulait tester la maquette Rafale aérodynamique, mais il fallait au préalable la raccourcir. En attendant, en décembre 1979, on testera la Bicaéro en parallèle avec une maquette tricorps L29. » Ci-dessous.

En 1980, alors que la Bicaéro de Gaston Juchet évolue vers sa forme définitive – qui sera celle de la Renault 25 que l’on connait – Robert Opron prend le parti de défendre la proposition interne rivale : la Rafale. Car si cette dernière a été un temps bien trop longue et ne respectait pas les points durs du cahier des charges, elle évolue fortement sous la direction de Jacques Nocher. Mais coup dur pour la Rafale, « elle est perçue comme une Citroën, sportive et proche de la Bicaéro » se souvient Cheinisse dans ses notes.

Cheinisse poursuit : « à l’issue de tets en février 1980, on choisit la Bicaéro, difficilement, car il y a une forte pression du directeur du style (Robert Opron) en faveur de la Rafale et Bernard Hanon semble hésiter. Et en juin 1980, sans argumentation particulière, on décide de réduire une seconde fois de 10 cm la longueur de la Bicaéro ! Robert Opron qui n’avait pas digéré la mise à l’écart de la Rafale relance aussi le raccourcissement de la maquette de Nocher-Venet ! » Un flottement a lieu alors dans les coulisses du style et de la technique, car certains pensent que c’est bien la Rafale qui a été retenue.

Une seconde confrontation entre la Bicaéro et la Rafale est organisée dans la foulée dans les sous-sol de l’Arsenal, à Nanterre. Et là, surprise, la Rafale immatriculée 402 RR 80 qui adopte à l’arrière la fameuse bulle, semblable à celle de la proposition de Gaston Juchet, se présente face à la Bicaéro en compagnie d’une seconde version de la Rafale (immatriculée 2811 2 RR 80, ci-dessus) qui abandonne la bulle au profit d’une lunette arrière conçue en trois pans que l’on voit ci-dessous confrontée à la première Rafale.

La « 2811 2 RR 80 » est très aérodynamique et diffère sensiblement de l’autre Rafale. Face à elles, deux Bicaéro sont présentées avec comme seule différence, le traitement de leur flanc, avec ou sans protection. A l’arrière de sa maquette, Gaston Juchet a fait dessiner en toute hâte un petit becquet pour affiner encore sa Bicaéro (ci-dessous, l’aileron attend d’être positionné), et contrer ainsi la Rafale « bis » à lunette trois pans. La lutte Opron-Juchet semble guider en filigrane la genèse de la R25.

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Jacques Cheinisse conclut « qu’un dernier test de ces maquettes raccourcies est organisée en décembre 1980 en France et en Allemagne. L’avantage de la Bicaéro est réel mais la Rafale reste bien appréciée également. » On pense que le duel Juchet-Opron (ce dernier par l’intermédiaire de la maquette de Nocher-Venet) peut encore tourner à l’avantage d’Opron.

Cheinisse clôt alors le débat : « un test complémentaire frontal uniquement entre Rafale et Bicaéro est organisé pendant lequel la supériorité de la Bicaéro ressort très clairement. Donc le style de la Bicaéro est enfin acté en décembre 1980. »

L’histoire pourrait s’arrêter là. Ce serait trop simple comme le précise Jacques Cheinisse dans ses notes : « on n’en avait pas fini avec les remises en cause. Le style avait été choisi en faveur de la Bicaéro et gelé au printemps 1981 après déjà deux ans de phases de raccourcissements ! Et voilà qu’un vendredi soir de juillet 1981, Bernard Hanon se fait présenter par Pierre Tiberghien une revue de projets improvisée et il passe devant la maquette creuse définitive de la R25. La longueur de cette dernière tournait autour de 4,70 m.… »

« Le doute envahit Bernard Hanon car la Peugeot 505 qui était commercialisée ne mesurait que 4,58 m. Avec le deuxième choc pétrolier, le patron voulait faire profil bas et décida avec le directeur des études qu’il fallait réduire la taille de la R25 de 20 cm ! » Heureusement, les ingénieurs carrosserie et architecture purent faire une contre-proposition qui ne modifia que les boucliers avant et arrière pour une réduction d’environ 10 cm. Le projet fut ENFIN accepté !

Enfin accepté ? Oui, mais quelle appellation lui donner ? « C’est un sujet qui, à l’époque, débouchait systématiquement sur un débat animé et interminable » rappelle Jacques Cheinisse. « On se posait déjà la question de rester dans le système d’appellations numériques pour passer aux noms. On avait déjà fait un pas dans ce sens avec la Fuego (ci-dessus). Mais pour le programme B29 (future R25) il était acté qu’on resterait dans le système numérique. A partir de là, on pouvait encore garder les mêmes appellations 20 et 30, mais les commerçants n’étaient pas d’accord. »

« On a donc proposé les appellations R24/R36. La communication a alors argué que pour un même investissement dans leur domaine, on a un impact plus fort si on a qu’une appellation. On a alors beaucoup travaillé sur le R40. Mais on ne voulait pas survaloriser les prestations attendues par l’appellation. Alors on s’est repliés sur un compromis à mi-distance entre 20 et 30. Finalement, R25 a été retenu. »

Merci à Jean-Marie Souquet et aux notes de Jacques Cheinisse qui ont permis de remettre un peu d’ordre dans ce programme Rafale de Renault
