1967-1971 : raccourci du duel Gandini – Giugiaro


On peut surfer sur deux passions et devenir un génie. Bob Carrière, grand amateur de jazz, s’exécutait brillamment au trombone à coulisse mais sa passion pour l’électronique l’a conduit à inventer le digicode, en 1970. Une passion qui lui a ouvert de nombreuses portes. Il est vrai que tout semble possible à cette époque. Vraiment tout. L’homme vient de marcher sur la lune et casse ainsi les rêves utopiques d’une industrie automobile américaine engluée dans de pataudes voitures bardées d’ailerons démesurés. De quoi mettre en exergue la richesse de la créativité latine. Comme Bob Carrière, mais en Italie cette fois, Giorgetto Giugiaro surfe lui aussi sur deux passions. De celle des beaux-arts, il bascule vers celle du dessin automobile.

LIGNESGIUGIAROGiorgetto Giugiaro aux côtés de la Fiat Panda, dessinée au mois d’août 1976…

Avec beaucoup de réussite. Plutôt doué, le jeune homme est alors embauché au sein de la prestigieuse carrozzeria Bertone en 1959. Il n’a que 21 ans. En 1965, alors que les passagers de la planète bleue sont enfin au sec grâce à Léon-Claude Duhamel qui vient de créer le K-Way, Giugiaro effectue ses (belles) armes chez Bertone et cède sa place de directeur du Stile à Marcello Gandini. Le passage des années YéYé (1960) vers celles qui marquèrent la fin des trente glorieuses (1970) verra Giorgetto Giugiaro implanter sa propre société de création de style automobile, tout en gardant ancré au fond de lui sa passion pour la peinture. Lui aussi est devenu un génie, plutôt volubile. En 1968, Giugiaro n’entre pas encore dans son bureau grâce au digicode de l’ami Carrière, mais il entre en guerre créative – pas de duel à fleurets mouchetés entre eux – avec Marcello Gandini, l’autre génie, plutôt discret.

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Marcello Gandini et l’un de ses enfants préférés : la Lamborghini Miura

Ces deux-là vont faire basculer l’univers automobile dans un monde taillé à la serpe avec des œuvres toutes plus fascinantes les unes que les autres. Le quidam roule alors dans des véhicules sans ceinture de sécurité, sans pare-brise feuilleté, sur des routes où la vitesse est encore libre, pour quelques temps encore. En France, ce sont les Renault 4, les Peugeot 404 mais aussi les Renault 16 et les Peugeot 204 qui meublent les embouteillages urbains. Car il faut rappeler à notre jeune génération que, non, nous n’avions pas de portable en ce temps-là, mais que, oui, nous avions déjà des embouteillages. Citroën de son côté industrialise sa GS Birotor et sa SM, toutes deux avec des zinzins mécaniques qui pousseront la firme à la perte de son indépendance.

LIGNESBIROTOR
Après la GS et la SM de 1970, Citroën dévoile sa birotor en 1973 alors que les carrossiers italiens explosent de talent…

Bref, le petit zygomatique de l’amateur automobile est en berne. Ça ne rigole pas trop dans le monde automobile. Heureusement, nos deux génies vont lui redonner le sourire ; il faut que ça brille, et avec la Lamborghini Marzal de Gandini, l’individu passionné va être ébloui en 1967. Marcello passe la vitesse supérieure et sort du cadre. La Marzal, c’est d’abord un intérieur couleur argent qui éclabousse la rétine. C’est ensuite une surface vitrée hallucinante, notamment au niveau des portières à ouverture en « ailes de mouette ». C’est enfin un volume cunéiforme annonçant tout simplement les lignes de la Lamborghini Espada qui suivra peu de temps après.

LIGNESMARZALLa Lamborghini Marzal de 1967, une création de Gandini.

Un an plus tard en 1968, alors que les Renault 4 exhibent impudiquement leurs dessous et brûlent à Paris sur des pavés qui n’ont finalement jamais caché de plage, Marcello Gandini confirme en Italie sa nouvelle orientation stylistique avec sa monolithique Alfa Romeo 33 Carabo. Drôle de bestiole qui pique l’ego du rival Giorgetto.

LIGNE CARABOL’Alfa Romeo Carabo de 1968 de Gandini. Carabo, du nom d’un scarabée aux mêmes couleurs chatoyantes…

La fin des années 1960 est marquée par la naissance d’Italdesign avec à sa tête, Giorgetto qui s’appuie lui aussi sur une plate-forme Alfa Romeo pour contrer Gandini. Il enfante le concept Caimano, un coupé biplace réalisé sur le soubassement d’une Alfasud non rouillée, donc assez rare. Même les jantes adoptent, en leur centre, un dessin rectiligne, taillé à la serpe. Serpe hier, torchon d’aujourd’hui qui continue à l’époque de brûler gentiment entre nos deux compères aux fusains psychédéliques.

LIGNESCAIMANOL’Alfa Romeo Caimano dans laquelle le fils de Giugiaro, alors âgé de 7 ans, compris qu’il voulait devenir designer...

En 1970, la Stratos Zero de Bertone – dessinée par Gandini – va transgresser tous les codes et placer le maître italien au firmament de la créativité au début de cette décennie. L’engin est un coin sans portière, sans capot, sans vitre. Est-ce encore une automobile ? On y accède par le pare-brise et on ne monte pas à bord, on y tombe. Giugiaro répond à son voisin (tous deux œuvrent à quelques kilomètres l’un de l’autre, à Turin) un an plus tard avec son concept Boomerang.

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La Maserati Boomerang d’Italdesign fut vendue aux enchères en 2015 près de 3,3 millions d’euros.

Conçu sur la base d’une Maserati Bora, il repousse les limites de l’inclinaison de son pare-brise à seulement 13°, une prouesse pour l’époque, qui lui permet de ne pas dépasser un mètre de hauteur. À bord, toute l’instrumentation est regroupée à l’intérieur du moyeu du volant, libérant la planche de bord de toute information. Les génies se marquent à la culotte et ce festival réjouit les hédonistes automobiles.

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Le volant à moyeu fixe n’a pas été inventé par Citroën. Giugiaro avait logé sur ce moyeu fixe toute l’instrumentation de sa Boomerang.

Giugiaro aurait pu prendre un avantage décisif dans ce duel à fusains tirés avec son concept car Tapiro conçu sur la base d’une Porsche 914/6 dotée d’un moteur en position centrale arrière. Ce coupé aux lignes acérées est dévoilé au salon de Turin en 1970. Le Tapiro n’est qu’une interprétation modernisée de la De Tomaso Mangusta (1967) de route que Giugiaro a esquissée lors de son passage chez le carrossier Ghia. Les ailes arrière se soulèvent d’un bloc et font office de capot pour accéder à la mécanique et singent ainsi celles de la Mangusta.

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Tapis bleu pour la Tapiro sur base de Porsche 914.

Ce prototype fut vendu à la fin des années 1970 à un industriel espagnol dont les ouvriers n’appréciaient pas franchement les méthodes. La VW-Porsche Tapiro rêvait de brûler les planches des salons automobiles. Son rêve se réalisa en Espagne, elle brûla sous la colère des ouvriers…

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La Tapiro fut vendue et brûlée par des ouvriers qui en voulaient à leur patron, propriétaire de la belle…

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