Après que l’équipe de designers a peaufiné un design plus ou moins rapidement validé par la direction, il faut transformer la maquette – physique et/ou virtuelle – en prototype roulant. Le constructeur lance alors une phase de tests d’essais, longue mais impérative pour approuver ce nouveau produit. Relisez le sujet sur le “survol du centre de design Mercedes de Sindelfingen” ici : https://lignesauto.fr/?p=18850
Chez Mercedes, outre les pistes d’essais en bordure de l’usine de Sindelfingen et surtout celles du nouveau centre d’essais d’Immendingen (voir le Bonus 2 à la fin de ce post), le plus ancien terrain d’essais de Mercedes encore en service se trouve à Stuttgart, au cœur de l’usine d’Untertürkheim et… au pied du musée Mercedes.
Ces pistes d’Untertürkheim sont légendaires. Elles ont servi notamment pour la communication suite aux tests de mise au point de l’ABS dans les années 1970 (voir le Bonus 1 en bas de ce post) et pour les premiers essais de sécurité passive sous la responsabilité de Bela Beranyi. La première phase de construction des pistes d’essais a été achevée en 1956, tandis que le terrain d’essais a été très sensiblement agrandi en 1967.
Les pistes d’essais qui jouxtent les usines Mercedes d’Untertürkheim totalisent une longueur totale de près de 16 kilomètres et disposent encore aujourd’hui, tout à l’extrémité du site d’essais, d’un tronçon à grande vitesse caractérisé par une courbe à très grande vitesse. Son inclinaison invraisemblable est de… 90° ! Mercedes était très fier de cette courbe lors de son inauguration. Une courbe que nous nous permettons de qualifier de « courbe de la mort » même si personne n’a heureusement rencontré la faucheuse sur ce tronçon très particulier.
Le constructeur annonçait en son temps « qu’elle permet théoriquement d’atteindre une vitesse de 200 km/h. Cependant, les contraintes physiques auxquelles sont soumis le conducteur et les éventuels passagers limitent la vitesse de passage à 150 km/h. » Les nombreuses photos prises « dans » cette courbe témoignent de l’effort surhumain du pilote pour maintenir sa tête et supporter une vision totalement déformée à travers le pare-brise, avec l’énorme protection en partie supérieure que la voiture venait parfois lécher !
En 1967, le site a donc sensiblement évolué tout en restant contraint d’un côté par le fleuve Neckar et de l’autre, par l’usine d’Untertürkheim. Coincées entre l’eau et le rail également, avec une immense gare de triage en bordure du site, les pistes sont encore utilisées, même si celles d’Immendingen sont désormais opérationnelles. On peut aujourd’hui surplomber une partie des pistes d’Untertürkheim en roulant sur l’autoroute 14 à Stuttgart ci-dessous.
C’est donc sur la fameuse « courbe de la mort » que notre regard se porte aujourd’hui. La communication du constructeur en parlait avec ses mots en 1967 : « le conducteur de la berline noire camouflée appuie une fois de plus sur le champignon. Il accélère jusqu’à 150 km/h et tourne dans la grande courbe abritée par les arbres. Cette dernière « attrape » littéralement la voiture et la fait pivoter le long de son axe longitudinal dans une position inclinée à couper le souffle. »
« C’est comme si l’horizon se repliait soudainement. Le corps du conducteur est enfoncé dans le siège et de l’extérieur, on devine les traits de son visage se déformer. Quelques secondes suffisent pour que tout redevienne normal : le virage à forte inclinaison ramène la voiture à l’horizontale, en la libérant sur la longue ligne droite de retour vers le site d’essai. Tous les passagers poussent des soupirs de soulagement. » On l’imagine…
La Presse fut invitée à découvrir ces pistes lors de leurs évolutions à la fin des années 1960. C’était un fleuron de la marque et rappelons-le, elles étaient – et sont toujours ! – situées au cœur de l’usine, à quelques pas du fabuleux musée Mercedes inauguré en 2006. À l’époque, Mercedes expliquait que « les essais rigoureux des nouveaux véhicules font partie des préparatifs de la production à grande échelle. »
« Ces tests sont effectués dans le monde entier et pas seulement ici. Sous une chaleur torride ou un froid extrême et dans toutes les conditions environnementales imaginables, les voitures particulières et les véhicules utilitaires de demain doivent faire leurs preuves au quotidien. Toutefois, il n’est pas toujours possible de procéder à des essais sur la voie publique, en particulier dans le cas des premiers prototypes. C’est pourquoi il existe depuis 1956 ces pistes d’essais dédiées sur le site de l’usine d’Untertürkheim. »
La nouvelle piste d’essai a été présentée à la presse le 9 mai 1967. Mais on s’interrogeait déjà – en fait, mes confrères de l’époque, car moi je n’avais que 6 ans et je rangeais mes Norev en épi sur la commode du salon – à propos de cette solution extrême d’imposer une inclinaison à 90°… Mercedes répondait simplement que ce choix était lié à l’encombrement de la piste. « C’était la solution aux problèmes d’espace de l’ancienne piste d’essai d’Untertürkheim. Le terrain d’essai inauguré en 1956 comprenait un large éventail d’installations d’essais, mais il était trop petit pour les essais de vitesse élevée et d’endurance. »
Ainsi, pour pouvoir ajouter ce type d’essais, la courbe à forte inclinaison a été construite à l’extrémité d’un ovale porté à une longueur de trois kilomètres. Mercedes précisait alors que « la piste précédente d’une longueur de deux kilomètres a été conservée. » Dans le virage à forte inclinaison, une vitesse maximale de 200 km/h est théoriquement possible, mais aucun pilote d’essai ne pourrait supporter à long terme les forces centrifuges qui s’exercent sur lui à cette vitesse.
On l’a lu plus haut, la vitesse a donc été d’emblée limitée à 150 km/h. La ligne de guidage peinte le long de la courbe, à une distance de 2,50 mètres du bord extérieur de la voie, sert de repère pour être longée à une vitesse de 150 km/h sans intervention des mains sur le volant. L’angle entre la voie et l’horizon à cet endroit est de 71°. La force G qui s’exerce sur le conducteur et la voiture est égale à 3,1 fois son poids et celui de la voiture. À une vitesse de 200 km/h, le conducteur serait soumis à une force de 5,3 fois son propre poids… Le haut de la structure de cette courbe est situé à 5 m au-dessus du sol !
Le passage de la ligne droite relativement plate le long du Neckar à la crête de la courbe de 60 mètres de rayon, se fait sous la forme d’une « spirale » avec des angles qui se rapprochent au fur et à mesure de l’entrée dans la courbe des 90°. En même temps que cette courbe à forte inclinaison, la piste accueillait un pont avec différentes rampes de montée et de descente, spécialement construit pour les véhicules utilitaires, avec des inclinaisons allant de 5 à 70 %, ci-dessous, en 1984.
À cela s’ajoutèrent également des pistes en caillebotis, des pistes de torture et des pistes à nids-de-poule. L’une d’entre elles est une reproduction fidèle à l’original d’un tronçon de route particulièrement mauvais dans la lande de Lunebourg, dans le nord de l’Allemagne. Pour mieux comprendre le niveau d’essais d’essai des années 1960 à 1990, Mercedes précisait que « chaque surface est documentée avec précision et, lorsqu’une partie est endommagée par les énormes contraintes de la conduite d’essai, un sous-traitant spécialisé dans le revêtement des routes est chargé de la restaurer conformément aux spécifications correspondantes. Des bassins de passage à gué et des bains de sel pour les essais de corrosion sont également disponibles. »
Outre la « courbe de la mort », le lieu le plus connu des pistes d’Untertürkheim reste la piste de dérapage d’un diamètre de 100 mètres composée de sept revêtements différents : le skidpad, ci-dessus, à la fin des années 50 avant que l’autoroute ne le surplombe. « Cette piste est utilisée pour les essais de dynamique latérale et de groupe motopropulseur » précisait Mercedes dans son communiqué de presse.
« La voie extérieure de la piste de dérapage est une courbe à forte pente inclinée à 20 degrés et permet des vitesses relativement élevées. Dotée de toutes ces installations, la piste d’essai a représenté un grand pas en avant en 1967, car les ingénieurs étaient enfin en mesure d’effectuer des séries d’essais et des mesures dans des conditions identiques, ainsi que d’amener un véhicule d’essai jusqu’à son point de rupture sans risque sérieux pour les êtres humains. »
Une autre installation a été ajoutée en 1967 : la machine à ventilateurs ci-dessus capable de reproduire des vents latéraux. Pour simuler et mesurer avec précision la déviation du prototype dans ces conditions que l’on rencontre toutes et tous sur les autoroutes en doublant des camions par exemple, pas moins de 16 souffleries puissantes ont été installées. Mais ces pistes d’essais ne sont pas qu’extérieures : des bancs d’essais mesurant les gaz d’échappement ont été implantés à Untertürkheim en réponse aux premières lois sur les émissions qui sont entrées en vigueur en Californie dans les années 1960. Le respect de ces lois était évidemment une condition d’exportation incontournable vers les États-Unis.
Au final, depuis ses évolutions de 1967, les pistes d’essais dont l’empreinte au sol est de 8,4 hectares, ont fait leurs preuves dans cette configuration. Il n’y a pas eu de modifications majeures depuis 1967, à l’exception d’un tronçon de route avec des rails de tramway, une caractéristique courante en Allemagne dans les années 1960. Ce tronçon de route a par la suite été transformé en une section de route lisse avec un revêtement en asphalte silencieux pour les mesures de bruit.
Les toutes nouvelles pistes d’Immendingen ont certes largement supplanté celles d’Untertürkheim et de Sindelfingen, sans pour autant les tuer, bien au contraire. Il faut ajouter que le site de Stuttgart-Untertürkheim a permis aux pilotes d’essais de parcourir chaque année environ deux millions de kilomètres sur pistes avec une moyenne de 750 voitures, ce qui ne représentait finalement qu’une partie des 20 millions de kilomètres parcourus annuellement dans le cadre des essais automobiles qui sont également effectués sur les routes ordinaires.
Aujourd’hui, les essais numériques ont fait voler en éclat une partie de ces essais. Petite ou grande partie ? C’est variable selon les groupes automobiles. Il nous faut saluer ici Mercedes qui a conservé ses pistes d’Untertürkheim et de Sindelfingen aux côtés de son tout nouveau site d’essais d’Immendingen, alors que dans le même temps, Stellantis a vendu cette année son site exceptionnel et ses pistes d’essais légendaires de La Ferté Vidame…
La ligne droite aujourd’hui longeant le fleuve Neckar et au bout, l’arrivée sur la ‘courbe de la mort’. La végétation a repris un peu de terrain…
Bonus 1
Untertürkheim et l’ABS
Le système de freinage ABS a été lancé en 1978 pour la première fois par Mercedes en partenariat avec l’équipementier Bosch. Ce système de freinage antiblocage a été dévoilé du 22 au 25 août 1978 sur la piste d’essais de l’usine d’Untertürkheim. L’ABS a été proposé sur la Classe S (série 116) à partir de la fin de 1978. Cette évolution était également le point de départ d’une histoire unique d’innovation dans les systèmes d’assistance numérique. Rappelons que ce système permet de garder le contrôle total de la direction de la voiture, même en cas de freinage d’urgence, puisqu’il évite le blocage.
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Bonus 2
Le nouveau site d’essais d’Immendingen
Mercedes a investi plus de 200 millions d’euros dans le site d’essai d’Immendingen situé à environ 130 kilomètres au sud de Stuttgart, et opérationnel depuis septembre 2018. Ce site qui bénéficie d’une discrétion absolue là où il est perché (!) permet de concentrer TOUS les tests de véhicules au niveau mondial sur un seul site. Mercedes précise « qu’Immendingen joue un rôle clé dans le développement de la mobilité du futur : c’est ici que sont consolidés tous les tests de véhicules à échelle mondiale, y compris le développement d’autres types de transmissions hybrides et électriques sous le label produit et technologie EQ. Les futurs système d’assistance et les fonctions de conduite autonome sont également testés ici. » Ce centre de test et de technologies a nécessité plus de trois ans de construction dans le Baden-Württemberg.
« Des routes étroites comme dans les Alpes, de larges autoroutes à plusieurs voies comme en Amérique du Nord, un trafic fastidieux comme dans une ville du sud de l’Europe : de nombreuses situations de circulation peuvent être simulées de manière réaliste sur le site. Dans le processus, nous constatons à maintes reprises que la réalité réserve toujours des surprises que l’ordinateur n’a pas prises en compte », affirme Reiner Imdahl, à la tête du site. Ce gigantesque terrain de validation a été construit sur un ancien terrain d’exercices appartenant à l’armée allemande. Lors de l’aménagement du tracé, l’impressionnante topographie avec ses différents niveaux et altitudes allant de 660 à 880 mètres au-dessus du niveau de la mer a été exploitée au mieux pour les innombrables tests routiers.
Pour être complet, ci-dessous : les pistes d’essais du site industriel de Sindelfingen, très semblables à celles de l’usine d’Untertürkheim. En 1 l’usine et en 2, les pistes avec une courbe relevée – mais pas autant que la ‘courbe de la mort’ – où l’on devine également la présence d’un Skidpad.