LIGNES/auto vous l’avait annoncé, Patrick Le Quément évoque sa carrière de designer – mais pas seulement – dans un ouvrage de 224 pages disponible à la commande (voir en fin de post).
Ce livre est illustré simplement et élégamment par une centaine de dessins du designer Gernot Bracht et rédigé en collaboration avec notre confrère Stéphane Geffray. Le Quément aborde toutes les périodes de sa vie, ses rencontres avec de grands designers mais aussi et surtout, de grands patrons. Il n’hésite pas à railler quelques habitudes prises par ce milieu un peu particulier, et développe ses reflexions jusqu’à 2019 et ses nouvelles aventures de designer naval !
Bref, un ouvrage qui vous plonge dans l’univers d’un patron de design, avec les joies du métier et les difficultés à, parfois, imposer de bonnes idées; Ce livre n’est disponible qu’en langue anglaise mais même avec un niveau faible dans l’appropriation de cette belle langue de Shakespeare, vous arriverez à comprendre les petites subtilités de ce monde en lisant “entre les lignes” (Between the lines).
Quelques extraits traduits :
« Un bon design, c’est vraiment de l’intelligence rendue visible et, selon la formule, c’est 95% de bon sens et 5 % d’une qualité mystérieuse, voire magique, qui s’explique le mieux par l’émotion que l’esthétique déclenche. Nous parlons ici de l’ensemble de l’entité. Un iPhone est attrayant dans son ensemble, grâce à sa forme et aux matériaux qui la composent, ainsi qu’à ses solutions de commande intuitives et à la qualité de son graphisme, qui en ont fait un succès spectaculaire. Un bon design donne envie d’y toucher ! »
« L’une des plus grandes qualités distinctives du design automobile français a été sa capacité à proposer de nouveaux concepts adaptés à leur époque, soit parce qu’ils sont à l’écoute de l’esprit du temps socioculturel, soit parce qu’ils anticipent les désirs et les attentes des clients. En tant que nation, les Français ont développé une forte tradition révolutionnaire : Fabio Filippini, ancien directeur du design chez Pininfarina et qui a travaillé chez Renault pendant un certain temps, justifiait “qu’en France, il y a quelque chose de noble à être un révolutionnaire”.
Et les constructeurs français le furent, révolutionnaires ! « La Renault 16 deviendra la première voiture familiale avec un habitacle entièrement polyvalent. Aucune autre voiture ne s’est jamais approchée de la Citroën DS19 pour faire un bond dans le futur à un prix largement abordable, et l’inimitable SM, elle aussi, est restée sans égal. La Renault 5 a été la première voiture à être équipée de pare-chocs en matériaux composites, sept ans devant la Mercedes-Benz Classe S et, enfin, l’Espace a ouvert un tout nouveau segment sur le marché. Au risque d’être accusé de nationalisme, je dirais que l’industrie automobile française a, dans l’ensemble, été plus innovante dans le domaine des architectures et des concepts automobiles que toute autre nation. »
Avant de rejoindre Volkswagen, et donc encore chez Ford, Patrick le Quément fait la connaissance de Jean-François Venet et Michel Jardin, designers Renault, dans des circonstances particulières !
Toutes les périodes de sa vie sont abordées dans cet ouvrage. Son arrivée chez Renault où Patrick Le Quément a sans doute évité… une grève des designers comme il le raconte. « Le 1er juin 1985, alors que j’étais chez Ford, j’ai pris la décision de changer d’air à la prochaine occasion qui se présentait. Deux mois plus tard, j’ai remis ma démission car j’avais accepté une offre du groupe Volkswagen-Audi. Comme il n’y avait pas grand-chose à faire en studio dans l’intervalle, j’ai accepté une invitation pour représenter Ford Design à une conférence internationale organisée par un grand fournisseur américain basé à Saint Paul, Minnesota. C’est là que j’ai rencontré deux cadres supérieurs de Style Renault, Michel Jardin et Jean-François Venet, qui étaient également venus en tant que représentants de leur organisation. Deux ans plus tard, quand Gaston Juchet, à la tête de Style Renault, a décidé de prendre sa retraite, un brillant ingénieur a émergé comme le candidat pour le remplacer. Mais les véritables designers étaient inquiets de voir un non-designer en charge du centre de design : à tel point qu’ils menaçaient de déclencher une grève ! C’est ainsi qu’est née la réunion convoquée par Aimé Jardon, responsable du développement produit et numéro deux chez Renault, à l’occasion de laquelle mon nom a été proposé. Était-ce la chance ou le destin ? Peut-être un peu des deux… »
Raymond Lévy, alors patron de Renault, a dit “oui” à la Twingo. Ce n’était pourtant pas gagné…
Sa rencontre avec Raymond Lévy en 1987 : « C’était chez lui et nous nous rencontrions pour discuter de mon entrée dans l’entreprise. J’habitais en Allemagne à l’époque et je me préparais à devenir le tout premier directeur du design du groupe Volkswagen-Audi. J’ai tout de suite été frappé par l’animation et le sens de l’humour de M. Lévy. Ce qui m’a le plus impressionné, c’est la clarté et sa clairvoyance : sa vision de ce que mon rôle pourrait être dans cette grande entreprise. La conversation a porté principalement sur Renault et son héritage en tant que marque très innovante en matière de concepts de véhicules, dont certains ont changé la donne. (…) Lévy ne s’était pas contenté d’accepter ma seule condition, à savoir que la division stylisme relève directement de la direction générale de l’entreprise, plutôt que d’être un sous-ensemble de l’ingénierie ; il m’avait en outre promis carte blanche pour créer une division design industriel, dont la mission était de contribuer à repositionner Renault comme constructeur de véhicules révolutionnaires. »
L’exhumation de la Twingo : « En décembre 1987, juste avant que Gaston Juchet ne prenne sa retraite à la tête de la division Styling, il m’a remis les clés de deux garages fermés. Deux propositions de design d’un programme de petites voitures que Georges Besse avait annulé en raison d’une faible rentabilité ont été stockées dans ces caisses. J’ai fait venir ces maquettes et j’ai été immédiatement séduit par le potentiel de l’une d’elles. Cette proposition, bien que loin d’être achevée, était l’œuvre d’un brillant jeune designer du nom de Jean-Pierre Ploué, sous la direction de feu Jean-François Venet. Ce projet était un peu sous-dimensionné et avait un nez plutôt laid, mais sa silhouette monocorps lui donnait un espace intérieur inégalé et une sensation de fraîcheur remarquable. Avec l’appui du directeur produit Jacques Cheinisse, nous avons réussi à convaincre Lévy de mettre sur pied une équipe de la division d’ingénierie pour établir la faisabilité technique du projet et commencer à transformer ce petit objet en une voiture intelligente – et rentable. La réunion de grands projets a été loin d’être convaincante, malgré tous les efforts déployés par le talentueux directeur de programme, Yves Dubreil. Mais ensuite, après avoir montré le modèle à Lévy et à son équipe et leur avoir expliqué que cette voiture devait être considérée comme un animal de compagnie familial, que les gens voulaient prendre et emmener à l’intérieur pour se prélasser dans la chaleur de la cheminée, Lévy a rapidement compris la métaphore et a souri. Ce à quoi le modèle a répondu avec son propre sourire. »
Twingo, toujours…« Plus tard dans son développement, nous avons mis notre voiture, la Twingo, à l’essai dans des cliniques de marketing où plusieurs centaines de personnes ont été invitées à l’évaluer par rapport aux véhicules des concurrents. Les résultats ont été très clairs : 25 % ont adoré la voiture, et 25 % ont dit ” oui, peut-être “, sous-entendu qu’ils ne voulaient pas être les premiers à s’y rendre. Les 50 % restants étaient ouvertement hostiles. Lorsque ces résultats ont été présentés, je me suis retrouvé confronté à un groupe de cadres supérieurs qui ont insisté pour que le style caricatural de la Twingo soit modifié et que le sourire satisfait soit effacé de son visage. Je me suis opposé à cet argument en disant que les 25 pour cent de personnes inspirées par l’enthousiasme me semblaient être une bonne base pour réussir, alors que la seule chose à laquelle mes adversaires s’étaient accrochés était la réponse négative de 50 pour cent. Je suis parti dans le sud de la France pour un long week-end afin d’avoir un peu de recul, et à mon retour j’ai envoyé à Lévy une courte note manuscrite dans laquelle je demandais de choisir un ‘design instinctif’ plutôt que le marketing ‘extinctif”. Il l’a retournée après avoir annexé : “Je suis d’accord avec vous à 100%, monsieur le directeur”. C’est ainsi que Raymond Lévy a conduit Renault sur la voie de l’innovation ! ”
Un patron parmi tant d’autres : Carl Hahn : « Mon séjour en Allemagne m’a également mis en contact étroit avec le célèbre Carl Hahn, qui a présidé Volkswagen-Audi entre 1982 et 1993 ; il a été l’architecte du succès de VW aux États-Unis (…) Il m’a engagé en 1985 dans le but de devenir le premier responsable du design dans l’ensemble du groupe. Son conseil d’administration comprenait Ernst Fiala, directeur technique de la marque Volkswagen, et Ferdinand Piëch, qui dirigeait Audi avec une main de fer. Aussi surprenant que cela puisse paraître, aucun d’entre eux n’était allemand : ils étaient tous Autrichiens. Bien que j’aie passé plusieurs années en Allemagne à travailler pour Ford, c’était la première fois que je faisais partie d’une organisation 100 % allemande. J’ai été surpris quand j’ai vu la passion que les ingénieurs mettaient dans leurs projets et à quel point les différentes marques étaient en concurrence permanente les unes avec les autres pour influencer les choix de l’entreprise dans son ensemble. Et je n’ai jamais été impliqué dans des réunions avec autant de tension dans l’air que celles entre le directeur d’Audi et le directeur technique de Volkswagen. »
Louis Schweitzer : « Schweitzer n’avait pas beaucoup d’expérience réelle en matière de produit. Mais il était déjà passionné par tout ce qui touche au design, et il m’a raconté plus tard que ses visites au Centre de design de Renault ont été ses moments préférés pendant son mandat de président. Sa passion était si forte qu’à chaque fois que nous lui présentions une belle maquette à l’échelle 1:1, il essayait toujours d’entrer dans le véhicule. Quoi de plus naturel ? Sauf que ces modèles hyperréalistes n’ont jamais eu de portes qui s’ouvraient, et souvent la poignée de porte restait dans votre main ! De même, lorsqu’il s’est assis dans l’un de nos modèle de style intérieur (représentation exacte de l’intérieur d’une voiture, faite de mousse et d’argile), il n’a jamais pu résister à la tentation de passer les vitesses, malgré nos avertissements de ne pas bouger le levier. Dans la plupart des cas, il a fallu prendre des mesures correctives en atelier pour remettre les modèles en bon état, mais personne ne s’en est offusqué ! »
Les illustrations sont de Gernot Bracht.
Cet ouvrage est d’autant plus intéressant à lire qu’il repose sur 50 chapitres assez courts et percutants. Instructif, car il ne s’agit pas d’une biographie lancinante, mais de l’envers d’un décor que nous ne connaissons finalement que très peu. Ci-dessous le sommaire :
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