La longue interview de Matthias Hossann, nouveau directeur du design Peugeot.

Après dix années d’un (joli) règne à la tête du design Peugeot, Gilles Vidal (ci-dessous) a choisi de changer d’air, mais pas d’ère : il continuera à diriger une équipe de designers pour une marque française, Renault…

Son successeur à ce poste de directeur design de la marque Peugeot, Matthias Hossann (ci-dessous), est un pur produit PSA, et a débuté dans le groupe chez Citroën. Depuis 2013, il était le responsable design des concept-cars, et on lui doit notamment le suivi de l’incroyable et sublime e-Legend de 2018 .

Le voici donc depuis 72 heures aux commandes du style Peugeot. Et il a bien voulu répondre – déjà ! – aux questions de LIGNES/auto.

LIGNES/auto : Vous dormez bien depuis trois jours ?
Matthias Hossann : « C’est intense ces derniers jours ! C’est un rythme assez nouveau mais finalement assez proche du rythme de la gestion des concept-cars. Je me projette déjà sur ce dont j’ai envie de réaliser avec l’équipe. Je suis déjà dans ce mouvement dynamique. Je suis évidemment honoré que cette maison de plus de 210 ans me confie ce poste où je succède à Gilles Vidal mais aussi à Jean Pierre Ploué (*), Gérard Welter (ci-dessous), des noms prestigieux. »

Gérard Welter (1942-2018)

(*) Jean-Pierre Ploué entré chez Citroën en 1999, a pris en main les styles Citroën et Peugeot en 2009 avant de nommer un directeur de style Peugeot – Gilles Vidal – et Citroën -Thierry Métroz – en 2010.

Matthias Hossann, Gilles Vidal et Jean-Pierre Ploué

Avez-vous été surpris, comme nous, par la rapidité de ce changement ?
M.H. : « C’est vrai que cela a été assez rapide. C’est Jean-Pierre Ploué qui m’a proposé de prendre ce poste. L’avantage, c’est que je connais bien la maison, alors tout a été assez fluide, mais ce n’est que mon quatrième jour ! »

Hossann arrive au 59 847e rang des noms les plus portés en France et c’est dans la commune de Schleithal qu’on en trouve le plus. L’Est de la France : vous étiez fait pour devenir un « Peugeot » !
M.H. : « En fait, je suis né à Chaumont, en Haute Marne. Alors oui, ça reste la région Grand-Est ! »

Evoquons votre formation, vous êtes issu de l’école Strate
M.H. : « Durant mes études à Strate, Jean-Pierre Ploué m’a repéré dès 2001 et offert de réaliser mon diplôme chez Citroën. J’ai été embauché en aout 2002 et depuis, j’ai parcouru toutes les marques du groupe. J’ai surtout eu la chance de passer cinq ans en Chine, au sein d’une petite équipe envoyée là-bas pour créer le studio de Shanghai en 2008. »

C’est l’époque où nait le concept-car Metropolis ?
M.H. : « Oui effectivement. Metropolis est en fait mon premier concept car en tant que designer. Cette expérience internationale s’ajoute à celles que j’ai vécues au sein des trois marques. »

Gilles Vidal a renouvelé l’identité et le style de la marque avec succès. Est-ce plus simple ou au contraire compliqué de prendre la tête d’une affaire qui fonctionne plutôt bien ?
M.H. : « C’est un grand challenge, d’abord personnel, mais en ayant accepté ce rôle, j’ai clairement l’ambition que l’on fasse encore mieux avec les équipes. Est-ce compliqué de prendre le poste à ce moment-là ? Je dirais que j’ai un avantage : je connais très bien l’équipe… »

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Vous changez de dimension. Je veux dire, concrètement, vous dirigez une équipe qui n’a rien à voir par sa taille avec celle des concept-cars ?
M.H. : « Dans la structure des concept-cars, il y a un noyau dur de 10 à 15 personnes, noyau qui grandit lorsqu’on passe à la réalisation avec les sous-traitants. Le design Peugeot, lui, c’est 130 personnes avec des métiers divers. »

La genèse d’un concept-car, c’est environ un an. Un produit de série, c’est quatre fois plus. C’est un vrai changement de dimension temporelle !
M.H. : « J’ai la chance de m’appuyer sur une équipe robuste, qui a construit les succès d’aujourd’hui, pour répondre à ces différences de temporalité. J’ai confiance en elle !  L’avantage des concept-cars, c’est qu’on apprend avec eux à travailler d’une manière rapide. L’idée est de continuer à insuffler cette dynamique dans l’univers du produit. Le contexte actuel montre qu’on a besoin de cette souplesse et de cette rapidité. On va continuer d’accélérer au design. »

L’univers du concept-car est quand même éloigné de celui de la série ?
M.H. : Non, pas tant que cela. A part les contraintes industrielles bien sûr. Ce que l’on a toujours revendiqué chez Peugeot, c’est qu’un concept-car n’est jamais gratuit. Des éléments développés sur les concept-cars se sont retrouvés en série, comme le combiné préfigurant le i-Cockpit, dérivé du concept-car Quartz (ci-dessus) que l’on a retrouvé dès la première génération de 208. On a toujours travaillé en réalisant des ponts entre l’univers des concepts et celui de la série, que ce soit au niveau de la technologie embarquée ou du langage formel. Tout va se faire de façon assez naturelle finalement. »

En vous confiant les clés du style Peugeot, Jean-Pierre Ploué vous a-t-il donné une nouvelle direction à suivre ?
M.H. : « Jean-Pierre Ploué, comme Jean-Philippe Imparato (patron de la marque Peugeot avec Gilles Vidal ci-dessous) et Carlos Tavares veulent que Peugeot continue à pousser et me laissent carte blanche pour pouvoir aller encore plus loin en termes de design. C’est une superbe opportunité… »

Vous jouerez quelle carte entre la continuité et la rupture ?
M.H. : « Vous comprenez qu’il y a une continuité au niveau de l’équipe et j’ai besoin d’elle pour continuer à être extrêmement créatif. Il est hors de question d’aller dans le sens de poupées russes ! Je veux que l’on reste très dynamique d’un point de vue du style. »

Carlos Tavares a confié à chaque marque une zone internationale à investir : l’Inde pour Citroën, la Chine pour DS et les États-Unis pour Peugeot. Allez-vous dédier une équipe de designers sur ce programme ?
M.H. : « C’est vrai que cette future présence a été annoncée mais il n’y aura pas d’équipe dédiée à ce programme. En fait, c’est le même raisonnement que lorsqu’on est arrivé en Chine, où l’on réalisait des produits spécifiques. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Tous les produits du groupe ont le même design sur tous les marchés mondiaux. On a beaucoup appris de l’expérience chinoise, on a fait muter nos designs pour prendre en compte des spécificités locales, et je pense que cela se fera de la même manière pour le marché américain. Ce qui est intéressant dans cette opération, c’est qu’on demande à nos équipes créatives d’avoir une dimension internationale. »

Au vu des contraintes de normes et de coûts de fabrication des petites urbaines, comme la Peugeot 108, comment leur imaginer un futur pérenne ?
M.H. : « Ce sont des questions sur lesquelles nous travaillons aujourd’hui. Les villes mutent, se ferment parfois et posent des questions sur la liberté individuelle de mouvement. Historiquement, Peugeot est dans cette mobilité « douce », je pense aux cycles notamment.

Effectivement, la question est quel type d’objet peut répondre à ces nouveaux usages. On a apporté un début de réponse avec les 208 /2008 électriques. En tant que designer, on planche fort là-dessus. Les normes sont limitatives, mais il y a peut-être de nouvelles choses à inventer entre le quadricycle et la vraie voiture, pour créer une nouvelle expérience de mobilité.

En 2009, vous aviez la BB1 ?

M.H. : « Oh, on peut même remonter à la VLV électrique du début des années 1940 ! Donc, au sein de la marque, on se pose cette question depuis bien longtemps. Elle fait partie de l’ADN de la marque. Alors évidemment, l’équipe travaille ce thème. »

Côté concept, celui du monospace aura finalement fait long feu ! Vous imaginez qu’il puisse renaître de ses cendres ?
M.H. : « Je ne poserais pas la question du monospace sous cet angle. Je parlerais plus volontiers de la technologie, avec notre nouvelle base eVMP multi-énergie.

Elle va créer l’opportunité d’avoir plus d’espace à bord. Ces nouvelles technologies vont naturellement faire naître de nouvelles silhouettes avec lesquelles il faudra vraiment penser « utilisateur » et « nouveaux usages ». Le monde change ! »

Plus près de nous, il y a le dernier maillon du renouvellement de la gamme, la 308 qu’on imagine pour 2021. Avez-vous été concerné par ce projet ?
M.H. : « C’est là où c’est intéressant car j’étais en charge des concept-cars, avec cette vision assez lointaine, mais j’avais également une vision intermédiaire qui consistait à travailler tous les projets en avance de phase. Les premiers sur lesquels on a travaillé avec l’équipe ont été les 208/2008.

Il ne s’agit pas de style à ce stade, mais plutôt d’un travail de posture. On a par exemple totalement reconfiguré l’équilibre des masses sur 208, avec un pare-brise reculé, une silhouette plus dynamique. Donc, avec les équipes, j’ai travaillé en amont sur tous les futurs produits. »

Le concept-car e-Legend a inauguré un nouveau logo. Le verra-t-on prochainement en série ?

M.H. : « Je ne peux pas répondre à cette question car un concept-car est avant tout un laboratoire, et je suis exigeant là-dessus. Je veux donc que tous les détails, jusqu’à la typographie, soient traités comme des expérimentations. On a travaillé sur le logo dans ce sens pour explorer différentes pistes. »

A propos de e-Legend qui n’a pas été suivi d’un véhicule de série : si Opel arrive à produire de son côté un coupé « Monza » (ci-dessus), vous vous faites harakiri ?
M.H. : « Clairement, je continue de me projeter dans le futur et ce que l’on nous demande, c’est de se faire plaisir, pas sur une silhouette donnée, mais sur chacun des modèles. Pour le groupe, il est évidemment nécessaire d’industrialiser des produits désirables, mais également rentables. Ce n’était pas le cas de e-Legend. »

Vous êtes un amoureux de Simon Sinek, optimiste inébranlable qui estime que tous ensemble, on peut changer le monde pour le meilleur. Alors je me joins à Peugeot pour changer le monde : redonnez-nous un RCZ pour un avenir meilleur !

M.H. : « Évidemment, tous les designers rêvent de ce genre de produit. On ne s’interdit rien, il faut trouver la bonne équation pour proposer ce type de véhicules à nos clients. Aujourd’hui nous sommes concentrés sur la rentabilité de chaque silhouette, plutôt que de proposer une profusion de variantes, dont certaines non rentables. Focalisons-nous sur l’amélioration des futurs produits de la gamme, en termes de design, de qualité d’exécution et de l’expérience de l’utilisateur… »

On déborde du périmètre du designer…
M.H. : « Non, pas du tout. Je pense que ça fait partie du métier de designer. Il n’est pas là uniquement pour réaliser un beau sketch, une belle intention. Il doit aller dans les moindres détails, et se mettre à la place de l’utilisateur pour se questionner sur l’expérience qu’il aurait envie de vivre. Une expérience qui doit être cohérente avec l’ADN de la marque mais aussi avec les futurs usages, le tout en allant vers quelque chose d’extrêmement sophistiqué et soigné. »

Pour finir : qui vous remplace à la tête de la cellule concept-cars ?
M.H. : « J’ai cette chance à mon poste de pouvoir retravailler l’agilité des équipes et ça fait partie des questions que je suis en train de traiter. De quelle manière et comment être plus agile, plus rapide. Il y aura forcément quelqu’un en charge de ces visions prospectives, parce que, outre que je viens de cet univers, j’y tiens énormément car il permet de construire une vision stratégique à long terme de la marque. »

Propos recueillis par Christophe Bonnaud, le jeudi 30 juillet à l’ADN PSA. L’auteur remercie Matthias Hossann pour sa disponibilité dans cette période chargée, ainsi que Jean-Pierre Ploué et Stéphanie Cardine de la communication Peugeot Design.

Pour tout savoir de l’arrivée de Gilles Vidal chez Renault, c’est ici :

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