Interview Michael Mauer : « nous travaillons déjà sur le projet 911 – année 2050 ! »

Michael Mauer (61 ans) designer Porsche, est responsable du design de la marque depuis près de 20 ans. Dans cette interview, il évoque son plus grand défi : perpétuer le glorieux héritage de la 911.

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Lorsque vous comparez la 911 actuelle à la première génération, quelles émotions ressentez-vous ?
« Je reconnais tout d’abord la cohérence. La 911 a conservé son identité et a toujours été en avance sur son temps. Elle s’adapte à l’évolution de l’esthétique et de technologie, tout en restant fidèle à sa ligne. Son évolution d’hier à aujourd’hui montre pourquoi les designers sont les gardiens de la marque. »

Si vous deviez définir la première 911, quels seraient vos mots ?
« Il s’agit d’une interprétation futuriste de la voiture de sport – un design qu’il est impossible d’améliorer. Chaque fois que nous essayons une silhouette différente, nous revenons à la ligne de toit originale. Elle est tout simplement mémorable. Et pourtant, la voiture ne semble jamais encombrante ou agressive. Et ce, bien qu’elle ait toujours été l’une des plus rapides. C’est ce que je trouve fascinant. »

Le succès de la 911 développée par Ferdinand Alexander Porsche il y a 60 ans se poursuit aujourd’hui, avec la huitième génération. Comment la décririez-vous ?
« La meilleure façon de décrire le modèle actuel est de le comparer à son prédécesseur direct. En tant qu’athlète, il est désormais plus musclé, mais il reste discret par rapport à ses concurrents extravertis de la même catégorie de performance. Elle est sûre d’elle, mais sans arrogance. »

Pouvez-vous nous dire ce qui distingue finalement le design de la 911 ?
« Je suis toujours à la recherche d’expressions pour décrire une Porsche une fois pour toutes et j’ai trouvé deux mots : “designed precision” (précision du design). Dans un monde rempli d’explications, le design devrait s’expliquer de lui-même. »

Et si la 911 était une personne, quelle serait sa personnalité ?
« Quelqu’un qui évite les feux de la rampe. Mais quelqu’un dont tout le monde sait qu’il peut faire beaucoup de choses extrêmement bien. Dans le monde du sport, ce serait un triathlète : mince, en forme et exceptionnel dans plusieurs disciplines. Ce serait quelqu’un à qui je demanderais conseil, parce qu’il me soutient et m’aide à progresser. Ferdinand Alexander Porsche, qui a dessiné la première 911, était un esprit libre. C’est lui qui a donné à la voiture sa confiance en soi, en établissant sa personnalité. »

Quel est votre plus grand défi en tant que concepteur ?
« Pour nous, il s’agit toujours de créer un design irrésistible. Dans le monde du design, c’est le nerf de la guerre. On pourrait presque dire que c’est de l’art. Mais pour moi, cela ne suffit pas pour un produit. Il s’agit de créer un design irrésistible qui renforce la marque. Un design qui visualise toutes ses valeurs. Ce n’est qu’à cette condition que le design peut régner en maître. »

Porsche est une marque forte, et la 911 un modèle fort. Ces deux éléments ne sont-ils pas au final en concurrence ?
« Il est utile d’avoir une icône dans la gamme de produits. Un modèle qui non seulement façonne son monde sur une longue période, mais qui est également unique et favorise la reconnaissance. Une icône est une meilleure source d’inspiration pour la philosophie de conception de la marque. Pour moi, la 911 est l’étoile polaire de tout l’univers de la marque. »

Vous aimez parler de votre “force créatrice”, mais vous avez également établi des critères clairs pour le processus de conception chez Porsche. Comment gérez-vous cette ambivalence ?
« Il est toujours difficile pour les designers de rationaliser ce qu’ils font. La plupart du temps, il s’agit d’une intuition pure. Mais c’est exactement ce qui constitue la base de tous nos investissements. Les développeurs de moteurs disposent de bancs d’essai mesurables. C’est pourquoi j’ai cherché un moyen de structurer notre intuition et notre méthodologie pour la rendre mesurable d’une manière ou d’une autre. »

Le résultat est une méthode de conception originale. À quoi ressemble-t-elle ?
« Parmi les douze archétypes traditionnels de la psychologie, nous en avons sélectionné trois qui s’appliquent à nous : le héros, le créateur et le rebelle. Nous avons décidé de donner des visages à ces archétypes : James Dean, Ferdinand Porsche et Steve McQueen (ci-dessus). Nous pouvons imaginer la direction que doit prendre le design pour correspondre à ces protagonistes. La suite est la partie la plus difficile du processus. Nous appliquons des termes clés – “tension”, “objectif” et “focalisation” – aux trois visages, ce qui nous aide à traduire les idées en design concret. La focalisation fait référence au héros, l’objectif au créateur et la tension au rebelle. »

Cette philosophie a-t-elle réellement un impact sur le design ?
« Les trois termes reflètent nos valeurs et servent donc d’inspiration pour nos processus internes. Par conséquent, tout le monde a soudain en tête des images qui décrivent une direction. Pour moi, le design est bien plus que la simple conception de formes. Il s’agit aussi de concevoir une marque. Et c’est là que cette cohérence entre en jeu. Le résultat est en fin de compte une identité. »

Comment interpréteriez-vous l’intemporalité ?
« Ce terme m’aide à comprendre ce que la marque Porsche représente depuis de nombreuses années et ce que nous voulons communiquer pour son avenir. Pour être irrésistible, une création doit être esthétique et chargée d’émotion. Dans un monde plein d’explications, le design doit à lui seul être explicite. »

Salon de Genève en mars 1949 : le cabriolet et le coupé 356 font leur première apparition sur le stand “Porsche”.

Avez-vous eu du mal à concevoir votre première 911 ?
« J’ai été heureux que mon premier projet ne soit pas la nouvelle génération de la 911. J’ai eu suffisamment de temps pour comprendre ce qui distingue une Porsche dans son univers. En ce qui concerne la 911, ce ne sont pas les dix personnes habituelles de l’entreprise qui ont leur mot à dire, mais plutôt une centaine. Il ne s’agit pas seulement de savoir si la voiture est attrayante, mais aussi si elle reste une 911. Car la 911 porte une grande responsabilité : c’est la tête de la famille Porsche. »

La naissance d’une génération de 911 n’est pas due à un designer ou à un ingénieur, mais à une (très) grande équipe.

Lorsque vous vous attaquez à un projet de nouvelle génération de 911, comment gérez-vous ce niveau de responsabilité ?
« Tout d’abord, nous procédons comme si la nouvelle 911 était un projet comme un autre. En tant que designer, il ne faut jamais se sentir limité dès le départ. Nous avons besoin de provocations ciblées pour progresser. Puis, au moment de la conception proprement dite, on se demande jusqu’où il faut aller. Les designers doivent être courageux et notre travail consiste à provoquer en permanence la discussion et à présenter des alternatives à débattre. La vraie question est la suivante : jusqu’où allons-nous ? À mon avis, nous, les designers, serons encore plus impliqués dans le processus de planification que nous ne le sommes aujourd’hui, en nous concentrant davantage sur la stratégie du produit. »

Comment savoir si les décisions que vous prenez vont suffisamment loin ou si vous êtes allés trop loin ?
« Vous pouvez l’évaluer assez efficacement à partir des premières réactions que vous recevez lorsque vous introduisez un modèle en interne et que les personnes concernées s’exclament immédiatement : “Cela ne ressemble plus à une Porsche”, ou “Cela ne ressemble plus à une VW”. Vous savez alors que vous êtes allé un peu trop loin et que le design n’est pas facilement compréhensible pour quelqu’un qui n’y a pas travaillé aussi intensément. Mais si vous êtes convaincu du bien-fondé de ce que vous proposez, alors il vaut mieux se battre pour cela. »

Quelle sera la 911 de demain ?
« Nous travaillons déjà sur le projet “911 – Année 2050”. Nous nous projetons très loin dans l’avenir et sautons sciemment trois générations de véhicules. Il nous est impossible de savoir aujourd’hui de quel type d’architecture et de de chaîne de traction la 911 aura droit. Mais c’est plus qu’une expérience de pensée. Elle constitue une source d’inspiration concrète pour les processus actuels. Nous nous projetons dans l’avenir, puis, comme des chercheurs, nous travaillons à rebours, par exemple jusqu’en 2030. Il en résulte des images, des perspectives et des cadres sociaux différents, comme si nous avancions de manière purement évolutive. »

À quoi ressemblera cette prochaine 911 ?
« Rassurez-vous : à une 911. Même si quelques éléments du design vont changer, on verra au premier coup d’œil qu’il s’agit bien d’une 911. Mais d’une toute nouvelle 911. »

Interview réalisé par le magazine Christophorus : https://www.porsche.com/france/aboutporsche/christophorusmagazine/ Communication et photos Media Porsche

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