Citroën fait taire les grincheux. Avec sa ë-C3, la voiture électrique sera enfin accessible au plus grand nombre. Cinq places, compacte, crossover des villes, cette ë-C3 de seulement 4,01 m de longueur est d’ores et déjà disponible à la commande, avant son arrivée sur le marché, en début d’année 2024. Elle sera suivie des versions thermiques elles aussi attendues en 2024.
Pour cette nouvelle reine de la gamme – 4e génération de C3 -, on peut imaginer que la marque a maitrisé son renouvellement, l’expérience aidant. Mais Citroën n’est pas un constructeur comme les autres. Depuis la nuit des temps, le renouvellement de ses pépites se fait souvent en (re)partant d’une page blanche. Quels points communs entre une CX et une DS qu’elle remplaça en 1975 ? Quelles autres similitudes trouve-t-on entre une Saxo et une 2CV ? Dès lors, il était acté au lancement du programme de renouvellement de la C3 que Citroën resterait Citroën : innovant, audacieux et respectueux de l’ADN du double-chevron.
Pour autant, avec un constructeur qui peut s’enorgueillir de 104 ans d’expérience, la genèse de cette 4e génération n’a pas été celle d’un coup de crayon magique. Ni même celle d’une étude savamment orchestrée après une recherche d’avant-phase réalisée par une équipe de designers pérenne, le tout dans un groupe où Citroën a très légitimement sa place.
Rien ne s’est tout à fait passé comme ça. Si le résultat est finalement enthousiasmant avec une berline capable d’établir une nouvelle référence en matière d’accès à une offre électrique, sa naissance s’est opérée aux forceps. Côté design, nous avons pu rassembler quelques témoignages d’une genèse pas aussi limpide qu’on aurait pu le penser. Pour l’expliquer, il nous faut remonter (un peu) le temps…
Nous sommes en 2018. Citroën s’est séparé de sa branche « ligne DS » depuis quatre ans – en perdant sans doute plus que DS n’y a gagné – et elle s’appuie principalement sur une C3 énergique, née deux ans plus tôt, et voit vieillir sa gamme avec ses Picasso attaqués par les crossovers. Quant à la toute nouvelle C4 (3e génération, ci-dessus), elle est encore loin de l’industrialisation. Ce sera chose faite en cours d’année 2020.
C’est donc en 2018 qu’un premier changement vient secouer le train-train habituel d’une étude produit. Alexandre Malval, directeur du design de la marque (ci-dessus), boucle ses valises, avec ses shorts et ses polos, pour rejoindre le soleil du sud de la France, à Sophia Antipolis. Il prend la direction du centre de design avancé Mercedes, l’un des studios satellites du centre de design de la maison mère implanté à Sindelfingen.
Alexandre Malval et ses équipes chez Citroën ont créé la C3 de 2016, celle qui a soutenu à bout de bras la marque. Il s’est ensuite occupé du programme de la C4 III, et a lancé le projet C5 X. Il participe à cette époque à l’avance de phase du remplacement de la C3 qui vient tout juste d’être dévoilée au public. L’espace temporel vu d’un cerveau de designer n’est pas tout à fait identique au nôtre.
A peine embryonnaire, notre fameuse C3 de 2024 voit donc son premier papa quitter la maison. Pas de souci, la nurserie est vaste. C’est pourtant de l’extérieur que vient le remplaçant de Malval. C’est le belge Pierre Leclercq, alors à quelques jours de signer son contrat chez Kia pour devenir responsable design monde de la marque, qui va s’approcher du berceau. Jean-Pierre Ploué, alors directeur du design des marques du groupe PSA, le contacte avec succès le 11 juillet 2018, alors que le Belge a momentanément quitté la Corée pour venir voir son équipe de foot perdre face à la France en demi-finale de la coupe du Monde. Excellent timing pour Ploué !
Pierre Leclercq, ci-dessus pensif devant la maquette en Clay de la C5X, découvre le plan produit en place, et s’extasie devant les concept-cars Ami One et 19_19 qui sont dans les tuyaux. Il comprend également qu’il devra vivre quelques années (3 à 4 ans) à défendre le travail de son prédécesseur, en attendant de pouvoir marquer de sa patte le nouveau style Citroën. Il restructurera toute l’équipe pour ce faire en conservant très peu de fidèles de la période précédente. Le programme de la future C3 semble être tout à fait opportun pour atteindre l’objectif de Leclercq. Fin du premier acte.
Moins de six mois plus tard, en avril 2019, la marque Citroën annonce vouloir partir à la conquête du marché Indien. Il faut rappeler qu’à cette date, le groupe PSA n’est pas encore intégré à ce qui va devenir Stellantis. Carlos Tavares – le président du directoire – ne doit alors gérer « que » les marques Citroën, Peugeot, DS, Opel et Vauxhall… A DS la Chine, à Peugeot les… USA et à Citroën l’Inde. La directrice de la marque Citroën est alors Linda Jackson ci-dessus (arrivée à la tête de la marque le 1e juin 2014) qui officialise l’arrivée de Citroën en Inde, à l’occasion d’une conférence de presse donnée à Chennai, dans le sud de l’Inde, en présence de Carlos Tavares en personne.
Quel rapport avec la C3 de 2024, ci-dessous ? Énorme, puisque la volonté d’être présent en Inde (ci-dessus, la berline du programme CC21) avec des produits dédiés au marché, associée à la dynamique volontariste de rentabilité actée par Carlos Tavares, va avoir un impact direct sur le programme de la C3 dite européenne. Pour répondre à l’enjeu indien, Citroën annonce en 2019 vouloir lancer « une gamme de nouveaux modèles – un par an – à vocation internationale, dont le premier sera lancé d’ici fin 2021. »
C’est le fameux programme « C Cubed » ou C3 (C au cube) qui a depuis donné naissance aux C3 (berline citadine crossover) et C3 Aircross (crossover 5 et 7 places) indiennes, également introduites sur les marchés de l’AMLAT (Amérique Latine). Cette gamme sera prochainement complétée par une silhouette de type crossover coupé. Nous y reviendrons à la fin de ce post.
Dans un premier temps, le programme de la C3 européenne, ci-dessus, qui commence à prendre forme à Vélizy, va être intégralement dépendant du C-Cube. Carlos Tavares souhaite effectivement que la version européenne soit directement dérivée de la version Indienne. Mieux (ou pire ?), il souhaite qu’elle soit produite en Inde et exportée vers l’Europe. Tout ça va dans le sens d’une recherche d’un prix d’accès très compétitif, mais l’idée est heureusement rapidement abandonnée.
Côté indien, le programme C-Cube s’est effectivement vu octroyer une production avec des sous-traitants locaux qui, sans être dévalorisant, a nécessité un énorme travail au niveau de l’obtention d’une qualité aux standards du groupe. Il est alors impensable que la C3 européenne suive le même chemin. La C3 de 2024 abandonne donc l’idée d’une production en Inde. Pour autant, les architectes du produit ont gain de cause : la plateforme de la version européenne sera dérivée de celle de la version indienne : il s’agit de la CMP disponible en version 100% électrique (ci-dessus, celle de la DS3) avec une définition basique pour l’Inde, que les équipes européennes vont très largement améliorer pour le Vieux Continent. Mais à ce stade, il faut à nouveau parler de calendrier.
Le 15 janvier 2020, Linda Jackson quitte son poste de directrice de la marque Citroën (elle deviendra directrice de la marque Peugeot à l’annonce de la structure définitive de Stellantis) et elle est remplacée par son directeur adjoint, Vincent Cobée ci-dessus. Une fois abandonnée l’idée d’une importation de la C3 indienne, ce dernier et ses équipes produit et design vont imposer trois impératifs au développement du projet de la C3 européenne : une voiture produite en Europe, une voiture innovante avec le combiné tête haute inédit (ci-dessous) et une voiture légitime en termes de confort, avec la suspension à double butées hydrauliques à tous les niveaux de l’offre. Ce qui n’était pas le cas lorsque Linda Jackson a laissé le projet à son départ.
Vous l’imaginez, ces trois points forts ont nécessité de nombreuses heures de débat. Nous n’y étions pas, mais on peut facilement penser que le « i-cockpit made by Citroën » n’a pas dû réjouir les cousins de Peugeot ! Pour le confort à tous les niveaux de gamme, ce fut sans doute plus simple à faire passer. Quant à l’usine de production, le débat a été intense. Produire en Europe, oui, mais où ? Ce sera finalement dans l’usine slovaque de Trnava. Un moindre mal lorsqu’on apprend récemment que la cousine Fiat Panda sera fabriquée en Serbie, au grand mécontentement du syndicat de l’usine italienne historique de Pomigliano d’Arco, érigée pour l’Alfasud, mais qui produit aujourd’hui la Panda.
Le 16 juillet 2020, avant même que la fusion entre les deux géants PSA et FCA (Fiat Chrysler Automobiles) ne soit totalement révélée, le nom de ce nouveau groupe est dévoilé : ce sera Stellantis (ci-dessus), issu du verbe latin « stello » qui signifie « briller d’étoiles ». Le communiqué annonce que « la finalisation du projet de fusion devrait avoir lieu au premier trimestre 2021. » Comme annoncé, la mise en orbite du géant Stellantis est effective le 16 janvier 2021.
A ce moment-là, le projet Indien de la C3 est pratiquement arrivé à son terme puisque le 16 septembre 2021, la C3 Indienne (ci-dessus) est dévoilée : « Citroën renforce sa dimension internationale en dévoilant Nouvelle C3, berline polyvalente de moins de 4 mètres qui permettra à la Marque de se développer en Inde et consolider sa présence en Amérique du Sud. C’est le premier modèle d’une famille de 3 véhicules à vocation internationale, développés et produits en Inde et en Amérique du Sud, qui seront commercialisés dans ces deux régions au cours des 3 prochaines années. » Aucun commentaire sur la C3 européenne, évidemment. Et pourtant, le programme progresse à grands pas et le design Citroën prépare un formidable coup !
Un an plus tard effectivement – en septembre 2022 -, le concept-car Oli (ci-dessus) est dévoilé. Ce véritable manifeste pour un véhicule conçu pour la nouvelle ère de la mobilité électrique durable, a été enfanté par l’équipe de Frédéric Duvernier, alors responsable des concept-cars Citroën. Ce dernier est aujourd’hui directeur du design exter de Lancia et a été remplacé chez Citroën par Pierre Sabas en provenance de Renault. Oli, c’est l’OVNI pétri de l’ADN de Citroën qui explique « qu’il a pour mission d’inspirer l’avenir de la mobilité familiale abordable, durable et joyeuse. »
C’est effectivement une joyeuse effervescence qui s’empare alors de la presse : « et si Oli préfigurait la C3 de 2024 ? » A l’époque, les dessins de cette dernière publiés dans la presse spécialisée sont tous issus de la version indienne, rajoutant au malaise d’une communication qui s’avère compliquée. Au final, Oli qui mesure 20 cm de plus que la C3, va toutefois apporter plusieurs thèmes forts à cette Citroën européenne pour se différencier de sa cousine indienne : la signature lumineuse inédite, le langage formel plus tendu sur la face avant et la poupe ainsi que le nouveau logo (ci-dessous) ancré sur une proue totalement verticale. Le logo est également apposé sur un bandeau transversal à l’arrière.
Pour passer de la C3 du programme C-Cube à la C3 européenne, la mission des designers n’a pourtant pas été aussi simple. Les premières maquettes avec la nouvelle signature lumineuse, la proue verticale et le logo gigantesque ressemblent à l’esprit de Oli, certes, mais dans son côté « command car. » Elles affichent un esprit trop brutal, loin de la jovialité qu’on attend de la C3 de 2024 . C’est pourtant la voie que veut suivre Pierre Leclercq pour lancer la marque vers de nouveaux horizons, avec un langage formel radicalement opposé au précédent.
Il lui faudra pourtant mettre de l’eau dans son vin. Si l’idée de ne pas faire deux clones entre l’Europe et l’Inde s’est imposée rapidement, le delta des modifications possibles a considérablement évolué. Tout a été contraint par les valeurs de la marque – chaleur, humanité, … – et un planning serré. Le style de la version européenne a donc dû conserver toute la structure architecturale de la version indienne : capot haut, arrière quasi-vertical et pavillon plat.
Au cœur de la genèse du design, Jean-Pierre Ploué (ci-dessus à droite avec son alter-égo du design Stellantis US : Ralph Gilles) qui vole entre Turin, où est implanté le studio de design des marques italiennes de Stellantis, et Vélizy où est celui des marques françaises, est obligé de jouer son rôle d’arbitre. Logique, il en va de sa responsabilité. On ne peut donc pas dire que le design soit né d’un seul coup de crayon !
Lorsqu’on voit les versions européennes et indiennes côte à côte ci-dessus, il est certain qu’elles partagent une architecture identique avec des styles divergeant sur l’identité de la marque, à l’avant et à l’arrière. Au centre, c’est un no man’s land commun aux deux voitures, même si les emboutis ne sont pas les mêmes. On a vu pire chez Citroën, avec une Saxo ressemblant à une Peugeot 106 et pourtant sans aucun embouti commun. Cela semble donc ironiquement une sorte de savoir-faire chez Citroën.
Après de nombreux débats, le gel du style est enfin validé, y compris sur la version C3 Aircross 7 places qui a été dévoilée en filigrane (ci-dessus) lors de la présentation de la C3 en France, à Meudon, le 17 octobre 2023. Cette révélation a eu lieu dans le ‘Hangar Y’. C’est ici que Renault avait également présenté son concept-car Mégane Vision 100% électrique. Ce bâtiment est un monument historique d’une superficie de 4000 m2, de 23 m de haut et 70 m de long. Le programme C3 pratiquement validé, il reste encore quelques questions clés qui attendent des réponses.
Comme celle du développement d’une batterie pour une potentielle version low-range de la ë-C3. Elle est opiniâtrement demandée par l’équipe de Vincent Cobée, mais au sein de la nébuleuse Stellantis, Fiat ne semble pas vouloir suivre. Au final, cette version dotée d’une autonomie de 200 km est rapidement présentée à Meudon, avec un prix d’appel à 19 990 €, aux côtés de la version à 23 300 € et 320 km d’autonomie.
Elle semble avoir été ajoutée au dernier moment. et n’apparait pas sur le site de pré-vente de la ë-C3. Logique, elle sera commercialisée plus tard… Mais sa présence est de bonne guerre car Renault présentera sa Twingo électrique seulement un mois après, pour une commercialisation en 2026. Sur le thème brûlant de la petite berline 100% électrique à 20 000 €, les deux constructeurs se marquent à la culotte. Et devraient griller la politesse à leurs concurrents.
Mais alors que le programme de la C3 européenne est abouti et enfin maîtrisé, Vincent Cobée cède son siège de directeur de marque en mars 2023 à Thierry Koskas (ci-dessus), nommé Directeur Général de la marque Citroën et Directeur des ventes et du marketing de Stellantis. Double casquette, comme désormais tant d’autres grands managers chez Stellantis. Et avec des interrogations : pourquoi Olivier François est-il à la fois directeur des marques Fiat et DS ? Pourquoi Philippe Imparato est-il directeur de la marque Alfa Romeo et des programmes de V.U. ? Les raisons nous échappent.
Vincent Cobée (ci-dessus avec Pierre Leclercq et Laurence Hansen, directrice du produit) paie-t-il sa volonté farouche de positionner la ë-C3 où elle est finalement aujourd’hui ? On doit également à l’ancienne direction l’idée de pousser la vente de la C3 sur des marchés porteurs en Europe. Les belles performances réalisées par exemple en Turquie montrent le bien-fondé de cette volonté de porter ce marché, avec l’Inde et l’Amérique latine, au cœur de la stratégie Citroën.
C’est là qu’il est question de la fameuse troisième silhouette de C3 aperçue camouflée en Inde et en Amérique Latine : la C3 « crossover dynamique », sorte de coupé Aircross compact à cinq places (ci-dessus, photos https://www.passionnement-citroen.com/ .) Est-elle prévue en Europe ? Elle ferait sans doute un tabac sur nos marchés, surtout en Turquie justement, et certains ont poussé pour son industrialisation là-bas. Mais cette variante pourrait alors devenir un sacré concurrent pour la grande sœur C4 berline 5 portes… Affaire à suivre.
Pour finir, signalons que la genèse de la petite Citroën, pavée de quelques embuches, aura finalement servi à défricher ce chemin pour les « cousins » de chez Fiat. Avec la Panda de 2024, le constructeur italien va pouvoir servir (presque) le même concept technique et marketing que celui de la C3 sur les marchés européens. Sans sueur et sans labeur ! Ci-dessus, la version basique de la C3, la ‘You’ : la base “technique” de la future Panda ?
Ce n’est évidemment pas une surprise puisqu’à l’annonce de la formation du groupe Stellantis, Carlos Tavares répétait à l’envi que les synergies de cette fusion (14 marques) ne permettaient pas seulement de réduire les coûts, « mais sont aussi source de chiffres d’affaires, grâce à un processus très efficace de développement qui permet de proposer des voitures sœurs très rentables. »
Alors, si ça reste en famille…
En conclusion, rappelons que du lancement du programme à sa commercialisation, la nouvelle C3 aura connu deux directeurs de design (Alexandre Malval et Pierre Leclercq) et surtout, trois directeurs (et directrice…) différents à la tête de la marque: Linda Jackson, Vincent Cobée et Thierry Koskas. Citroën aime décidément les records !
Photos du sujet : Communication Citroën, William Crozes @ Continental Productions, archives de l’auteur et Design Citroën.