Début des années 2010. Dans l’un des centres d’essais secrets du groupe PSA, comme tous les ans, quelques cadres sont invités à découvrir les gammes futures des marques Citroën et Peugeot. DS n’existe pas encore et n’est pour l’heure qu’une « ligne premium » dans la gamme Citroën.
Sur l’esplanade réservée aux modèles Peugeot, il y a là les maquettes en polystyrène des futures 3008 et 5008 – celles qui connaissent aujourd’hui le succès – et, un peu plus à droite, celles d’un projet encore appelé R8 qui deviendra la 508 en 2018.
Derrière ces maquettes, trois dessins de trois silhouettes différentes : celles d’une berline « coupé 5 portes », d’un break volumique et d’un ‘shooting-brake’.
L’un des participants ne cachera pas à certains des invités qu’une autre silhouette est envisagée, reprenant l’intégralité du bloc avant de la plateforme EMP2 du projet R8 pour en dériver un coupé susceptible de renouveler le RCZ.
En 2010, ce dernier, produit en Autriche et voulu par le patron Christian Streiff alors remplacé par Philippe Varin, vient juste d’être commercialisé et déjà, quelques dessins du restylage sont sur les planches du bureau de design Peugeot.
Bref, le renouveau ‘produits’ de Peugeot s’annonce bien mais hélas, il en est alors tout autre de la situation financière du groupe.
Jeudi 6 décembre 2018, le groupe va nettement mieux à tel point qu’il a même digéré Opel ! En atterrissant sur les pistes de l’aéroport de Lisbonne pour les essais de la Peugeot 508 SW (le fameux break dynamique finalement retenu au début des années 2010…), c’est bien à la « silhouette » coupé R8 sacrifiée sur l’autel de la rentabilité à laquelle je pense.
Rentabilité, certes, mais il existe dans les grands groupes quelques soient leurs domaines d’actions, de multiples produits pas excessivement rentables sur le pan « comptable » mais extraordinairement rentables pour leur image.
C’est un calcul que d’autres se permettent lorsqu’ils sont en bonne santé et PSA l’est redevenu depuis, non ? Mais une autre petite voix me susurre que c’est justement grâce aux choix effectués par Carlos Tavares de réduire la voilure en termes de silhouettes que le groupe a recouvré la santé.
Ci-dessus la silhouette SW de la 508. Ci-dessous, celle de la berline “coupé 5 porte”.
Notez que l’embouti des portes arrière est identique, seul le virage et le fenestron évoluent. Malin !
Bref, c’est vers un break dynamique que je me dirige jeudi dernier. La Peugeot 508 depuis son lancement le 7 octobre a déjà rempli son carnet de commandes.
Plus de 7000 avec la silhouette berline « coupé » 5 portes. Le dérivé SW entre lui de plain-pied dans un marché du segment « D » européen où une voiture achetée sur trois est un break !
Et avec une différence tarifaire d’environ 1300 euros seulement entre la berline et le break, on est tenté d’emblée de vous conduire au choix de ce SW !
D’autant que oui, la bête est belle. Mes confrères qui ont sorti leur décamètre pourront pourtant vous dire que le coffre de la nouvelle 508 SW offre moins de volume que sa devancière.
Mais à mes côtés, Bernard Hesse, l’un des maîtres d’œuvre du projet R8 me certifie que le volume « sous tablette » reste identique avec 530 litres. Il est malin Bernard, car le tendelet est haut perché dans le coffre, grâce à une silhouette extérieure racée à la ceinture de caisse dynamique et haute à l’inverse du vitrage aux dimensions plus contenues permettant de cacher facilement le positionnement haut de ce tendelet !
Cette silhouette a été conçue et développée en même temps que la berline. C’est le designer Sylvain Henry (ci-dessous) qui s’en est chargée.
Si les premières esquisses étaient très semblables à celles du concept-car Instinct (voir “bonus” à la fin de ce post), la finalité du projet s’est bien sûr heurtée à d’autres réalités.
Le designer a dû composer en réutilisant l’embouti des portes arrière et le bandeau des feux arrière de la berline.
Concernant les portes, l’absence de cadre à permis de conserver les emboutis des portes de la berline et surtout, de faciliter l’accès à bord malgré un dessin fuyant du pavillon.
Le pavillon de la SW s’élève légèrement au niveau du rang 2 (de la banquette arrière donc, elle aussi issue de la berline) et offre du coup une meilleure garde au toit aux passagers : + 4 cm par rapport à la berline.
Le SW conserve sa ligne de ‘shooting-brake’ et cela devient criant lorsque vous vous placez contre la porte arrière avec un pavillon qui ne toise qu’à 1,42 de hauteur. Superbe !
Et c’est d’autant plus incroyable que plus de 80 % des pièces sont communes entre le SW et la berline !
Le groupe PSA est devenu l’un des maîtres en la matière. J’ai en mémoire l’astuce que les équipes de Citroën avaient développée pour les ‘berline’ et ‘coupé’ C4 de 2004 qui avaient le même embouti de pavillon pour deux silhouettes pourtant très différenciées !
Et les architectes et designers d’Opel commencent eux aussi à comprendre ces astuces de conception et de design…
Il est vrai que cette 508 SW change la donne dans le segment. Elle est en phase avec la stratégie de Peugeot de devenir la meilleure marque généraliste haut de gamme avec sa volonté de monter en gamme. On en est à comparer cette nouvelle venue avec les « premium » allemands et de chercher la petite bête dans des détails sans doute invisibles pour le client lambda mais qui montrent que Peugeot ne se trouve pas très loin de la production allemande sur ce plan.
Parmi ces détails, citons-en un concernant le design avec (à gauche ci-dessous) une ligne de jonction de l’optique avec l’aile qui n’est pas « raccord » avec celle qui la relie au bouclier (une Mercedes réussit à prolonger ses deux lignes…) et un autre (ci-dessous à droite) concernant les joints.
Celui qui… joint la porte arrière au côté de caisse a un aspect « fondu dégoulinant » pas très esthétique. Ce à quoi le constructeur répond à juste titre que le fournisseur de joints est celui… des ‘premium’ allemands ! La satisfaction viendra évidement des modèles auxquels on compare désormais une Peugeot !
A bord, le ‘i-Cockpit’ qui a déjà séduit cinq millions de clients aura toujours ses partisans et ses contradicteurs. Je fais partie de la première catégorie et j’adore ce petit volant qui instantanément traduit un dynamisme réel. Un dynamisme emmené par des moteurs connus, ceux de la berline : deux motorisations essence (1.6 l) de 180 et 225 ch. Trois diesel (1.5 à 2.0 l) de 130 à 180 ch. Pas assez de puissance diront certains de mes confrères aux décamètres et chronomètres qui critiquent la lettre et moins l’esprit…
J’ai l’espoir qu’avec la nouvelle plateforme EMP2 PHEV (traduction : le châssis actuel avec des batteries, un ou deux moteurs électriques et une prise de recharge pour 50 kilomètres d’autonomie en tout électrique) dont une version « 4×4 » de 300 ch pour l’heure réservée au futur 3008 PHEV, Peugeot tient là une superbe chaîne de traction pour un éventuel coupé sportif !
Mais Bernard Hesse douche une seconde fois cet espoir en me soufflant « qu’avec les nouvelles normes WLTP (normes de rejets CO2 sévérisées) sur lesquelles Peugeot est arrivé avec un an d’avance, vous verrez de nombreux concurrents réduire drastiquement leurs gammes en termes de versions, voire de silhouettes. »
Peut-être qu’un jour, la très spectaculaire vision de nuit par caméra infrarouge disponible sur la 508 verra apparaître au milieu des piétons, des sangliers et des biches, la silhouette d’un coupé désormais plus que jamais fantomatique…
BONUS : Peugeot 508, l’héritage de plusieurs concept-cars…
Voici résumé par les visuels les origines du style des berline et break Peugeot 508
Le thème de la silhouette “berline- coupé 4/5portes”
Concept-car Exalt, 2014 – Preview du projet R8/508 de série.
Concept-car RC Hybrid4 avec moteur central arrière, quatre places et quatre portes.
Nous sommes en 2008 et le design Peugeot est sous la responsabilité pour quelques mois encore de Jérôme Gallix
Le thème du bandeau des feux arrière
Le concept-car Onyx de 2012 reste un jalon fort dans l’histoire récente de Peugeot. Il aborde déjà cette notion de bandeau de feux arrière.
Ci-dessous, le concept-car Quartz (qui préfigure les 3008/5008) peaufine deux ans après l’idée du bandeau de feux arrière que l’on retrouvera sur toute la gamme Peugeot.
Le thème du “i-cockpit”
En 2010, l’identité Peugeot évolue avec un logo redessiné et un concept-car emblématique : le SR1. On y trouve déjà les bases du i-Cockpit (ci-dessus)
Le projet A9 de la 208 est le premier en série à adopter le i-Cockpit (ci-dessus une maquette d’études)
Le concept-car Exalt jette les bases de la planche de bord de la future 508.
Un petit exploit est d’avoir pu conserver cette architecture novatrice avec toujours, bien sûr le i-Cockpit…
Le thème du R82 “Shooting-break”
Evidemment, le concept-car Instinct de 2017 préfigure le break 508 SW.
Si vous comparez l’esquisse ci-dessus du concept-car Instinct avec celle du break R82/508SW publiée au début de ce post, vous y trouverez de grandes similitudes !