Renault 5 Turbo 3E. “Merci pour ce moment”

Le 5 octobre 1978, je suis en prison. Oh, pas tout à fait. Je suis interne au lycée technique de Chalon-sur-Saône avec un règlement assez strict : le seul jour de sortie autorisé est le mercredi. Or AUTOhebdo, ma revue addictive née deux ans plus tôt, sort le jeudi. Pas de souci, l’amitié qui lie les veinards d’externes et les internes enfermés (!) n’est pas feinte et chaque jeudi, je donne une pièce de 5 Francs à un pote externe afin qu’il me rapporte ma quantité hebdomadaire de drogue littéraire.

La toute première maquette de la R5 Turbo en 1978 n’a pas encore ses ailes arrière définitives. Ni son aileron de pavillon.

Ce 8 octobre 1978, il n’y a ni internet, ni portable, et il est impossible de connaître à l’avance la « Une » de la revue. C’est toujours une surprise. Je ne le sais pas, mais quelques mois auparavant, une surprenante maquette dessinée par Marc Deschamps (ci-dessus), designer Renault jusqu’en 1979, a pris corps puis a été finalisée chez Bertone, alors dirigée par Marcello Gandini. Ce dernier offrira à cette drôle de maquette un habitacle digne d’un dessin de Picasso (Pablo, pas la Citroën…) avec son volant anti-ergonomique ci-dessous…

Mais alors que je devrais être heureux de découvrir « l’hebdo » pour le dévorer lors des heures d’études du soir, c’est tout l’inverse qui m’arrive. Mon pote revient les mains vides et me rend ma pièce. « L’hebdo est passé à 6 Francs » me lâche-t-il comme raison de son retour bredouille. « Quoi ? » lui dis-je coi. Étudiant sans le sou et sans autorisation de sortie, il me faudra donc attendre près de 72 heures pour découvrir enfin AUTOhebdo du 5 octobre 1978.

La torture en valait la peine : une incroyable R5 bodybuildée trône en couverture, c’est la « Turbo » ! Renault a gagné le Mans cet été 1978 face aux Porsche jusqu’alors invincibles et cette boule rouge de R5 Turbo veut riposter, comme l’indique le titre de UNE du magazine.

En 2018, Renault célébrait magistralement les 40 ans de sa seule victoire aux 24 Heures du Mans.

Riposter à quoi ? Je ne le sais pas encore, et il faudra patienter car la version de série de la R5 Turbo ne sera présentée que deux ans plus tard, en 1980. D’où le nombre d’exemplaires que Renault produira de sa toute nouvelle R5 Turbo 3E, l’objet de cette chronique temporelle.

La R5 Turbo sur son podium au salon de Paris 1978.

En 1978 Renault abandonne l’endurance et souffre en Formule 1, un championnat qu’elle a rejoint en 1977. Avec la R5 Turbo, elle s’apprête à jouer dans la cour des grands dans l’univers des rallyes. F1 + Rallyes, c’était possible dans les années 1980. Autant vous dire que la révélation de la R5 Turbo 3E d’abord dans la série d’Amazon Prime, puis désormais officiellement, a ravivé de sacrés souvenirs.

Replacée dans son contexte de 2025, la présentation de cette R5 Turbo 3E semble être un nouveau coup de massue en termes de communication et de plan produit. Certes, les 1980 exemplaires de cet engin ne vont pas faire de Renault le premier groupe mondial demain matin ! Mais cette annonce conforte l’impression de rouleau compresseur à nouveautés qu’est devenu le groupe français.

Renault évoque une “mini-supercar” et à ce titre, elle se dote d’une fiche technique impressionnante : 540 chevaux, 0-100 km/h en moins de 3,5 secondes, superstructure en carbone, etc. S’y ajoutent des moteurs électriques intégrés aux roues arrière.

R5, R4, Twingo, Rafale, Symbioz, Scenic, Bigster, A290, A390 : c’est un feu d’artifice depuis l’arrivée de Luca de Meo et de la formation de ses équipes, notamment au design avec le transfert de Gilles Vidal et de Sandeep Bhambra venus de chez Peugeot, la nomination de David Durand à la tête du design Dacia, où quelques pointures de Citroën l’ont rejoint, et l’annonce du renouveau d’Alpine en tant que marque. Et voilà aujourd’hui l’objet inattendu car incongru, et c’est là sa force.

Avec la R5 Turbo 3E, Renault touche une fibre sensible qui séduira immanquablement une partie d’une clientèle qui a, comme moi, médité devant les R5 Turbo et autres F1 Turbo. Renault n’était pas le seul à nous faire rêver, il y a eu également la sensationnelle révélation de la Peugeot 205 Turbo 16 (ci-dessous) trois ans après la bombe Renault, en 1983. Si la technologie Turbo a fait les beaux jours des modèles Renault de série de la décennie 1980, la Turbo 16 a renforcé l’image de dynamisme de Peugeot dans ces mêmes années.

La maquette de la Peugeot 205 Turbo 16 sur la terrasse de présentation de la Garenne.

Là encore, comme pour la prochaine Renault 5 Turbo 3E, la 205 Turbo 16 avec ses 200 exemplaires a eu un impact négligeable dans les tableaux Excel de la comptabilité de PSA, mais elle a revigoré de manière diabolique l’image de Peugeot, accompagnée des victoires en championnat du monde des rallyes. Par la suite, outre la saga des GTI (le nouveau patron de Peugeot parlerait d’un retour de ce sigle magique…), le coupé RCZ ci-dessous plus contemporain a été rendu possible grâce au patron Christian Streiff.

Car il ne faut pas se leurrer, pratiquement tous les constructeurs sont potentiellement capables d’imaginer une R5 Turbo 3E, à condition d’avoir une histoire, excluant de fait les constructeurs Chinois. Mais rares sont les patrons a s’y intéresser et surtout, à signer la mise en production, certes limitée, mais extraordinaire en termes de retombées et d’image.

La R5 Turbo 3E est 100% électrique et avec son architecture 800 volts, elle maximise ses performances côté recharge. Sa puissance de charge de 350 kW lui permet de passer de 15 à 80 % de batterie en seulement 15 min.

J’évoquais l’arrivée d’Alain Favey, nouveau boss de Peugeot qui œuvre sous la responsabilité du dynamique Jean-Philippe Imparato, aujourd’hui directeur des opérations Européenne de Stellantis.  Ce nouveau patron n’a sans doute besoin de personne pour comprendre que sa marque est en attente d’un tel électrochoc. Il va venir, on en est certain, mais le pataquès des plateformes « e-native » sensées être 100% électriques (ci-dessous) qui ont finalement tiré le frein à main pour (re)devenir multiénergie a imposé quelques retards à l’allumage des nouveaux produits. Il y a de forte chance (ou risque, selon où l’on se positionne) que la nouvelle Clio hybride débarque avant la nouvelle 208…

Dès lors, s’il faut encore environ trois ans pour industrialiser un nouveau modèle (bientôt moins de deux à en croire Luca de Meo à propos de la future Twingo), rappelons qu’une petite année suffit à lâcher dans la nature un concept-car fort en gueule et en messages. On ne peut pas imaginer que l’Inception, dernier concept-car Peugeot, ne soit pas suivi dès cette année par un autre manifeste de la marque accueillant cette fois une définition plus précise de la griffe de Matthias Hossann, le boss du design.

Entre temps Gilles Vidal, son ancien patron passé chez Renault, a dévoilé sa nouvelle définition du design des années 2026-2030 avec le concept Emblème ci-dessus. Les cycles sont fait pour mourir et renaître de plus belle. Le gros lion n’est certes pas endormi, mais la cage tarde à s’ouvrir. Alain Favey a sans doute les clés, comme Luca de Meo les avait en 2020 lorsqu’il a libéré l’énergie qui couvait chez Renault. Que Monsieur Favey ne perde surtout pas son trousseau…

La Renault 5 Turbo 3E sera commercialisée dans le courant de l’année 2027, en 1980 exemplaires numérotés. Les réservations ouvriront dans les prochaines semaines et la personnalisation sera poussée à l’extrême, à l’extérieur comme à l’intérieur.

On l’a écrit plus haut, ces belles histoires du renouveau des R5, R4 ou encore Twingo et surtout R5 Turbo 3E, n’auraient pas pu prendre vie sans racine. L’histoire de Renault est riche. De Meo l’a compris. Celles de Peugeot ou de Citroën le sont tout autant. En son temps Carlos Tavares, ci-dessous au volant, malgré sa passion pour le sport, l’a ignoré. Dommage.

Mais il n’est pas (encore) trop tard. Faites-nous rêver messieurs, encore et encore. La bagnole, ce n’est pas seulement une pile, de la tôle et un tarif. Alors merci aux équipes qui ont conçu cette R5 Turbo 3E que je ne piloterai jamais, mais qui a réveillé mon cerveau endolori par certaines nouveautés – notamment Chinoises – sans âme et au design fade, car s’appuyant sur un vide historique abyssal. Sans histoire, il ne peut y avoir de futur solide et inspiré. Et les constructeurs français ont cette immense chance d’en posséder une de plus de 100 ans.

ET ALPINE DONC ?

Nous allons mettre fin à un débat… qui n’a pas lieu d’être ! En découvrant la R5 Turbo 3E, on ne peut s’empêcher de songer à la réaction des amoureux d’Alpine. Pourquoi cet engin est-il une Renault et non une Alpine ? La réponse est d’une logique qui satisfera les amateurs du A fléché. Car elle s’inspire de l’histoire, une fois encore. En 1978, lorsque la maquette de la Renault 5 Turbo originelle est dévoilée au salon de Paris, Alpine est bien vivante et fête les deux ans de son A310 V6 ci-dessus. Celle-là même qui, aux mains de Guy Fréquelin et dans sa version GR.4, bataille en France avec la Lancia Stratos de Bernard Darniche.

Le prototype de l’Alpine A310 avec son accastillage Gr.4.

L’A310 Gr.4 conquiert le titre de championne de France 1977. Sa décoration du nom du sponsor « Calberson » laisse apparaître un gros Renault-Elf sur le capot avant, mais pas d’inscription Alpine. Un gros losange est collé sur son pavillon. La Renault 5 Turbo débarque pour la remplacer, ci-dessous… Premier signe du début de la fin pour Alpine ?

En 1978, Renault gagne le Mans avec une A442 badgée Renault-Alpine V6. Mais cette inscription apparaît en tout petit, à la base de son capot avant, sur lequel un immense Renault-Elf est placardé en partie supérieure. La voiture est une Alpine A442, mais elle est engagée par Renault qui veut, avec elle, soutenir la puissante invasion du turbocompresseur dans ses modèles de série. Une fois la victoire en poche et les hommes du marketing satisfaits, Renault délaisse l’endurance pour se consacrer à la F1. Et aux rallyes avec la R5 Turbo…

Aujourd’hui, Alpine fait toujours partie du groupe Renault et est même devenue depuis 2020 une marque à part entière. Elle a remplacé dans la galaxie du « Renault d’avant Luca de Meo », le label Renault-Sport. C’est Gérard Larrousse qui, en 1976, avait pris la décision de créer Renault-Sport en fusionnant les activités de Gordini et… d’Alpine. Sans pour autant définir clairement le positionnement de Renault-Sport, puisqu’en plus du logo Renault, celui d’Alpine-Renault (puis de Renault-Alpine, la nuance est d’importance) continue alors d’apparaître sur les voitures du Mans.

Après sa disparition en 1995 puis sa renaissance en 2017, Alpine a pris depuis 2020 une petite revanche au détriment de Renault-Sport, et la marque est engagée dans deux championnats mondiaux : la F1 et l’endurance. Et le Rallye ? Que penseriez-vous d’une R5 Turbo 3E dans cette catégorie ? Faut-il encore qu’un règlement soit pondu pour accepter de tels engins 100% électriques… Mais Renault en rallyes, Dacia en rallyes-raids, Alpine en F1 et en endurance, avouez que ça aurait de la gueule, non ? Et vous allez voir que Renault n’est pas avare de reconnaissances envers sa marque sœur.

Comme à la belle époque du BEREX des années 1980 – le bureau d’études qui œuvra pour Dieppe et Alpine notamment – Renault fait la part belle aux travaux d’Alpine sur ce projet de R5 Turbo 3E : “Ce sont les ingénieurs d’Alpine, désormais spécialistes des sportives électriques avec le développement de l’A110 E-ternité, de l’A290 et de l’A390 (ci-dessous), qui ont planché sur le programme. Ils ont mis au point une plateforme dédiée en aluminium sur laquelle toutes les architectures étaient possibles.

Renault fait également un rapprochement historique en expliquant que, “la Renault 5 Turbo 3E (la mini-supercar) arrive en complément de l’offre Renault 5 E-Tech electric (la citadine) et Alpine A290 (la citadine sportive). Avec elle, Renault Group applique la même recette qu’avec le triptyque Renault 5 (1972), Renault 5 Alpine (1976) et Renault 5 Turbo (1980) : la légitimité et l’audace de Renault mixées à l’esprit de compétition et au savoir-faire Alpine.” La R5 Turbo 3E arrivera sur le marché en 2027.

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