Les 30 ans du concept-car Renault Initiale et les secrets de sa descendance avortée

Voici 30 ans, en défiant le temps, le concept-car Initiale réhabilitait la grande tradition de la berline française. Intemporel, il a changé la vision du monde sur le design Renault. Il a hélas échoué à influencer la grande berline de série du constructeur.

Trois décennies, déjà ! Toutes celles et tous ceux nés après l’an 2000 n’ont peut-être pas en tête ce flamboyant concept-car dessiné par Florian Thiercelin, et mené jusqu’à la production en un exemplaire unique (dans tous les sens du terme) par Jean-François Venet, alors responsable des concept-cars chez Renault. Tous deux, hélas décédés depuis, ont laissé une trace indélébile dans l’histoire du design Renault. Dans l’histoire du design automobile. Il faut remettre ce programme dans son contexte pour tous ceux qui n’ont connu jusqu’alors que le troisième millénaire. Montez à bord de notre machine à remonter le (bon) temps…

Un mois avant la présentation du concept-car Renault Argos au salon de Genève 1994, le planning confidentiel de développement du prototype Z06 ci-dessus, arrive sous la forme d’un tableau au format A3 sur les bureaux de Patrick Le Quément, Martine Chevillot, Antony Grade, Michel Jardin, Jean-Paul Manceau, Jean-François Venet, Jean-Marie Souquet et Piero Stroppa. On y apprend que les premiers croquis seront présentés dès le mois de mars 1994, que le choix du thème de style se fera mi-avril et que les premiers maquettages à échelle 1/5e débuteront ce même mois d’avril. Dans le même temps, dans l’atelier de maquettage, la Clio II qui sera commercialisée en 1998 est en plein chantier… Quant à la Peugeot 206, elle n’existe pas encore. Voilà pour le contexte.

La première réalisation à l’échelle 1/1 du concept-car Z06 est programmée pour le mois de juin 1994, pour un gel du style en octobre, près d’un an avant la révélation du concept au concours d’élégance de Bagatelle 1995. Mais Z06, c’est quoi ? Nous connaissons ce concept-car sous le nom d’Initiale Paris, mais écoutons plutôt Patrick Le Quément, ci-dessous, qui était alors le patron du design industriel de Renault.

« lorsque le projet est lancé, autant je trouve la R25 remarquable dans l’histoire du haut de gamme Renault, autant la Safrane lancée deux ans auparavant manque d’intérêt. Je suis dans un contexte où je veux valoriser l’esprit de la carrosserie française. J’ai beaucoup écrit sur les valeurs du luxe à la française et forcément, j’ai aimé mener à bien ce projet Z06 d’une grande berline Renault, avec beaucoup d’autonomie. »

Alors qu’en coulisse on évoque déjà le renouvellement de la Safrane, qui vient pourtant de s’adjoindre une version biturbo et une finition Baccara, Le concept-car Initiale jette les bases d’un potentiel axe de développement. C’est une somptueuse berline « à la française » qui s’oppose sur notre territoire aux… Safrane, Citroën XM et Peugeot 605 ! L’Initiale repose sur une architecture basse (« je me suis battu pour faire reconnaitre ses proportions, essentielles dans le haut de gamme » dira plus tard Le Quément), avec un capot moteur musclé qui plonge sur une face avant pratiquement démunie de calandre.

Le nez de l’Initiale est inspiré de celui de la Renault 40 CV des années 1920. De part et d’autre, deux naseaux permettent le refroidissement d’un moteur qui n’est pas anodin : il s’agit d’un dérivé du V10 RS7 de 3.5 litres et 392 ch conçu par Renault Sport, implanté dans la F1 Williams FW17 pilotée par Damon Hill et David Coulthard. Mais lorsqu’on soulève son gigantesque capot, c’est plus une œuvre d’art que l’Initiale nous offre à découvrir qu’une bête de circuit ! Les flancs du concept sont subtilement travaillés, avec des zones très planes qui, d’une arête franche, nourrissent des épaulement très généreux. Il y a de la Facel Vega ici.

Le vitrage est sobre, pratiquement plat lui aussi, alors que le dessin de la poupe va servir de jalon fort pour de nombreuses études qui seront esquissées en ce milieu des années 1990. La vitre de hayon entraîne le côté de caisse dans un mouvement en forme de « V » et, de manière abrupte ici aussi, tombe sur un coffre plat d’où émergent les feux arrière relativement fins. Le hayon offre une cinématique intéressante, puisqu’il coulisse sur le pavillon à l’ouverture, minimisant ainsi son déploiement et autorisant son ouverture dans les parkings engoncés.

Le style est fort et se suffit à lui-même – les touches de chrome sont rares – pour exprimer une prestance et une présence inédite dans l’univers du haut de gamme. On doit ce magnifique coup de crayon à Florian Thiercelin*, alors jeune designer qui entre dans une phase créative exceptionnelle : il signera également trois ans plus tard, en 1998, le concept-car VelSatis du centenaire de la marque ! Le Quément explique que « c’est effectivement son premier bébé et son premier dessin a été retranscrit avec justesse avec l’aide de Jean-François Venet » (ci-dessous)
*Lire l’émouvant hommage de Caroline Thiercelin, la femme de Florian, ici : https://lignesauto.fr/?p=37212

Trente ans après la naissance de ce concept, il demeure une interrogation de taille : pourquoi un tel créateur n’a-t-il pas été soutenu et poussé vers de plus amples responsabilités ? Une foudroyante maladie a emporté Florian en décembre 2023. Il a disparu et avec lui, quelques secrets aussi. Le concept-car Z06 est toutefois né sous une bonne étoile, car son autre papa, Fabio Filippini, exécute un intérieur flamboyant et assez proche d’une industrialisation. C’est voulu, car Patrick le Quément ne cache pas alors sa volonté de se servir d’Initiale comme d’un avant-projet du renouvellement de la Safrane.

Jean-François Venet à droite devant quelques sketches du projet Z06 qui deviendra l’Initiale Paris en 1995.

A bord, Fabio Filippini exprime la quintessence de l’esprit français et une certaine légèreté comme le reconnait Le Quément : « Fabio est un grand ami, et il a dessiné cet intérieur qui reste l’un des plus beaux qui n’aient jamais été réalisés. On y découvre des sièges qui sont inspirés des fauteuils de Charles Eames et tout ceci est calculé, voulu. Comme les coupes de champagne en verre sablé. Cette voiture a été pensée comme une voiture de luxe à la française, mais aussi comme une Renault ! » Ce concept-car Initiale, toujours d’actualité en termes de design trente ans plus tard, est né en 1995, l’année de la première génération de Mégane construite d’ellipses et de rondeurs.

Tout le contraire de l’Initiale. Ce concept-car va pourtant avoir des retombées inattendues chez… Mercedes. C’est d’abord Bruno Sacco, patron du style de la marque allemande, qui tombe sous son charme, puis la direction tout entière qui tombe sous celui de Le Quément, au point de vouloir le débaucher pour remplacer Sacco (ci-dessous) à son départ en 1999. Et c’est ensuite le designer Murat Günak qui a réintégré le centre de design Mercedes en 1998, qui écrit une note à son ami Le Quément, pour lui souffler que le thème de l’Initiale était déjà dans les cartons du constructeur allemand et qu’il lui a fallu en changer pour l’identité de ses modèles futurs !

En interne, le concept-car Z06 n’aura pas la suite escomptée. Le projet de renouvellement de la Safrane aurait logiquement dû s’en inspirer, mais en ce milieu de la décennie 1990, tout va se liguer contre ce programme. Il y a la privatisation de la Régie qui se profile pour 1996 et, en septembre 1995, Rémi Deconinck, responsable du service création de véhicules exploratoires à la direction de l’ingénierie véhicule depuis 1993, succède à Jacques Cheinisse à la tête du produit Renault.

Et il ne partage visiblement pas le même enthousiasme pour que la future Safrane soit le plus proche possible du concept-car Initiale, contrairement à Patrick Le Quément. En outre, ce dernier voit sa charge de travail décuplée après sa nomination à la tête du département qualité, en plus de son poste de directeur du Design Industriel. Sans compter que Louis Schweitzer, président de Renault depuis 1992, prépare un joli coup avec l’Alliance avec Nissan qui nécessite d’énormes investissements. Au lieu de bâtir un renouveau tant espéré, le concept-car Initiale sonne le glas des espoirs de voir industrialiser la berline française de luxe… Officiellement, l’histoire s’arrête là. Officieusement, LIGNES/auto vous révèle les secrets de la suite inédite de ce vaste programme de la grande berline Renault.

LES SECRETS DU PROGRAMME X73…

Dans les années 1990, on l’a compris, Renault enfile les concept-cars comme de magnifiques perles. Subtilement distribués au fil des années, passant de l’émotion à l’intelligence, de la sportivité à l’exotisme, les Laguna (1990), Scénic (1991), Racoon (1993), Argos (1994) et Initiale Paris (1995), guident les pas de tous les designers Renault vers des produits de série au concept fort. Et inspirent bon nombre de responsables de design concurrents. Ces concepts redonnent vie au talent d’inventeur conceptuel que Renault fut dans les années 1960, jusqu’aux années 1980, avec les R4, R16, R5 ou encore R25 et Espace.

Dans cette belle histoire, il est un programme X73 qui veut s’appuyer sur l’acquis conceptuel et esthétique de l’Initiale Paris pour donner vie au modèle de série qui deviendra la VelSatis en mars 2001. En 1995, le concept-car Initiale a effectivement lancé les premières bases d’un concept capable de prendre le relais de la Safrane. Le timing est parfait, puisqu’à cette date, l’Initiale s’insère idéalement dans le calendrier de renouvellement, et prend corps pour exprimer cette volonté de concevoir une berline de haut de gamme à la française, différente des références allemandes.

Un premier caillou dans la chaussure de ce projet intervient lorsque la direction décide de permuter le remplacement de la Safrane avec celui de la Laguna, née pourtant un an après, en 1993. Cette deuxième génération de Laguna arrive en 2000, repoussant de plus d’un an la remplaçante de la Safrane qu’on n’appelle pas encore VelSatis. C’est l’occasion que choisissent Patrick Le Quément et ses équipes pour engager le nouveau concept-car prévu pour le centenaire de 1998, vers une expression d’un haut de gamme à la française. La future grande berline Renault X73 devra donc profiter de ce décalage pour s’appuyer à la fois sur le concept-car Initiale (ci-dessus au premier plan) et sur le concept VelSatis du centenaire (ci-dessus à l’arrière plan au centre) présenté en 1998.

Avant même que ce concept-car VelSatis soit sorti de l’atelier italien de G-Studio à la fin du mois de juillet 1998, il est encore sous la forme d’une maquette pleine échelle 1 et se dirige, dès janvier de cette année, dans l’atelier de maquettage où sont alors réalisées les deux propositions retenues pour le projet X73 de série. Deux propositions totalement dissemblables, ci-dessus sous la forme deux maquettes Clay. L’une est issue de la volonté du design dirigé par Le Quément de concevoir une voiture statutaire, basse, au style allant jusqu’à évoquer celui des Facel-Vega françaises de l’après-guerre et matérialisée par une maquette échelle 1/1 ci-dessus à gauche…

Photo officielle de la communication pour tenter de confirmer que le concept-car VelSatis de 1998 au premier plan a inspiré le modèle de série, alors à l’étude à l’arrière plan…

L’autre est le résultat d’études de la direction du produit dirigée par Rémi Deconinck. Elle repose sur une architecture de berline haute, ci-dessus à droite. Une ineptie lorsqu’on se rappelle que l’Espace (monospace à architecture haute également) est déjà présent dans la gamme ! Patrick Le Quément confirme que cette période est plutôt compliquée. « Dès 1995, suite à l’Initiale, je mets mes équipes au travail sur des maquettes à l’échelle 1/5e pour une voiture de série. Nous avions parfaitement bien synchronisé le timing du concept et de la voiture de série pour que l’Initiale ait un impact fort sur la berline. Dans mon esprit, elle devait ressembler le plus possible au concept-car de 1995. »

Photo officieuse qui dévoile l’envers du décor : le projet défendu par Le Quément reposant sur le concept d’une berline basse est en cours de réalisation à l’échelle 1/1.

C’est cette année-là que Patrick Le Quément prend en charge la « qualité » de Renault, en plus de son poste de directeur du design industriel. Forcément moins présent auprès de ses troupes de créatifs, il a moins de temps à consacrer au programme X73. Au moment où Renault inverse la programmation des Laguna et VelSatis de série, au détriment de cette dernière, un changement à la tête du département produit va tout changer.

A la fin des années 1990, plusieurs maquettes 1/5e sont réalisées pour le projet de la VelSatis de série. Elles optent alors toutes pour le concept de la voiture basse.

En septembre 1995, Rémi Deconinck, responsable du service création de véhicules exploratoires à la direction de l’ingénierie véhicule depuis 1993, succède à Jacques Cheinisse à la tête du produit Renault. Comme parfois chez les constructeurs automobiles, les départements ‘produit’ et ‘design’ ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde. Doux euphémisme.

Parmi toutes les maquettes, Patrick le Quément jette son dévolu sur celle-ci. Mais le choix du département produit se portera finalement sur le concept étonnant de la berline haute qui donnera naissance à la VelSatis de série que l’on connait.

L’éternel conflit entre ingénieurs (Rémi Deconinck, ingénieur de l’Institut supérieur des matériaux et de la construction mécanique est entré chez Renault en 1976) et designers est toujours vivace. Une situation exacerbée alors, puisque le design a intégré le comité de direction générale, ce qui n’est pas le cas du produit. Une certaine jalousie est-elle née de cette situation ? Toujours est-il que le produit profite logiquement d’une baisse de la garde du patron du design à ce moment précis pour imposer son cahier des charges de voiture haute.

Patrick Le Quément constate que Louis Schweitzer met une relative distance entre eux deux, car en interne, nombreux sont ceux qui trouvent que le directeur du design est trop proche du président. Les décisions sur ce programme sont prises au comité, sans la présence du produit et c’est Georges Douin qui charge Le Quément de faire passer les infos à Rémi Deconinck !

Dessin daté de 1995 qui interprète déjà l’Initiale dans une potentielle version de série !

« C’était une situation peu vivable. Pour ne froisser personne, Louis Schweitzer semblait prendre une décision dans mon sens, une autre dans celui du produit. Il y a eu une levée de boucliers et Deconinck a poussé pour que le projet repose sur une architecture haute. Une fois l’affaire entendue, il était évident que la voiture allait pâtir d’une répartition des masses compliquée, avec un long capot et un arrière trop court, le tout avec une voiture trop haute… » Lors de la nomination de Rémi Deconinck, le communiqué officiel annonçait que son rôle serait « d’analyser l’offre produit de Renault afin de faire des recommandations pour son développement futur sur les marchés hors Europe. »

Le concept-car du centenaire de 1998 ci-dessus, de par sa majesté, a exacerbé les incompréhensions lors de la présentation de la berline de série. L’échec commercial de la VelSatis laisse donc une interrogation sans réponse : que serait-elle devenue si elle avait reposé sur l’architecture préconisée par l’équipe du design industriel ? On ne peut pas réécrire l’histoire…

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