Ils ont (presque) disparu des catalogues et pourtant, ils étaient incontournables : les monospaces. Dans les années 1980, les bonnes intentions du designer lorsqu’il devait loger à bord toute une famille dans un grand confort, allaient être chamboulées par ce concept novateur. Voici contée la naissance tourmentée du concept monospace et sa mort prématurée.
Un capot avant pour implanter le moteur, un habitacle assez vaste pour loger quatre ou cinq adultes, et une malle arrière pour engloutir les bagages. Voilà les règles de base qui dictaient jusqu’aux années 1980 l’architecture automobile. Le designer savait dessiner une voiture, et si le coffre était trop riquiqui, il dessinait un break ; si le conducteur était sportif et sans enfant, il esquissait un coupé à deux portes. Elle était facile la vie du designer des années 1960 à 1980. Au début des années 1980, le frémissement d’un vaste changement est apparu avec l’arrivée du concept « monospaces »
Ce changement est la résultante d’une évolution sociétale qui fit la part belle à la famille. Et surtout, aux nouveaux acheteurs : les familles recomposées et les retraités devenus très actifs. Dès le début des années 1980, Chrysler lance des travaux sur un « van » compact, immédiatement suivi de projets plus confidentiels, mais tout autant visionnaires, comme le monospace compact Helios (ci-dessus) dessiné par le français Antoine Volanis en 1983, voici presque 40 ans.
Et puis, par un hasard qui fait toujours bien les choses, le concept de l’Espace dessiné par le même Volanis tombe dans l’escarcelle de Renault, après avoir été couvé par le concurrent Peugeot qui n’a pas su, pu ou voulu investir dans ce projet finalement validé par Bernard Hanon chez Renault. Une grande rupture se produit alors. Désormais, les bureaux de design prennent conscience qu’une voiture se dessine de « l’intérieur vers l’extérieur ». Et ce, bien avant le concept-car Urbansphère d’Audi (2022).
Ce changement de mentalité est confirmé avec le développement des monospaces dans les années 1990. L’idée d’offrir à la famille tout le confort possible et imaginable à bord d’une « voiture » a conduit les designers à repenser complètement leur vision de l’automobile. D’abord développé pour le haut de gamme (Chrysler Voyager, Renault Espace, Peugeot 806), le monospace s’est adapté à d’autres segments du marché avec l’arrivée de ce concept de la voiture volumique dans le segment des compactes.
L’idée est alors de créer sur ces voitures un double-plancher autorisant de multiples rangements en rehaussant les assises. Puis il convient d’avancer la cellule habitable, une démarche architecturale permise par le rehaussement de l’ensemble. Cette avancée de la cellule habitable déplace d’autant le pare-brise, poussant l’ensemble vers un dessin presque monovolume. Toutes les lignes bougent et le designer doit composer avec une voiture haute, rendant d’autant plus délicat le bon équilibre du profil. En 1991, le concept-car Renault Scénic nait non pas d’un dessin figé mais d’un magnifique cahier de voyage.
Un cahier où designers et responsables des matières et couleurs vont apposer leurs idées du voyage en famille. C’est nouveau, on imagine alors des sièges basculants, tournants, une console centrale coulissante, un plancher creux offrant mille-et-un rangements, le tout dans à peine plus de quatre mètres de longueur. Le Scénic toise plus de 1,60 m de hauteur et encore, le concept-car n’a pas suivi la voie esquissée par Anne Asensio qui prévoyait une cabine dotée de la bosse d’un Boeing 747 (ci-dessus) pour faciliter le déplacement à bord. Après l’Espace de 1984, Renault commercialise donc en 1996 un modèle inférieur en taille, le Scénic. Un carton commercial. Louis Schweitzer a eu le nez fin en imposant une carrosserie en acier : les cadences peuvent monter rapidement.
Le monospace sort de son univers étriqué pour s’imposer dans presque tous les segments de la gamme. Patrick Le Quément, alors responsable du design Renault, sera pourtant déçu de ne pas avoir pu offrir au premier Scénic un style dédié. Dans l’expectative devant ce marché inconnu, le patron de la Régie d’alors a serré les cordons de la bourse et le monospace Renault a dû composer avec trop d’éléments communs avec la berline Mégane. En 1995, Citroën se lance dans la bataille avec son propre langage formel. C’est le concept-car Xanae (ci-dessus) qui anticipe le fameux Xsara Picasso de 1998. La forme de l’œuf est retenue, à moins que ce ne soit celle du cocon utérin.
Dans le même temps, Matra, le géniteur de l’Espace avec Renault, toujours en avance d’un coup novateur, mixte le concept du monospace et du coupé avec son Espace Club. C’est une révolution : le début de l’hybridation des concepts qui est à l’automobile, ce que les variants sont aux virus. L’Espace Club est conçu la même année que le concept-car Citroën Xanae.
Surprise, l’Espace Club de Matra ressemble comme deux gouttes d’eau au Picasso de Citroën dont le design est à mettre au crédit de Donato Coco !
LIRE L’HISTOIRE DU COUPE ESPACE CLUB MATRA ICI : http://lignesauto.fr/?p=2167
Ressemblance évidente et pourtant, fortuite. Ce n’est effectivement ni Antoine Volanis auteur du premier dessin de l’Espace, ni Renault, ni même Donato Coco de Citroën qui sont à l’origine du design de cet Espace Club, mais bien Giorgetto Giugiaro.
Le designer « du siècle » s’est même vu confier la réalisation du prototype. Mais Renault n’a pas donné suite à cette proposition de Matra, car il craignait que ce projet de 1995 n’empiète sur le territoire de son futur best-seller Scénic. Qu’importe, Renault poursuivra bien plus tard ce thème de coupé monospace (ci-dessus) avec l’Avantime de 2001, un échec en partie responsable de la fermeture de l’usine Matra de Romorantin. La guerre des monospaces était lancée mais la concurrence n’est pas forcément venue de là où l’attendaient les constructeurs.
C’est la rapidité insoupçonnée du développement des SUV qui a tout balayé sur son passage. Aujourd’hui, rares sont les constructeurs (Volkswagen, BMW…) à proposer à la fois une silhouette monospace et une autre SUV dans leur gamme. Doit-on prévoir pour le concept SUV la même mutation qu’ont subie les monospaces en leur temps ? Il n’est pas interdit de le penser lorsqu’on voit poindre l’essor des silhouettes dynamiques sur le thème des SUV “coupés”, et le succès d’un produit comme la C5 X en Chine, crossover des trois concepts de break, berline et SUV (ci-dessus)… Les SUV mourront-ils comme, hier, leurs frères monospaces ?
De 1972 à 1976…
De Heuliez à Ital Design
Au salon de Paris 1972, Heuliez dévoile le prototype H4, un taxi Peugeot dessiné par Yves Dubernard sur la plateforme de la 204. Ce thème bien français sera également celui qui va changer la manière de travailler de Giorgetto Giugiaro. De 1968 à 1976, Italdesign est féru des concept-cars sportifs et élancés. Pour 1976, Giugiaro se lance dans la réalisation d’un véhicule monocorps afin de répondre à un appel d’offre du Museum of Modern Art de New York. Ce dernier voulait promouvoir la recherche d’un véhicule de ville en mesure d’améliorer les conditions de confort de ses passagers.
Avec son « New York Taxi », Italdesign ouvre la voie aux véhicules pensés de l’intérieur vers l’extérieur. En quatre mètres de longueur, Giugiaro place cinq passagers et le conducteur ainsi qu’un vaste espace pour les bagages. Italdesign se plait alors à annoncer que son Taxi occupe une surface au sol de seulement 6,98 m2 contre 9,72 au légendaire Yellow cab newyorkais. Le concept d’accessibilité totalement revu va conduire Italdesign à développer ce type de véhicule avec la Megagamma deux ans plus tard et avec la Capsula en 1982. Avec le Taxi H4 de Yves Dubernard et le Taxi « Volvo » de Giugiaro, le monospace a semé son ADN dès les années 1970.
Quand est né le premier monospace ?
L’ère des monospaces contemporains débute au milieu des années 1980 avec la venue du Chrysler Voyager, puis celle de la Renault Espace. Mais on peut bouger le curseur où bon nous semble, selon notre sensibilité. En s’arrêtant par exemple sur la Stout Scarab des années 1930. Elle révolutionne l’architecture automobile : c’est pratiquement un monovolume qui offre une modularité intérieure avec des sièges arrière qui pivotent. Son style n’est semblable à rien de connu, et cet engin pourrait être considéré comme le premier « monospace », au sens contemporain du terme. C’est l’ex-journaliste et ingénieur William Stout qui l’a conçu.
Dix ans plus tard, à la fin des années 1940, le Schnellaster de DKW, le « F89L », est l’un des premiers fourgons à avoir eu l’intelligence de se transformer en « familiale » avec un confort moyen, pas très automobile. Renault ci-dessus, avec la collaboration de Ghia et de son directeur L.Segre enfantèrent les prototypes “900”, avec cabine avancée, qui n’entraient pourtant ni dans le concept des monospaces, ni dans celui des monovolumes (voir plus bas la différence entre ces deux concepts.) C’était en 1959, trois ans après que Fiat a présenté son 600 Multipla, précurseur des “mini” monospaces.
Il faudra attendre le début des années 1980 pour que le studio de Chrysler, lance l’étude d’un van qui deviendra en 1984 le Chrysler Voyager, véritable précurseur de la génération moderne des monospaces. La Renault Espace suivra de peu alors que, dans l’univers du monospace compact, on retiendra que le projet Helios d’Antoine Volanis avait treize ans d’avance sur le Renault Scénic…
Monospace ou monocorps ?
Voici la différence entre ces deux termes qui s’appliquent à deux concepts distincts et parfois miscibles :
-MONOCORPS
Le monocorps (ou monovolume) est un concept de style extérieur décrit par un dessin d’une seule ligne allant du bouclier avant jusqu’à la poupe. Il n’existe pas de rupture entre le capot moteur et le pare-brise et l’on note l’absence de coffre arrière proéminent.
-MONOSPACE
Le monospace est un concept d’architecture intérieure décrit par la modularité de l’habitacle, au niveau des sièges ou de la multiplication des rangements.
-MISCIBLES OU PAS ?
Un monospace, avec son concept de modularité à bord, est généralement habillé d’une carrosserie monocorps avec un style sans rupture de l’avant à l’arrière, à l’exemple de la Renault Espace. Mais ce n’est pas une obligation : la Fiat Multipla de 1988 (ci-dessous) était également un monospace (modularité à bord) mais avec un style identifiable entre tous et un capot avant très marqué. Ce n’était donc pas un monocorps. A l’inverse, de nombreux dream-cars des années 1970, comme la Bizzarrini Manta de Giugiaro, s’habillaient d’un style monocorps, sans rupture au niveau de la jonction capot/pare-brise et pourtant, ils étaient loin d’offrir les prestations d’habitabilité d’un monospace !
Ce sujet est une réécriture d’un chapitres du livre “1968-2018 – les 50 ans qui ont changé l’automobile” publié par l’auteur aux Éditions BJB, à commander ici : https://www.bjbeditions.com/products/1968-2018-les-50-ans-qui-ont-change-lautomobile