EXCLUSIF. Projet ‘W84 AIR-O’ : quand Renault fend l’air

Ce profil évoque les compactes de l’époque (fin 1990) avec une ambition clairement affichée de réduire le Cx et SCx (prenant en compte le Cx et la surface frontale notamment)

Voici des documents exclusifs qui remontent au début de l’année 1998, lors de l’étude du projet Renault W84 qui donnera naissance, en 2002, à la très originale Mégane II. Un programme dont le directeur de projet était Carlos Tavares en personne, alors que le design était géré par Patrick le Quément.

Si la berline finalement retenue avec ses sœurs coupé, cabriolet, break, monospace Scénic et Scénic long et enfin tricoprs (quelle famille !) sont toutes connues, il est un dérivé d’étude qui n’a pas vu le jour, mais qui démontre à quel point les études et le design Renault fourmillaient d’idées à l’époque. Cette étude vise prioritairement l’efficience aérodynamique qui impacte évidemment le design. Pourquoi en parler aujourd’hui ? Parce qu’avec l’avènement des véhicules électriques, on a l’impression que ce sont ces derniers qui ont redonné vie à la recherche aérodynamique ultime, afin de gagner un, deux, voire une dizaine de kilomètres d’autonomie supplémentaires avant de brancher sa voiture EV sur une borne salvatrice.

Alors que la Mégane II est à l’étude (2002 en série), le projet W84 AIR-O prend vie d’abord sur les ordinateurs.

Non, la voiture électrique n’est évidemment pas la seule à avoir ouvert ce chapitre aérodynamique. Même à l’ère préhistorique des voitures thermiques (!), cette donnée était fondamentale. Renault a été parmi les pionniers dans ce domaine, même s’il ne fut pas le seul, à commencer par Citroën.

Souvenons-nous que le directeur de design des années 1960 chez Citroën – Robert Opron – expliquait que la faiblesse des moteurs lui imposait de dessiner des voitures aérodynamiques pour atteindre de bonnes performances. Citons simplement la CX ci-dessus qui porte bien son nom ! Et, côté Allemagne, la série des Audi lissées par le vent, voulues par Ferdinand Piëch avec l’avènement des fameuses vitres affleurantes au début des années 1980.

Les études numériques ont progressé depuis le petit film (révolutionnaire) du concept-car Racoon de 1993.

Renault a de son côté conçu plusieurs concepts ou études sur ce thème (voir à la fin de ce post les BONUS). En 1998, il s’agit de proposer une berline compacte du segment C – le plus porteur alors en Europe – dotée d’un coefficient Cx de seulement 0,30. Un objectif que l’un des responsables juge « très élevé puisque actuellement les prévisions sur le projet W84 sont comprises entre 0,32 et 0,36. » L’équipe constituée pour ce programme est sous la direction d’Anne Asensio, et le designer affilié à cette étude est Axel Breun.

En 1998, le numérique a considérablement évolué depuis le petit film de synthèse sur le concept-car Racoon, né cinq ans auparavant et il est naturel de retrouver une multitudes de dessins numérisés pour tenter d’atteindre ce seuil de 0,30. Pour info, le Cx de la berline Mégane II commercialisée en 2002 était de 0,35.

Proche du design final de la Mégane II, le prototype aérodynamique s’en distingue par sa lunette arrière plane et en forme de bulle.

Aux côtés des dessins numériques, des maquettes échelle réduite sont produites et peaufinées dans le tunnel de soufflerie. Les résultats sont dans un premier temps éloignés de l’objectif initial. Le service de Monsieur Genty, impliqué dans ce travail, estime alors que « l’objectif visé ne peut être atteint sans concessions » et propose donc « d’accentuer le resserré arrière et d’allonger le porte-à-faux arrière. » Le design est directement impliqué.

La maquette 2/5e d’Axel Breun est différente dans sa partie arrière des premières esquisses numériques.

En outre ce service insiste sur « l’importance d’adopter un plancher lisse optimisé » appelé alors le type P2, sans lequel le SCx sera encore plus élevé. Mais la note précise quand même « qu’aucun véhicule concurrent de ce segment n’est à l’objectif du projet W84 AIR-O. » Axel Breun peaufine ses dessins et sa maquette. Le Cx descend alors sous les 0,35 de la berline de série et est alors confrontée à ce que la concurrence propose. Ainsi, il est noté que « la Toyota Corolla est annoncé dans la presse avec un Cx faible de 0,31 », un véhicule qui est immédiatement testé en soufflerie par Renault et « il s’avère que les mesures donnent un SCx de 0,680 et un Cx de 0,35. »

L’intégration aérodynamique des rétroviseurs rappelle celle des Espace II et III.

L’étude du concept AIR-O se poursuit avec un rappel incessant de chiffres toujours bons à rappeler : « il est important de noter quelques conséquences du SCx sur la consommation à haute vitesse, mais aussi sur la Vmax. et les accélérations. Les différences sont importantes entre un Cx de 0,35 et un Cx de 0,32. » Cette fourchette étant semble-t-il atteinte par l’étude AIR-O.

Le responsable aérodynamique du projet continue en précisant « qu’une variation de SCx de 0,010 m2 – avec un SCx autour de 0,620 pour l’étude AIR-O – équivaut à une variation de Vmax. De 1 km/h et une consommation de 0,1 litre aux 100 km à la vitesse de 160 km/h. » Pour prouver que cette étude pousse la précision à son paroxysme, la note précise que « les maquettes mesurées ont un défaut de 2,5 à 7,5 km/h en Vmax. par rapport à un véhicule à l’objectif de SCx, soit une surconsommation de + 0,3 à + 0,75 litre aux 100 km. »

Et tout se gâte lorsque les conclusions des premiers tests évoquent que « le choix des dimensions ne peut pas être indépendant du choix des autres prestations telles que la consommation ou la Vmax. Il est donc important de la part du produit de faire connaître quels sont ses choix, afin de pouvoir établir les priorités sur le plan aérodynamique : modification du style arrière avec un plus fort resserré, allongement du porte-à-faux, traitement de la zone arrière et plancher P2. »

Ce projet AIR-O d’une étude aérodynamique de la Mégane II est finalement mis en veille à l’automne 1998. La note précise alors que « le travail aérodynamique sur les maquettes du segment de la W84 ne devrait débuter qu’en 1999, faute de ressources suffisantes aujourd’hui. A ce jour, la maquette a été mesurée avec un SCx de 0,686 m2 soit un Cx de 0,34. Les cibles actuelles dans ce segment sont de Cx de 0,30. Ce chiffre est atteignable mais au prix de fortes contraintes sur les dimensionnements. »

Nos documents et photos s’arrêtent là. Est-ce que le projet a perduré en 1999 et 2000 ? Toujours est-il que la Mégane II avec son design audacieux, fortement inspiré de celui du concept-car VelSatis de 1998 ci-dessous à gauche (dessiné par le regretté Florian Thiercelin) est dévoilée en 2002 avec un Cx seulement supérieur d’un point à celui de l’étude AIR-O, donc cette dernière a sans doute aidé à la définition aérodynamique du modèle définitif. La Mégane II est une réussite esthétique et commerciale qui sera élue voiture de l’année 2003.

BONUS : LES RENAULT DANS LE VENT !

En 1961, alors qu’il travaille sur le projet 115 de la future Renault 16, Gaston Juchet reprend en parallèle les études de la berline aérodynamique de son prédécesseur Robert Barthaud (ci-dessus et ci-dessous)

Dans le même temps, toujours pendant l’étude de la Renault 16, Gaston Juchet réalise une esquisse qu’il nomme “R16 Aero” (ci-dessous) avec une face avant fermée et inclinée et des passages de roues travaillés. A noter qu’il s’agit d’une version deux portes de la R16…

Ci-dessous, nous sommes à la toute fin des années 1970. A peine deux ans après son arrivée au bureau de style Renault en 1977, Jean-François Venet dessine une contre-proposition dans le cadre du projet X29 de la future R25. Le thème là encore est axé sur l’aérodynamique et ce projet prend le nom de “Rafale”.

Avant-même d’être façonnée à l’échelle 1/1, la petite maquette de la Renault Rafale passe en soufflerie sous le yeux de son designer, ci-dessous.

Ci-dessous, la Renault EVE du début des années 1980 est dessinée pour fendre l’air. EVE signifie Éléments pour une Voiture Économe. La voiture intègre le moteur de la R5 et affiche 4,1 l aux 100 km. Le Cx est de 0,24 !

EVE aura droit à une belle évolution appelée EVE+ ci-dessous. Elle reçoit une motorisation turbo-diesel de 50 ch et affiche au final une consommation de 3,5 l aux 100 km alors que son Cx est abaissé à la valeur exceptionnelle pour l’époque de 0,22. EVE et EVE+ sont issues des travaux menés en très étroite collaboration avec le style et Gaston Juchet.

En 1982, alors que le style de la Renault Supercinq a été gelé mais que la voiture ne sera commercialisée que deux ans plus tard, Renault propose la VESTA : Véhicule Économe de Systèmes et Technologies Avancées, avec l’ambition de descendre sous les 3 l aux 100 km. Un objectif qui ne sera pas atteint dans un premier temps…

Il faudra attendre 1987 ci-dessous pour découvrir la Vesta 2 qui diffère totalement de la première version. Son style en goutte d’eau offre un Cx abaissé à 0,186. Avec son petit moteur 3 cylindres de 716 cm3, la Vesta 2 bat le record du monde de consommation avec 1,94 l aux 100 km.

Onze ans plus tard, le programme interne – sans ambition de communication extérieure, jusqu’à aujourd’hui…- W84 AIR-O a permis de descendre le Cx d’une compacte du segment C à 0,34 d’après les derniers documents observés… Évidemment, cette liste des Renault aérodynamiques est loin d’être exhaustive !

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