Les mystères du projet Citroën EN 201 de 1968.

Dans la multitude de projets étudiés au cœur du bureau de style de la rue du Théâtre puis dans les locaux bien plus modernes de Vélizy, certains ont été médiatisés (C10, coupé GS, etc.) et d’autres ont nécessité – et nécessitent encore – des recherches archéologiques. C’est le cas de la très fameuse berline compacte du milieu des années 1970 connu sous le nom de projet F ci-dessous, dont on attend encore un ouvrage détaillé.

Et puis il y a quelques programmes dont ne subsistent que des traces infimes : une photo, un dessin, un plan… Ceux-là sont plus complexes à resituer dans leur contexte et parfois, même les acteurs de l’époque ne s’en souviennent pas. Mes quelques interviewes avec le regretté Robert Opron n’ont pas exemple jamais apporté de réponse au projet qui nous concerne aujourd’hui : le EN 201 ci-dessous sous la forme de deux dessins.

Dans mes archives, j’ai retrouvé une interview réalisée avec Robert Opron dans laquelle il m’a longuement parlé du EN 101. Pas encore le EN 201, mais des indices sans doute pour me mettre sur une piste. Le EN 101 est, d’après Opron, un projet multiple qui a notamment abouti à un prototype qui fut par la suite présenté par le constructeur. En 1965, il est effectivement question avec ce programme de définir ce que pourrait être la 2CV du futur. Et comme nous sommes chez Citroën, la vision de ce renouvellement est flamboyante.

L’année de son arrivée au style Citroën (1962), Robert Opron ne cesse de chercher des architectures diverses pour une potentielle berline apte à succéder aux 2CV et Ami 6.

Robert Opron qui a été nommé responsable du style en 1964 après le décès de Bertoni est dans une période brillante. Le véhicule destiné à ce programme prend le nom de « G-mini » car, comme me le confiait le designer français, « ce projet fut conçu à l’époque des capsules spatiales ! » Il est bon de rappeler qu’effectivement les dix missions Gemini de la NASA furent lancées entre 1963 et 1966. « Les ingénieurs ont étudié un petit véhicule à quatre places en losange avec le poste de conduite au centre, deux passagers latéraux et un espace intérieur fabuleux. Un petit siège d’enfant venait compléter le nombre de places. Le bureau d’études a construit un prototype avec une forme tout à fait banale avec un petit capot. Il fut étudié en grand secret puisqu’une partie du bureau d’études, notamment Monsieur Estaque, n’était pas au courant. »

La petite Citroën avec conducteur au centre, grandes surfaces vitrées et volume monocorps a séduit Pierre Bercot le patron de Citroën. Mais pas le public, réfractaire au dessin lors des tests clientèle.

« Ce prototype a été présenté à la direction générale et Monsieur Cadiou m’avait dit alors ‘’Opron, il ne reste plus qu’à lui trouver une forme plus sympa ! ‘’ J’ai proposé cette carrosserie en maquette pleine, bien laquée, et lorsque le président Bercot a vu ça, il s’est retourné vers un collaborateur et lui a dit ‘’mais c’est 1 000 par jour tout de suite ! ‘’ Il avait pris un coup au cœur. »

Robert Opron demande à Michel Harmand de travailler sur une version plus longue et plus large de la voiture (projet EN 101) avec conducteur au centre, et conçue pour quatre passagers. Sans plus de succès…

De 1000 par jour, le compteur du projet est resté bloqué sur… un seul prototype présenté ce jour-là. Mais l’idée du conducteur au centre est reprise sur un véhicule au gabarit plus généreux, capable d’aller batailler avec les Peugeot 204 et Renault 6 de l’époque. C’est Michel Harmand qui prend en charge le dessin de cette berline monospace avant l’heure (ci-dessus). Plus long, plus large, ce projet reste au stade de dessin ici présent où l’on remarque effectivement la position centrale du conducteur. Mais ce n’est pas le EN 201…

PROJET EN-201 DE 1968

Les deux dessins du EN 201 publiés ici sont tous les deux datés de 1968. Replaçons-les alors dans leur contexte. Pour les français, 1968 ce sont surtout les « évènements » du mois de mai. Pour Citroën, les évènements sont bien plus distincts et nombreux ! C’est tout d’abord l’officialisation de l’accord signé avec Maserati qui confirme que le programme S (étude ci-dessous) sera motorisé par le constructeur italien de Modène. Ainsi, Citroën avait avant l’heure un petit goût de Stellantis avec sous son toit la marque mère, Berliet, Panhard et Maserati ! Ce qui ne faisait que mettre du baume au cœur de Citroën qui enregistrait sur l’année précédente (1967) un recul de sa production. Une première depuis l’après-guerre.

1968 pour Citroën, c’est également l’alliance avec Fiat. Elle n’ira pas très loin mais bouleversera pourtant l’histoire automobile et surtout, celle de Citroën. Le patron d’alors tentait de persuader la presse et ses salariés « qu’il n’était pas question d’un contrôle de Citroën par Fiat, que chacun garderait son indépendance et que l’accord serait bénéfique pour tout le monde. » Décidément, 1968 a vraiment un goût prémonitoire pour Citroën qui retrouvera Fiat à l’occasion de la création de Stellantis !

Côté produit, 1968 est avant-tout l’arrivée d’une sacrée concurrente pour la DS : la Peugeot 504 alors que dans le même temps, la R4 continuait d’attaquer la 2CV en entrée de gamme. Et toujours pas de modèle intermédiaire capable de contrer les rivaux… En 1969, l’Ami 8 tentera de jouer ce rôle. Dès 1968, Citroën a secrètement lancé le programme G qui aboutira à la GS. Ce véhicule est conçu dans l’urgence suite à l’arrêt du projet F (ci-dessus dans sa version de base) en avril 1967.

A ce stade, le projet G ci-dessus avec Robert Opron est déjà avancé (lire à ce sujet l’excellent sujet publié par Guillaume Billaroch ici : https://lov4wheels.com/2022/05/21/citroen-gs-et-gsa/ ) et notre étonnement est de découvrir que dans les mêmes dates de travaux, le projet EN 201 affiche une longueur identique à celle de la GS, à deux centimètres près : 4,10 m. Mais il n’est pas surprenant de voir deux projets aux gabarits similaires traités en même temps. Souvenons-nous que l’Ami 8 dans sa version Super était un hybride d’Ami 8 avec le groupe propulseur de la GS !

PROJET EN-201

Contrairement au projet GS concomitant, le EN 201 semble basé sur la plateforme des Ami6/8 avec le moteur bicylindre, à moins qu’il ait été programmé avec une variante type Ami 8 Super et le quatre cylindres de la GS ?  Les deux dessins du EN 201 sont signés Michel Harmand, ce qui est surprenant. Non pas que ce génial designer n’avait pas les compétences pour ce projet (Harmand travaillait à cette époque sur le EN 101 quatre places et l’on évoquait à demi-mot le projet « L » de la futur CX de 1974) mais ses dessins sont pour la grande majorité exécutés avec les roues avant tournées, l’une des signatures de Michel Harmand (ci-dessous avec un dessin du projet L).

Enfin, l’une des deux variantes du EN 201 est d’un classicisme confondant. Rare pour un programme Citroën à l’époque, d’autant que toute liberté est encore accordée aux stylistes de l’époque : les DS restylée et futur projet de Super DS (ci-dessous), GS et SM sont là pour le prouver même si les Dyane (présentée un an avant les dessins de Michel Harmand) et Méhari de 1968 sont des cas à part.

D’ailleurs le projet EN 102 dérivé du EN 101 n’avait d’autre ambition que de remplacer les Ami 6 et Ami 8. Est-ce que le EN 201 avait le même objectif ? Si tel est le cas, cela indique que pendant une courte période, le projet GS a pour ambition de voir plus grand et de laisser une place pour une autre berline intermédiaire entre la famille 2CV (2CV, Dyane et Méhari) et la GS.

Le projet EN-201 dispose d’une vue panoramique semblable à celle d’une DS (en 1) avec un montant de parebrise inexistant, d’un volant mono-branche évidemment (en 2) et, déjà, de la remontée de ligne de caisse de la future SM (en 3)

C’est une possibilité d’autant plus crédible qu’il s’est passé sensiblement la même volonté avec le projet L qui n’avait pas l’ambition de remplacer place pour place la DS dans la gamme, mais de succéder à la reine de la route et à celle qu’on n’appelait naguère l’ID. En clair, le projet L devait tout à la fois convaincre une clientèle moins élitiste avec le projet d’une « L Mini » (document publié par Car Design Archives) à deux vitres latérales seulement et d’une longueur réduite, tout en satisfaisant les fidèles de la DS avec le « L » qui devint la CX que l’on connaît.

Photo de la maquette du projet “L-Mini”. Document Car Design Archives

A-t-on cru un moment chez Citroën que le programme « G » qui a abouti à la GS avec ses suspensions hydrauliques et autres équipements que l’on trouvait alors dans la DS aurait été situé trop haut- et trop cher – sur le marché des compactes ? D’où l’intérêt de ce projet EN 201 conçu sur une base connue (celle des Ami) et facile à intégrer dans le processus industriel de l’époque, capable de prendre en tenaille les 204 et Simca 1100 par exemple. Ci-dessous, le cabriolet 204 et la 1100 sont déjà les stars de 1968 chez Dinky-toys !

Alors, ce programme EN 201 : une berline intermédiaire entre la famille 2CV et la GS pour accompagner cette dernière, ou un tout autre programme qui de toute façon n’est pas allé très loin… un peu comme l’Ami 8 Super qui n’a pas connu le succès. Et si c’était cet échec de l’Ami 8 Super qui avait mis fin aux études sur le EN 201 ? Ou plus simplement, un manque de finances pour accompagner à la fois le EN 201 et la GS, dans une période où les nuages commençaient à s’accumuler au-dessus de la marque…

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