Interview de Benoît Tallec : l’univers du design de “Daimler Trucks”… et la vie d’expatrié.

 

Voici le premier entretien d’une nouvelle série consacrée aux designers français “expatriés”. Ils sont évidemment très nombreux…
Commençons par un univers du design assez méconnu : celui du design transport dédié au “trucks” !
C’est Benoit Tallec, embauché aujourd’hui chez Daimler et qui travaille au Japon, qui ouvre le bal.
Il est question de Michel Harmand, de parcours, de travail loin de son Lyon natal et de projets futuristes.
Benoit aborde tous les aspects de son boulot et n’est pas avare de conseils bienvenus pour les étudiants en “transport design”…


Portrait de Benoit Tallec au “Train Bleu” de la Gare de Lyon à Paris.
“Pourquoi ce lieu ? Il représente pour moi la révolution Industrielle, notre préhistoire à nous, les designers 
!
Evolution des arts, des techniques, de l’art de vivre.
Je me demande toujours comment l’intelligence artificielle et le digital vont à nouveau transformer notre monde…”.


LIGNES/auto : En quelques mots, parlez-nous de votre parcours ?
Benoit Tallec : “Cela va peut-être rassurer quelques-uns de vos lecteurs étudiants : je n’avais aucune idée d’orientation même une fois le BAC passé !
C’est mon frère photographe qui m’a convaincu de m’inscrire en BTS Design Industriel. Honnêtement je n’ai jamais rêvé d’être designer et avais surtout un goût pour la mécanique… et le dessin.
Ces premières années m’ont fait réaliser que le fait de savoir dessiner était un atout et pourrait se transformer en véritable métier. Mon véritable rêve de gosse était de refaire de belles carrosseries classiques et augmenter la puissance des moteurs, rien de plus ! J’ai expérimenté cela très tôt sur une Vespa de 1955 et diverses motos. Durant mes premiers stages, j’ai compris qu’il fallait aller plus loin et j’ai intégré Strate Collège à Issy les Moulineaux en spécialité Design automobile avec comme professeur le formidable Michel Harmand.”

A quand remonte votre première émotion avec l’objet automobile ou… camion ?
“Mon premier émoi automobile reste la Sierra RS Cosworth (ci-dessous), extraordinaire lorsqu’on est petit garçon à cette époque ! Mon père était garagiste automobile et pour moi il était facile de passer des heures et des heures à l’atelier ! Il existe des photos dans l’album familial où l’on me voit jouer à l’âge de quatre ou cinq ans avec des boîtes de vitesses ouvertes.”

“C’est aussi dans cet environnement que j’ai pu voir la relation du client à la voiture neuve, parfois déconcertante car j’ai découvert qu’il ne connaissait pas vraiment le produit et s’arrêtait souvent à une impression générale très subjective, peut être que j’étudiais déjà sans le savoir le pouvoir du Design.”

Quelles sont vos premières expériences de designer professionnel et qu’est-ce qui vous a orienté vers le design « camion » ?
“Je suis Lyonnais avec un grand père qui a longtemps travaillé chez Berliet, je connaissais un peu l’histoire de Renault Trucks.
C’est pendant le BTS qu’un professeur m’a conseillé de faire un stage chez eux, ma première vraie rencontre avec le design transport.
J’ai gardé de bons contacts avec l’équipe et malgré de supers stages a Renault Design, au Japon pour Nissan Advanced design ou bien un diplôme sponsorisé par Mercedes-Benz Sindelfingen, j’ai finalement attaqué chez Renault Trucks quelques jours seulement après l’obtention du diplôme.”

Un diplôme pourtant orienté vers le design… automobile !
“C’est vrai, et le choix que j’ai opéré était un peu pour ne pas faire comme tout le monde. Et beaucoup parce qu’à ce moment-là, l’entreprise investissait dans un nouveau studio, ainsi qu’un ambitieux projet de renouvellement de gamme.
Ce genre d’investissement que l’on ne voit que tous les 30 ans, je me suis dit qu’il fallait tenter ma chance.
J’ai eu l’opportunité de participer à la fois à la construction du studio, de l’équipe et de la gamme de véhicules ainsi que du facelift de la marque !
Une vraie expérience de Design global grâce à notre directeur Hervé Bertrand.”


Sous la responsabilité d’Hervé Bertrand, Renault Truck Design dévoile en 2012 le concept CX-03.

Cette expérience Renault a duré combien de mois ou d’années ?
“Pendant 4 ans, j’ai travaillé à créer une nouvelle identité Renault Trucks et surtout à trouver des solutions pour rendre ces camions économiquement pertinents.
Ce sont des outils, ils doivent rapporter de l’argent à leurs clients, c’est différent de l’automobile !
Pour moi c’est presque un jeu de trouver des astuces visant à réduire le nombre de pièces, créer des découpages qui facilitent le montage, etc. Tout en ayant pour but, parfois non avoué, de livrer un meilleur design.”

Comment appréhende-t-on le design de tels engins face à celui des automobiles ?
“La plus grosse différence reste évidemment la taille ! Par exemple, les camions sont souvent mal photographiés car il est difficile d’appréhender de telles masses.
De même quand on les dessine, nos millimètres sur la feuille de papier ou bien à l’écran d’ordinateur se transforment souvent en quelques centimètres sur le véhicule. Il est très facile de tomber dans la caricature alors il faut toujours se rappeler du rapport à l’échelle réelle quand on dessine. Il n’y a pas de petits défauts acceptables !”

Le concept “Future Truck 2025 de Daimler aux côtés des berlines de la gamme Mercedes. Où l’on prend conscience de la différence de gabarit…

J’imagine que les contraintes sont multiples…
“La deuxième contrainte, c’est le nombre de variantes. Un camion c’est du quasi sur-mesure, la cabine ou le bouclier peuvent être commandés par le client dans des tailles très différentes. Il nous faut donc trouver un système pour contenir toutes ces variantes en un design cohérent.
Ces variantes nous obligent également à dessiner énormément de pièces et de penser deux coups en avance car une modification peut entrainer un effet domino sur toutes les autres pièces.”

“Chez Daimler, le département Design dirigé par Gorden Wagener est en charge de tous les véhicules, on dessine donc tout avec les mêmes techniques, outils et méthodes. Ce qui change, ce sont nos équipes d’ingénieurs qui sont spécialisées selon que l’on parle de voitures particulières, de vans ou bien de camions. Cela nous permet de garantir un design de qualité global et d’engranger beaucoup de connaissances. Nos designers ne sont pas seulement créatifs, ils savent également jusqu’où l’on peut pousser la technologie.”

 

Les écoles de design forment-elles à cet univers du design ?
“Je pense que le rôle des écoles est de développer la curiosité et de confronter les élèves à la matière, qu’elle soit digitale ou bien en Clay.
L’important est de concevoir, sculpter, tester. Il n’est peut-être pas souhaitable d’avoir des spécialisations Design camion, je préfère des gens curieux et prêt à résoudre des problèmes que de véritables experts.
Par exemple, nos cours de design avec Michel Harmand étaient très éclectiques et nous passions sans transition de l’Égypte antique à Brancusi en passant par la révolution industrielle.”

C’est un job que vous conseilleriez aux jeunes designers ?
“Avec l’automatisation, l’accélération des livraisons et les transports partagés, je pense qu’il y a encore de belles perspectives pour les jeunes designers curieux de trouver les solutions de transport élégantes et pertinentes de demain.
Plus l’objet est sophistiqué, plus le besoin de designer intégré dès le début de la conception est important, cela est maintenant compris par la plupart des décideurs.
Il faut être curieux et le véhicule utilitaire de demain est peut-être très différent de l’idée que l’on s’en fait aujourd’hui.
Du coup, les jeunes designers ne doivent pas hésiter à faire des choix audacieux quant à leur début de carrière.”

Les plaisirs que l’on retire à concevoir un tel produit sont-ils forcément plus rares que dans l’univers automobile ?
“Cela ressemble à un plaisir du « marathonien » plutôt qu’un à un plaisir  du « sprinter » !
Il faut s’accrocher plus longtemps pour voir son travail enfin sur la route, cela demande une certaine ténacité et une capacité à convaincre.
L’avantage – ou bien le risque – c’est que notre « œuvre » reste des années dans le paysage, et impacte par conséquent la réussite ou non de l’entreprise.
On doit dessiner pour longtemps dans cette industrie.
On se bat également pour offrir le meilleur environnement de travail pour les chauffeurs et il est très plaisant de rencontrer uh chauffeur qui découvre son nouveau bureau roulant et n’en revient pas !”

Vivre de l’autre côté de la planète, ça se gère comment ?
“Il faut avant tout être ouvert d’esprit et respectueux.
J’ai travaillé en Allemagne, en Chine et au Japon, à chaque fois je me considère comme un invité et essaye de comprendre quelles sont les bonnes recettes locales à adopter.
Ces trois pays savent produire des objets de qualité, il faut admettre cela avant d’essayer d’influencer du mieux que l’on peut l’entourage professionnel.
Du côté de la famille il faut que chacun trouve sa place dans le nouveau pays, le choix du lieu de résidence en fonction de votre style de vie est primordial.
Cela demande de récolter de nombreuses informations sur la ville en amont ainsi que d’avoir un peu de chance !”

Pouvez-vous nous raconter une journée type au travail et aussi un peu de votre vie de l’autre côté du globe ?!
“Pour ma part, la journée commence souvent avant 7 h 00 afin de profiter au mieux du soleil qui se lève tôt ici, l’avantage du Japon ! Ensuite je considère chaque journée comme une course dans laquelle j’essaye d’avoir une longueur d’avance sur tous les projets. Je suis amené dans la journée à évaluer des dessins, des matières, des modèles clays ou bien digitaux en réalité virtuelle ainsi que des premiers prototypes roulants, bref c’est varié.”

“Un de nos défis est de collaborer de manière quasi quotidienne avec nos collègues aux USA ou bien en Allemagne ainsi qu’en Inde de manières fluide.
Les nouveaux outils digitaux sont très précieux mais les bonnes relations sont facilitées par de nombreux voyages sur place qui créent du lien entre les équipes. Les journées ont tendances à être longues au Japon mais on fait des efforts pour ne pas rentrer trop tard… De toute façon les bonnes idées arrivent souvent en dehors du bureau !
Il est également de coutume de dîner régulièrement avec ses équipes, ces moments sont l’occasion de recevoir ou donner des messages plus facilement que dans l’univers un peu trop formel de l’entreprise et surtout de consolider l’esprit d’équipe.”

Parlez-nous de vos projets qui ont abouti, de votre avenir professionnel ?
“L’aventure Renault Trucks a été extraordinaire et formatrice.
Mais je suis évidemment très fier du succès de Daimler Design en général, et les Vans & Trucks en particulier. J’ai contribué au renouveau de nos V-Class, Vito, Sprinter ainsi que le tout nouveau X-Class” (ci-dessous).

“Nous avons défriché le camion du futur avec le Mercedes Future Truck autonome (ci-dessous) et le 100 % électrique EFUSO Vision One.
Ces camions ont déjà influencé nos futurs produits et peut être un peu nos concurrents.”

Aujourd’hui, vous êtes plutôt concerné par la marque Fuso ?
“Depuis deux ans je travaille effectivement à la renaissance de notre marque FUSO.
Nous développons une gamme complète et cohérente du véhicule diesel en passant par l’hybride et le pur électrique.
Cela va demander un peu de temps avant que vous puissiez le découvrir.
Autre moment rare, j’ai eu la chance de dessiner avec nos architectes un nouveau studio de design à Kawasaki où nous allons emménager en janvier.”

 

Vous vouliez ajouter une mot quant à l’avenir de votre métier…
“Oui, pour finir sur une note un peu provocante quant à l’avenir professionnel, je me demande combien de temps les grands constructeurs vont avoir le monopole du design automobile…”

C’est à dire ?
“Je veux dire que de nombreux domaines de l’industrie (musique, cinéma, hôtellerie, etc…) ont été totalement transformés par de nouveaux acteurs et de nouvelles méthodes.
L’immobilisme de Kodak par exemple lors du passage de l’argentique au numérique s’est soldé par un désastre pour la marque. Nous comptons être de ceux qui comprennent tous les nouveaux enjeux et leurs potentiels.
Avec l’incroyable efficacité des outils digitaux ainsi que celle des nouvelles méthodes de production on peut imaginer quelques petits ateliers produisant des designs compétitifs. Et pourquoi pas un nouvel “âge d’or” de la carrosserie sur-mesure !?”

Propos recueillis par Christophe Bonnaud

 

 

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