Trois années à peine après son départ de la direction du design Peugeot pour celle de la marque Renault, Gilles Vidal commence à marquer de son empreinte le « style » des nouveautés Renault. Nous allons tenter de décrypter le design des nouveautés Renault pour comprendre à partir de quel moment la « griffe Vidal » a été apposée sur ces véhicules et pourquoi ces derniers ont quelques cellules – à défaut de l’ADN – de Peugeot qui circulent dans leurs veines.
En 2020, le mercato de designers entre les groupe Renault et Stellantis bat son plein avec comme pièce maîtresse de l’échiquier, Gilles Vidal. Son arrivée chez Renault provoque un effet de siphonnage (*) avec, entre autres, les départs de chez Peugeot et Peugeot-Lab pour le groupe Renault (outre celui de Vidal) de Sandeep Bhambra (ex-Peugeot, responsable des Concept-cars), de Vadim Gilca, de Julien Debomy, de Raphaël Cœlho de Macedo et de Gaëtan Fumaz (ex-Peugeot Lab pour Alpine).
L’effet siphon concerne également Citroën puisque dans ce mercato, on enregistre les départs du constructeur au double chevron – liste non exhaustive… – d’Hélène Veilleux, de Romain Gauvin et de Raphaël le Masson pour Dacia, la marque sœur de Renault.
Techniquement, Renault offre à Gilles Vidal un centre de design (presque) tout neuf puisqu’il a été entièrement remanié en 2017 pour devenir le R*Generation. Côté plateformes techniques à habiller, s’il pouvait s’appuyer sur les soubassements modernes chez PSA, il comptera sur les quatre nouvelles plateformes (au lieu de 13 actuellement) d’ici à 2026 pour l’Alliance.
Et surtout, Gilles Vidal a retrouvé Gilles Le Borgne (ci-dessous), ancien patron de la Recherche et du Développement chez PSA, qui a été nommé directeur de l’ingénierie du groupe Renault la même année que lui ! Le duo des deux Gilles, associé à l’amour du produit du patron Luca de Meo est sans conteste une force de frappe solide et efficace. Il n’est qu’à voir le développement ultra-rapide des trois modèles Austral-Espace-Rafale pour ce qui est de ceux qui vont « marger » fort !
Pour autant, Gilles Vidal comme tous ses confrères qui déménagent d’une marque à une autre, a dû pendant les trois dernières années manger son pain noir : l’Austral n’est pas de lui, pas plus que l’intégralité de l’Espace. En revanche, il a eu le temps de s’occuper du projet du nouveau Rafale. Dans sa totalité ? Nous ne saurions l’écrire. Mais de toute évidence, le Rafale porte sa griffe, et ce, bien au-delà du simple soft-nose qui reprend tous les codes du langage formel de… Peugeot !
A l’annonce du transfert de Vidal chez Renault, nous écrivions que « la lutte entre les nouvelles équipes de design Renault et celles désormais menées par Matthias Hossann chez Peugeot sera déséquilibrée puisque Gilles arrive chez Renault avec le plan produit de Peugeot en tête. Alors qu’aux dernières nouvelles, Laurens van den Acker (alors responsable du design Renault, aujourd’hui responsable design Groupe Renault) n’est pas censé connaître les plans de Peugeot ! Et même si Gilles Vidal rejettera forcément toute idée de réaliser du copier-coller en matière de style, il n’est pas certain qu’il ait envie de délaisser des concepts novateurs déjà pensés chez Peugeot. »
Gilles Vidal nous parle de la R4 : http://lignesauto.fr/?p=26495
C’est finalement l’inverse qui est en train de se passer. Lorsqu’on découvrira le prochain 3008 avant la fin de l’année, on pourra constater -plus encore qu’aujourd’hui avec le Rafale-, que le copier-coller semble quand même bien présent chez Renault ! Évidemment, tout ceci est réalisé avec un certain talent puisque Gilles Vidal et ses équipes ont transformé les griffes du Lion en une forme de losange Renault dématérialisé. Mais l’effet est le même ! Que dire des optiques qui, technologie oblige, restent identiques ou presque sur le Rafale, 408 et futures 3008. Là encore, l’équipe de Gilles Vidal peut se retrancher derrière cette fameuse technologie pour expliquer cette ressemblance.
Pour ce qui est du langage formel et de ses mots clés, Gilles Vidal explique dans le communiqué de présentation du Renault Rafale que ce dernier « illustre avec force le nouveau langage formel de la marque. Il s’inscrit dans son ADN à travers des galbes généreux, traités avec une grande précision, auxquels s’associent des lignes de tension et des détails techniques qui apportent caractère et sophistication à l’ensemble. » Sans anticiper sur la présentation du futur 3008, nous pourrions très certainement reprendre ces paroles et les copier-coller sur l’hypothétique discours de Matthias Hossann.
Prenons l’exemple des flancs du Rafale. Le traitement de l’embouti des flancs, où deux lignes de carre franches s’estompent dans un volume galbé, est typiquement issu de travaux commun à Peugeot et Renault. Il suffit d’observer le traitement du dernier concept-car Peugeot Inception pour comprendre que ce thème est désormais commun aux deux constructeurs français.
Alors, oui, le design Renault rappelle fortement celui de Peugeot. Mais peut-on en vouloir à la direction de Renault et, par effet de domino, à l’équipe de Gilles Vidal de repenser avec les codes Renault ce qui fait le succès de Peugeot ? Bien sûr que non ! Mais à cette affirmation se joint une réflexion qui pose débat : un designer, nouvel arrivant dans une marque, ne doit-il pas s’imprégner de l’ADN historique du constructeur ? Doit-il tout raser ? Chez Renault, sans remonter aux années 1960-1970, les produits de l’ère Patrick le Quément franchissaient allègrement – parfois trop, ne le nions pas – les frontières du concept plutôt que celle du simple style. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Deux exemples : chez Renault, le thème de la bulle (ci-dessus) en guise de vitre arrière fut un thème fort (Fuego-R25 notamment) et avec les recherches aérodynamiques aujourd’hui toujours plus importantes pour les voitures électriques, n’était-ce pas une voie à suivre ? Par ailleurs, le concept « one-box » (ci-dessous) aujourd’hui développé entre autres par Alexandre Malval chez Mercedes (ce designer a été responsable du design Citroën…) ne fait-il pas partie aussi de l’ADN Renault ?
Et demain ? L’arrivée de la Renault 5 électrique, dont le style est à placer à l’actif de l’équipe menée alors par François Leboine, mettra en avant la griffe Vidal mais à bord principalement. Car c’est le challenge du nouveau patron du design Renault : booster le design intérieur où Renault était en recul par rapport à Peugeot.
Là encore, Vidal est arrivé alors que l’étude de la moderne et esthétique planche de bord de Mégane E-Tech était figée dans les cartons. C’est ça aussi la chance que Vidal a provoquée : arriver chez Renault alors que les planètes commençaient à s’aligner.
C’est d’ailleurs à bord des Peugeot et des Renault de demain que la rivalité sera la plus excitante à observer. Car les travaux des deux équipes de designers concurrentes sont extrêmement en avance sur certains de leurs concurrents. Et l’on évoque ici à la fois le design, le concept mais aussi la recherche vers des matériaux nouveaux et durables. Sur ce plan, tout ce qui va arriver chez Renault demain sera l’œuvre de l’équipe de Vidal. Mais celle de Matthias Hossann ne s’en laisse pas conter et l’arrivée en 2006 du Hypersquare, cette nouvelle commande de direction futuriste, le prouve (ci-dessous).
Pour finir, voici la phrase de Gilles Vidal extraite d’une interview accordée à LIGNES/auto alors qu’il était encore chez Peugeot : « l’entreprise n’est pas là pour faire plaisir aux designers. Nous avons une mission dans cette entreprise, nous nous éclatons sur cette mission et nous pensons que nous serons compétitifs ! Alors, non, nos designers ne sont pas frustrés ! » Ça marche aussi pour le « Gilles Vidal » made in Renault !
(*) L’arrivée de Gilles Vidal chez Renault a eu pour conséquence de nombreux départs de designers de Stellantis chez le constructeur au losange. Mais également de Renault vers d’autres constructeurs. Citons le départ d’Anthony Lo, bras droit de Laurens van den Acker, mais également celui de François Leboine (ex-responsable concept-cars chez Renault) pour prendre la direction du design Fiat chez Stellantis à Turin.