Alors que Renault réinvente la R4 qui sera commercialisée en 2025, il y a 40 ans, en 1982, Marcello Gandini concevait une nouvelle R4 à la demande de Renault.
Marcello Gandini a dessiné des concept-cars inoubliables, comme l’Alfa Romeo 33 Carabo ci-dessous. Mais il a aussi dessiné la Lamborghini Miura (ci-dessus) et… la Citroën BX, ainsi que la Renault Supercinq et un projet de succession de la 4L dont voici l’histoire très chaotique.
Lorsque Marcello Gandini quitte la carrozzeria Bertone en 1979, son successeur Marc Deschamps explique que le maître designer italien voulait se lier avec un grand constructeur. Gandini noue effectivement dès la fin des années 1970 une relation de consultant très privilégié avec celle qu’on appelle encore la Régie Nationale des Usines Renault. Cette alliance avec l’un des designers les plus réputés de l’univers des « créateurs de modes automobiles », accouche de projets très en avance, comme le camion Renault AE de 1990 (dessin d’avant phase ci-dessous : archives Car Design Archives) qui sera produit en France pendant plus de vingt ans, sans jamais prendre une ride, ou encore le projet de renouvellement de la R5 avec le projet Supercinq.
Mais les idées avant-gardistes de Marcello Gandini proposées chez Renault sont comme l’eau et l’huile : peu miscible ! Ainsi celle d’une voiture tout en plastique, orange et rouge, la Piccola que le maestro a apportée au bureau de style dans une caisse en bois pour l’assembler en moins d’une heure avec trois fois rien comme outils. Autant dire que les responsables de la Régie achetèrent immédiatement le concept pour ne pas le produire – il aurait fallu raser les usines ! – et surtout, pour qu’il ne tombe pas entre les mains des concurrents…
En parallèle au programme de renouvellement de la Renault 5 qui aboutira en 1984 à la présentation de la Supercinq, Marcello Gandini travaille pour Renault sur les différents projets du gigantesque plan VBG – Véhicules Bas de Gamme – que la Régie a initialisé en 1973, soit un an après la commercialisation de la R5. L’objectif de ce programme titanesque est d’ouvrir de nouveaux horizons à une petite Renault intelligente, capable de remplacer le duo R4/R6. Le programme VBG doit surtout porter à son paroxysme le concept d’une R5, certes très attachante, mais reposant sur des éléments techniques dépassés car empruntés à la vieillissante R4. Le cahier des charges originel se résume en deux phrases « le véhicule ne doit pas payer le tribut à l’esthétisme » et « le véhicule doit d’abord se définir par ses usages. »
Finalement chahuté par le succès de la R5 que Renault n’ose pas toucher de peur de casser une incroyable dynamique, le programme VBG est proche de l’implosion : son cahier des charges ne cesse d’être modifié. Les premières maquettes façonnées au milieu des années 1970 sont extrêmement intéressantes mais elles reposent sur un soubassement technique coûteux car imposant un nouveau moteur trois cylindres très en avance sur son temps et des trains roulants inédits.
Et comme la R5 est une poule aux œufs d’or, pourquoi rompre avec elle en imaginant un véhicule très onéreux à concevoir et à produire ? En 1976 pourtant, alors que Renault prépare la commercialisation de sa R14 elle aussi très en avance sur son temps (Gandini n’y est pour rien, on doit son style à Robert Broyer), la direction de la Régie se rend sur ses bases secrètes de Lardy en région parisienne pour découvrir un nombre impressionnant de maquettes du programme VBG. C’est la proposition du styliste Jacques Nocher (ci-dessous) qui est sélectionnée pour passer le cap du prototype roulant. Un prototype que l’auto-journal photographie en 1979 en titrant « Voici la future Renault 2 » nourrissant du même coup la confusion, car la Renault de Nocher était plus imposante que la R5 et n’avait pas l’ambition de devenir une « petite » Renault 2. Mais trop coûteux, le programme VBG est longtemps mis en veille. Avant d’être relancé en 1981.
A cette époque, la Renault 5 a enfin reçu deux portes supplémentaires et la Renault 4 fête ses vingt ans. Renault est bien conscient qu’il lui faut voir plus loin et concevoir enfin un successeur à sa « 4L ». Dès le mois de mai 1982, nous retrouvons Marcello Gandini qui s’attaque à cette nouvelle étude (le projet « Z »). De nombreuses propositions fleurissent, rappelant les heures folles du début du programme VBG de la décennie 1970.
Mais, empêtré dans une passe financière catastrophique, Renault se voit dans l’obligation de stopper ces nombreux projets en 1985, pour n’en retenir finalement que deux : la future Renault X-57 qui doit donner naissance à la remplaçante de la Supercinq (ce sera la Clio de 1990) et la future Renault X-45 qui doit donner vie au successeur de la Renault 4. Il aura donc fallu une décennie depuis le lancement du programme VBG pour que Renault lui offre enfin un cap fiable et s’insérant parfaitement dans une logique de développement produits.
Si le projet X-57 de la Clio « échappe » à Marcello Gandini (il apprendra que Giorgetto Giugiaro fut consulté pour ce programme, ci-dessus maquette à droite, sans plus de succès), sa maquette de la future Renault 4 (projet X-45) séduit pleinement la direction. Mais la concurrence est large sur ce programme : le style Renault réalise ses propres maquettes avec notamment une proposition du designer Alain Jan, et Matra qui vient de lancer la production de l’Espace, est convié à la fête. C’est aussi une période où l’on assiste à une révolution culturelle au centre de style Renault avec les premiers travaux issus directement de l’ordinateur. La future Renault 4 (X-45) se présente comme une berline assez cubique d’une longueur de 3,54 m (3,65 m pour la R4 de 1961), assez large (1,57 m) et raisonnablement haute (1,48 m).
Marcello Gandini lui offre une proue pincée avec un dessin des ailes avant venant largement déborder sur la calandre noire. La proposition italienne est très moderne si l’on veut bien la resituer dans son contexte : Renault vient tout juste de commercialiser sa Supercinq plus citadine et moins rustique, Citroën n’a pas encore dévoilé son AX et Peugeot a très nettement embourgeoisé son offre d’entrée de gamme avec sa 205 qui va arriver sur le marché. Mais quel peut-être le poids de l’originalité, fut-elle signée Gandini, face au déclin ? Renault est au bord du gouffre avec un déficit abyssal. Édith Cresson, alors à la tête de Matignon, fait pression sur Bernard Hanon (ci-dessous à droite aux côtés de Gaston Juchet), le patron de la Régie Nationale des Usines Renault pour… précipiter son départ. Même le président de la République François Mitterrand y va de sa petite phrase assassine : « il y a un grave problème Renault auquel il faudra répondre dans les prochains jours ».
Le 23 janvier 1985, le Conseil des ministres nomme Georges Besse, jusqu’alors P.-D.G. de Pechiney, à la présidence du conseil d’administration de la Régie Renault en remplacement de Bernard Hanon, dont le départ n’avait été annoncé que le 21. Le « grave problème », pour reprendre les termes employés le 16 janvier par le chef de l’État, est d’ordre financier : les pertes de la Régie se situeraient pour 1984 entre 8 et 10 milliards de francs.
Les maquettes du programme de la future R4 (ci-dessus en version 3 portes) répondent parfaitement au cahier des charges établi en 1973 lors du lancement du plan VBG : « le véhicule ne doit pas payer le tribut à l’esthétisme » et « le véhicule doit d’abord se définir par ses usages. » Mais aussi parfaites soient-elles, ces propositions sont mises sous l’éteignoir par Georges Besse. C’en est définitivement fini d’un éventuel remplacement de la R4. Jusqu’à l’arrivée de Luca de Meo à la tête de Renault et de son programme Ampère qui réunit les Renault 100% électriques : la Mégane E-Tech, la future R5, le Scénic familial et enfin, les deux silhouettes d’une R4 réinterprétée en petit SUV urbain et en véhicule utilitaire fourgonnette (ci-dessous).
Le responsable du style Renault de l’époque du projet VBG tentaculaire, Gaston Juchet, livrait sa vision un peu désabusée du projet VBG : « comment après tant et tant d’études et de propositions de petits véhicules n’a-t-il pas émergé ce que nous avons longtemps appelé la « nouvelle R4 » ? Les 2 CV et R4 ont-elles tout simplement profité des conditions tout à fait particulières d’absence automobile due aux années de guerre ? Comment renoncer aux ingrédients stéréotypés de la routière classique, imprégnée de vitesse, de confort luxueux, de suréquipement et d’ostentation sociale souvent agressive, au profit d’autres valeurs que ce programme représentait ? Il a pourtant donné naissance à des voitures pratiques, peu vulnérables, économiques, discrètes dans l’environnement, mais aussi plaisantes, ludiques, capables comme le Blue-Jean de traverser les couches sociales, les années et les continents ! »
Marcello Gandini, dont Renault avait tant aimé l’inspiration, fut débordé au cœur même du style de la Régie nationale par Giorgetto Giugiaro qui sera retenu pour le style de Renault 21 de 1986 et dessina la R19 de 1988. Et la Renault 4, elle, disparut au début de la décennie 1990. Son successeur électrique, tel le Phoenix, est attendu pour 2025. L’histoire balbutie donc pour le plus grand plaisir des fanatiques de cette R4 populaire. Mais sans Gandini cette fois…
Texte de l’auteur publié dans le magazine Gazoline de juillet 2018.