Aujourd’hui, histoire de mains. 54 os viennent en aide au design…

Dix doigts, vingt-sept os par main, soit cinquante-quatre pour chaque designer. Voilà l’outil de base dont dispose le jeune créatif pour exprimer son talent. Ajoutons-y quand même un peu de cerveau, de passion et de curiosité. Sans doute aussi, un don qui leur permet de manier avec légèreté cette collection d’os pour réussir à esquisser leurs rêves. Les nôtres par conséquent.

Walter de Silva nous recevait chez Volkswagen, et dès le début de l’interview, le (grand) calepin de dessins servait de support aux mots.

Devant la main, tous les designers sont égaux ! Que ce soit en nombre de métacarpes, de trapèzes, de scaphoïdes, de distales ou encore de proximales. Et ces doigts charnus, effilés, droits ou au contraire courbés, deviennent le même outil pour tous. Évidemment, ce ne sont pas uniquement sur eux que repose l’expression du talent des designers. Un pianiste professionnel, un chirurgien ou tout autre métier où la dextérité manuelle s’impose, a parfois recours à une assurance spécifique pour s’assurer après tout accident. Pas encore les designers.

Un critérium avec une mine assez grasse pour patiner les doigts de l’artiste. Cinq doigts qui ont donné naissance à de nombreuses icônes, de la VW Golf à la Panda en passant par la Delta. Sans compter les concept-cars… C’est la main créatrice de Giugiaro.

Mais face aux designer, sans doute votre regard se porterait sur leurs mains. Cela m’est arrivé maintes fois, et les premières qui m’ont marqué sont celles de Gérard Welter (1942-2018), ex-responsable du style Peugeot. Paradoxalement, ces mains-là ont beaucoup moins dessiné que celles de ses collègues, car Welter, issu d’une école de staffeur, ne fonctionnait que par le volume et le maquettage. Pas vraiment par le dessin…

Ces mains auront plus sculpté le volume que dessiné en 2D : ce sont celles de Gérard Welter, staffeur de formation.

Ajouté aux matériaux maintes fois poncés, palpés ou sculptés, le temps qui passe s’est permis de patiner ces mains d’artiste. Des mains qui ont créé l’histoire automobile. D’autres ont marqué encore plus fortement cette histoire. Dans celles de Paul Bracq, vous pouvez lire un pan entier de l’épopée du design des marques Mercedes et BMW.

Ces mains ont dessiné les Mercedes Pagode et 600, les BMW Série 3, 5 et 7 des années 1970 et le concept-car BMW Turbo… Ce sont celles de Paul Bracq. (PHOTO : ©.Christian MARTIN)

Car même grand responsable, Bracq dessinait quotidiennement et c’est même la base de sa formation. Point de poussière de plâtre ici, mais l’élite de l’école Boulle et les prémices d’un grand peintre qui se profilait. « Je me dis carrossier » aime-t-il à dire, mais plus que la tôle, ce sont des icônes que ses mains ont esquissé, de la Mercedes 600 à la Pagode en passant par le concept-car BMW Turbo ou les série 3, 5 et 7 des années 1970. Depuis des années, son énergie se porte sur la peinture…

Paul Bracq, chez lui, lors d’une interview pour LIGNES/auto. (PHOTO : ©.Christian MARTIN)

Il faudrait protéger ces mains-là par des gants. Il existe plusieurs sortes de designers : ceux qui dessinent encore, même au quasi-terme de leur carrière et ceux qui ne le font plus. Trop de contraintes en termes de management. Plus le temps… Ou peut-être n’osent-ils plus ? Giorgetto Giugiaro et Walter de Silva ont sorti devant moi leurs carnets et ont accompagné leurs paroles que je buvais, de dessins que j’aurais volontiers embarqués à la maison.

La jeune génération (ici un calepin de Thomas Duhamel DS Automobiles) n’a pas forcément comme premier réflexe de se jeter sur les logiciels 3D et sur l’ordinateur. Le papier reste la base du métier…

Le ballet de leurs mains est alors devenu indissociable de leurs mots. Comme si la pensée et le génie de ces géants du design automobile passaient directement du cerveau à l’extrémité de leurs phalanges. Comme un courant créatif continu. Le premier de leur outil reste simplement le crayon de papier. Ou le stylo Bic pour d’autres. Car la jeune génération n’a pas écarté ce mode d’expression qui repose sur le papier. Un papier dont on dit qu’il remonte à 105 ans après J.-C. et a été inventé par les Chinois qui nous poursuivent décidément jusqu’ici…

Avec un crayon, un feutre, un stylet ou un simple stylo BIC, la main du designer permet de jeter les toutes premières idées d’un futur modèle sur papier ou sur tablette..

Les interviews servent aussi à lire la gestuelle de ces mains qui virevoltent pour accompagner les paroles. Des paroles qui ne suffisent parfois pas à comprendre la tension d’une ligne ou le muscle d’un volume. Est-ce pour cela – ce langage gestuel – que les créateurs italiens ont longtemps eu une avance considérable dans le design automobile ?

Une interview de Giorgetto Giugiaro pour LIGNES/auto où les gestes valaient les paroles !

Parmi tous les doigts présents dans ce sujet, j’ai tenu à mettre ceux d’un sculpteur sur Clay, l’artiste Slimane Toubal. Ce métier, plus encore que celui des designers, repose avant tout sur le travail des mains : pincer la règle de lissage, empoigner la brosse de nettoyage, traduire le millimètre que l’œil veut corriger, malaxer du pouce cette Clay encore tiède. Le modeleur traduit ainsi l’expression ultime du designer.

Slimane Toubal, un véritable artiste, spécialiste du modelage physique et aujourd’hui 3D, œuvre dans l’équipe du design avancé de GAC dirigée par Stéphane Janin à Turin.

Slimane l’expliquait très bien pour LIGNES/auto en ces termes : « La connivence entre le modeleur et le designer est importante. Si tu ne comprends pas ce qu’il veut, tu n’arrives pas à traduire son dessin. C’est au modeleur d’expliquer que ce qu’il a dessiné ne passe pas en termes de volume, de contraintes techniques ou de proportions. »

Le designer (ici Thomas Duhamel, designer de la DS4 à droite) est évidemment présent lors du modelage de la maquette échelle 1.

Pour autant, ce métier de modeleur physique a beaucoup perdu ces dernières années, avec l’arrivée du numérique. Et le designer physique complète alors ses compétences par celles du maniement de la souris, comme Slimane l’a fait. « J’ai beaucoup plus d’expérience dans le métier de modeleur physique et c’est un handicap pour s’imposer comme modeleur numérique. C’est dommage, parce qu’un modeleur qui passe en numérique a une vraie expertise du volume ! Il maîtrise les proportions, il a une vision réelle de la maquette 3D.»

Designers et modeleurs ont ainsi de la féérie au bout de leurs doigts. Et la féérie est plutôt féminine, non ? Il semble que ce métier soit peu ouvert aux femmes. Slimane reconnaît que “c’est vrai qu’il n’y en a pas beaucoup dans les ateliers de modelage. En revanche, j’ai eu beaucoup de collègues femmes en Allemagne. Elles viennent plutôt d’un cursus poterie et céramique et elles effectuent un travail de grande qualité !”

Certains studios et ateliers de maquettage disposent aujourd’hui de marbre avec vérins pour mettre à hauteur la zone de travail. Les communicants des constructeurs montrent souvent des femmes dans cette phase de création…

La main féminine serait-elle finalement plus compétente ? Slimane ne rentre pas dans ce débat mais reconnait que « lorsque j’étais chez Audi, j’ai découvert une qualité de maquettes avec des jeux de l’ordre de 0,5 mm pour les pièces intérieures, bien plus fins qu’ailleurs, où l’on est plutôt dans l’univers du millimètre, voire 1,5 mm. Mais entre tous les constructeurs, la façon de travailler reste la même. »

Aujourd’hui, les modeleurs physiques disposent de tabourets ou chaises spécifiques pour travailler sur toute la hauteur de la maquette. Dans les années 50 aux USA, ils travaillaient sans ces “accessoires” et en cravate !

Et ce travail de modelage est très physique, contrairement au métier de designer statique devant sa tablette. « Oui, on s’abîme principalement les genoux et le dos… » confie Slimane Toubal, « même si tu travailles debout, tu fléchis sans cesse les genoux, sans parler du travail sur les bas de caisse. » Les maquettes sont parfois installées sur des vérins qui permettent de la surélever. « Oui, mais lors d’un rush où l’on passe de deux ou trois modeleurs, à six autour de la voiture, la maquette reste en position basse parce que tu as forcément un collègue qui bosse sur le pavillon, et donc tu dois être à quatre pattes pour finir un bas de caisse ! »

Martin Smith, ex-responsable de design Ford Europe, mais aussi ex-designer Porsche, Audi ou Opel, n’hésite pas à épousseter son Austin Healey de 1961 ! A la main, bien sûr…

Voilà, les mains ne sont pas seules à créer votre voiture de demain qui finit par mettre à genoux les créatifs, à les épuiser, comme une véritable naissance. Alors respect aux cinquante-quatre os de nos mains que designers et modeleurs 3D – et surtout physiques – savent tellement mieux maîtriser que nous…

BONUS : des dizaines de phalanges !

Lorenzo Ramaciotti, 30 ans de design chez Pininfarina puis reprise du studio de design Fiat, Abarth, Maserati et Lancia en 2007.
Fabio Filippini : Studio indépendant au Japon (Design Club International), Renault (avec un passage chez VW Group) et Pininfarina où il crée la BMW Gran Lusso Coupé, la Cambiano, la Sergio… Depuis 2018, indépendant comme Designer et conseiller en stratégie de design à Tokyo et Turin.
Chuck Jordan, vice président du Design GM de 1986 à 1992
Giorgetto Giugiaro : Bertone, Ghia et Ital Design à partir de 1968.
Marc Deschamps : Bertone (1972-1974), Chapron (1974), Ligier (1975) Renault (1976 à 1979), Bertone à partir de 1979. On lui doit la R5 Turbo, la première grande maquette de la R25, le concept Citroën Camargue et les Citroën ZX, Xantia et XM. Entre autres…
Autre époque avec des outils rudimentaires ! Patrick le Quément à ses débuts chez Ford et un drôle de couteau !
Slimane Toubal et l’extension de ses mains: les multiples outils du modeleur sur Clay. (PHOTO : ©-Christian MARTIN)
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