Jean-Michel Juchet commente la R17 concept d’Ora Ïto. Bonus : des dessins inédits de Gaston Juchet

La Renault 17 a été dessinée par le patron du style Renault de l’époque, Gaston Juchet (1930- 2007). Nous avons rencontré son fils aîné, Jean-Michel pour évoquer pour vous l’arrivée du restomod du coupé né en 1971, revu par le designer Ora Ïto, aidé de l’équipe des concept-cars de Renault dirigée par Sandeep Bhambra.

Jean-Michel Juchet, le fils aîné de Gaston Juchet, est ici au côté de Sandeep Bhambra, responsable du design avancé et des concept-cars Renault.

Comme descendant direct de Gaston Juchet, avez-vous été contacté par Renault pour ce projet, peut-être au niveau des archives ?
”Non, la famille n’a pas été contactée, ni pour les archives, ni pour le projet que j’ai découvert comme vous, dans les différents médias.”

La R17 réinterprétée par le designer Ora Ïto avec l’équipe de designers Renault menée par Gilles Vidal et Sandeep Bhambra, intègre une motorisation 100% électrique de 270 chevaux, implantée à l’arrière…

Une surprise pour vous mais sans doute un peu plus…
”Une surprise et aussi une certaine fierté ! Une surprise parce que le thème du coupé dynamique n’est pas franchement d’actualité au milieu des crossovers actuels… La voiture dessinée par mon père était très loin d’être un SUV ! Surprise également car la R17 était tombée un peu dans l’oubli. Et puis fierté, car ça remonte à une époque où Renault vendait très bien ces coupés.”

”Le duo R15/R17 (ci-dessus, la R17) a connu une carrière commerciale somme toute réussie. Ces voitures remises dans leur contexte des années 1970 faisaient rêver. Le style de la 15 et de la 17 se passait de pilier « B », et on pouvait avoir un toit ouvrant. Sans compter les versions TS, voire Gordini avec une carrière sportive pour cette dernière en rallyes. Ce concept de 2024 aide finalement à redécouvrir l’original de 1971 !”

Conçue sur la structure monocoque du véhicule d’origine, la R17 de 2024 conserve la cabine, les portes, fenêtres, vitrages et joints ainsi que les surfaces d’appuis techniques.

Dans l’ouvrage rédigé avec les archives de votre père (voir en bas de ce sujet), vous racontez votre première expérience dans la R16, à 5 ans. Et avec la 17, avez-vous des souvenirs d’enfance ?
”Pour la R16, je m’en souviens malgré mes 5 ans : elle était dans une teinte spécifique, un bleu qui n’a jamais été proposé en série ! On a eu à la maison toutes les déclinaisons possibles et imaginables de la Renault 16. Ensuite, on a roulé en Renault 15 TS pendant près d’un an, et paradoxalement, avec la famille et les trois enfants, dont deux adolescents, et avec les bagages, ça se passait très bien ! Elle était dans un bleu métallisé avec les sièges beige. Elle avait le 90 ch et elle qui marchait bien déjà !”

Votre père qui a dessiné les trois succès de Renault des trois décennies lors de sa carrière (R16 en 1965, R17 en 1971 et R25 en 1984) a-t-il aimé la 17 plus qu’une autre ?
”C’est difficile d’établir une hiérarchie entre les différents modèles qu’il a dessinés personnellement, mais il était content de la genèse de ce qui est devenu la 17 et la 15. Avec un style audacieux, il a réussi la synthèse entre un coupé familial et sportif qui a trouvé largement son public. Je crois me rappeler un seul regret de sa part qui est d’ailleurs le regret de tous les designers de cette période : la voiture était conçue sur la base de la R12 et il aurait aimé avoir des voies plus larges.”

La voiture a été élargie pour une meilleure tenue de route. Ses ailes et ses roues extériorisées donnent à la voiture un look spectaculaire.

C’est justement la grande modification d’architecture du concept : les roues sont où il faut avec un élargissement de 17 cm !
”L’élargissement de la voiture originelle est spectaculaire mais je suis un peu plus critique sur l’avant. En substituant les optiques rondes et la forme caractéristique de la calandre par des optiques fines, le volume est tiré vers le haut et en termes de proportions, ça dénature l’orignal. J’ai la même réflexion pour l’arrière avec une forme évasée un peu trop tirée… Il manque les boucliers, même s’ils apparaissent en filigrane. Mais par ailleurs il y a de très beaux développements, comme l’interprétation des persiennes latérales (ci-dessous). Quant aux flancs, il n’y a rien à redire puisque ce sont ceux de l’originale.”

Je suis aussi étonné par la proue de cette R17 restomod, d’autant que les optiques rondes de la R4 originale par exemple ont été parfaitement traitées sur la nouvelle R4 E-TECH de 2024… Et que pensez-vous de l’habitacle de cette R17 d’Ora Ïto ?
”A l’intérieur, il y a une très belle évocation des sièges pétales (ci-dessous) apparus sur le restylage de 1976. C’est tout à fait sympathique. Si j’avais eu à phosphorer sur le projet, j’aurais joué sur l’arrondi des casquettes des compteurs, plutôt que sur la forme carrée, mais tout ceci est fonction des goûts de chacun… Je ne suis pas trop attiré par le côté peluche de la sellerie, mais c’est vrai qu’elle évoque les années 70. Je pense que le thème du concept original d’un habitacle très marqué et innovant de la première génération de la R17 se prête à des interprétations assez modernes.”

Et pour vous, la Renault 17, cela évoque des souvenirs ?
”Oui, tout à fait, je me souviens d’une époque où j’étais stagiaire dans le service publicité France. Nous étions en 1980 et on lançait la Fuego, remplaçante des 15 et 17. Nous faisions des essais avec des cadres de l’entreprise et il y avait là une Fuego et des rivales, comme la Toyota Celica, mais il y avait aussi une R17. J’ai trouvé très intéressant de rouler avec la 17 et avec une Fuego en mode sportif, car je me suis rendu compte que la 17 avait quand même de très bons restes ! On roulait très fort avec la version injection.”

Mais c’est la R17 qui sort en 2024, pas la Fuego !
”Oui, et on peut se poser la question : pourquoi Renault a pris la R17 plutôt que la Fuego. J’ai longtemps roulé en Fuego version GTX automatique, bleu nui métal intérieur gris. J’ai fait avec elle plusieurs milliers de kilomètres. Elle dérivait d’une plateforme de berline – la 18 – comme la 17 dérivait de la 12, mais certains lui ont placardé une image un peu ringarde.”

Gaston Juchet, le père de Jean-Michel, à son bureau au centre de style. Il est notamment l’auteur des lignes de trois grands succès chez Renault : R16, R15/17 et R25

Le milieu de la collection change un peu d’avis avec elle. Elle fait partie des youngtimers désormais !
”Oui, car côté design, la Fuego (dessinée par Michel Jardin) avait de belles proportions, c’était plutôt bien fait mais il lui manquait des motorisations plus sportives. Elle aurait mérité plus. Et pour revenir à la R17 d’Ora Ïto, c’est globalement très positif, même si on sait que c’est un one shot et qu’elle ne sera pas produite.”

BONUS 1
Inédit : voici le premier dessin qui inspira la Renault 17
Gaston Juchet esquisse cette étude datée de 1967. Elle ouvre la voie à ce qui deviendra la Renault 17 en 1971. Il ne s’agit pas d’un avant-projet : ce dessin est signé du patron du style, et ce dernier précise qu’il s’agit ”d’une étude libre.”

Que nous apprend ce dessin ? On remarque que le patron du style Renault ajoute toujours dans ses arrière-plans une touche architecturale ou aéronautique. Ce cabriolet dispose de 2+2 places et son côté de caisse inaugure les persiennes du futur coupé R17. Enfin, il est intéressant de noter que trois ans avant la Citroën SM de Robert Opron et Jean Giret, une verrière apparaît sur la proue. Si Juchet est en avance sur Opron sur ce thème, il reprend en revanche un passage de roue arrière très inspiré de celui d’une Citroën !

Pour resituer cette peinture dans son contexte, précisons qu’un mois plus tard, la première maquette du projet 122 de la R5 (commercialisée en 1972) est réalisée. Gaston Juchet est alors dans une période de transition, entre le projet d’un coupé sportif dénommé RAG (pour Renault Alpine Gordini) et ce qui deviendra la projet 117P (puis 131) de la future R17. De toute évidence, le coupé-cabriolet RAG qui n’a que deux places n’est pas adapté à la gamme, mais il est néanmoins primordial dans l’histoire de Renault puisqu’il va dériver vers deux projets distincts : celui de l’Alpine A310, et celui du duo R15/17.

On note que le travail de Gaston Juchet se décompose toujours en deux étapes, avec une esquisse rapide au trait sur un papier calque ci-dessus, puis la peinture réaliste. Cette étude libre est le trait d’union indéniable entre le programme RAG de 1966 et celui, contrôlé par Gaston Juchet, des R15/17. Michel Beligond va prendre en mains le projet qui aboutira à l’Alpine A310 2+2 places en 1971, la même année que les deux coupés Renault 15 et 17. Ci-dessous, une autre peinture datée cette fois de 1968 et très proche du produit final, à la calandre près.

BONUS 2
1961 : l’incroyable proposition très novatrice de Gaston Juchet
LIGNES/auto vous propose de détailler cette peinture de Gaston Juchet (ci-dessous) datée du mois d’août 1961. Renault commercialise depuis peu son duo de R3/R4 et dans le bureau de style, le projet 114 d’une berline tricorps apte à remplacer la Frégate de 1950 a du plomb dans l’aile. Voilà que le jeune Gaston Juchet et quelques ingénieurs trentenaires également vont révolutionner les architectures stylistiques et techniques des futures Renault. Cette étude avancée ressemble à une Renault 16, mais ce n’est pas une Renault 16. Son style est un bicorps pur (2) qui conserve un pavillon long et plat, sans le système de flanc/pavillon soudé. L’habitacle est cossu avec un épais revêtement confortable jusque sur la planche de bord (1).

Contrairement à la R16, le rebord du hayon est très limité (3) et creusé comme celui que l’on retrouvera dix ans après sur les R15/17 et en 1975 sur les R30/20. La surface vitrée (4) est exceptionnellement vaste. Elle provient d’une architecture sans montant B dotée d’une seule et unique portière très longue avec une poignée centrale. Le sommet du pavillon montre un “cache” strié qui permet de camoufler le système d’articulation d’une porte sans doute papillon mais également pliable lors de son ouverture. Gaston Juchet a mené d’innombrables études sur les ouvrants (asymétriques notamment) et dans le domaine des architectures. En ce sens, il peut être considéré non pas comme un styliste, mais comme un véritable designer.

L’auteur a réalisé avec les archives de Gaston Juchet et l’aide de la famille, notamment celle de Jean-Michel Juchet, un ouvrage ci-dessus sur les études inédites menées par ce grand designer Renault. Disponible ici:
BOUTIQUE LVA https://www.la-boutique.com/produit/style-renault-lere-gaston-juchet-1960-1987
LIBRAIRIE PASSION AUTOMOBILE https://www.librairie-passionautomobile.com/design-designers-carrossiers/14425-style-renault-l-ere-gaston-juchet-1960-1987-9782955578087.html?search_query=GASTON+JUCHET&results=8
MOTORS MANIA https://www.motors-mania.com/fr/tous-nos-produits/10856-style-renault-lere-gaston-juchet-1960-1987.html

Jean-Michel Juchet lors du Mondial de l’automobile à Paris, au côté du concept Renault 17.

Merci à Artcurial pour les documents de la Renault 17 blanche, à Jean-Michel Juchet pour sa disponibilité, ainsi qu’à Sandeep Bhambra pour la photo clin d’œil en ouverture du sujet.

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