Benoît Jacob est l’auteur du concept-car Renault Fiftie, du Spider Renault, de la Renault Laguna 2 ou encore de la première Dacia Logan. Expatrié à Munich dans un premier temps, il a participé chez BMW à la naissance des i3 et i8 et puis s’est lancé à l’assaut des start-up automobiles chinoises implantées dans la ville allemande. Aujourd’hui, il “dessine” des équipes et les manage ! L’homme ne cherche pas la lumière. Nous avons donc allumé une petite bougie à la recherche de ce designer et l’avons trouvé alors qu’il voyageait entre la Corse, la Chine et la capitale française. Né à Belfort en 1970, Benoît Jacob s’est construit une carrière atypique, et son avis sur le monde du design est instructif, comme vous allez le découvrir.
Bio Express : une belle carte de visite !
-Naissance à Belfort en 1970
-Renault Design Industriel en 1991
-Art Center College of Design en 1992
-Renault Design Industriel en 1994
-Volkswagen en 2001
-Audi en 2002
-BMW en 2004
-BMW i en 2009
-Byton en 2016
–NIO en 2022
-GAC depuis septembre 2024
On vous court après car vous restez pour nous l’auteur du concept-car Renault Fiftie de 1995, du Spider Renault Sport de la même année et de la Logan de 2004. Puis vous avez été le responsable du design des BMW i3 et i8…
Benoît Jacob me coupe : « c’est vieux tout ça ! »
Certes, alors commençons par la fin, c’est-à-dire aujourd’hui. Vous venez de rejoindre le groupe chinois GAC*. Expliquez-nous pourquoi ?
Pendant les deux dernières années, je me suis mis à mon compte et j’ai eu pas mal de contacts avec des entreprises en Chine. Je me suis rapproché de GAC, car je trouve que sur le plan du design, c’est une marque qui me semblait être la plus internationale…
*GAC, pour Guangzhou Automobile Cie, 6e constructeur automobile chinois. Siège social à Canton (ou Guangzhou)
Vous allez retrouver là-bas de sympathiques connaissances, notamment françaises !
Le patron du design monde de GAC, Zhang Fan (ci-dessus au Mondial 2024 avec Benoît), jouit d’une réputation internationale (il a travaillé chez Mercedes NDA) et il a effectivement embauché quelques-uns de mes amis de la période Renault : Pontus Fontaeus au centre de design de Los Angeles, ou encore Stéphane Janin au studio de Milan. Je me suis dit que ce groupe prenait le design au sérieux, et pas uniquement à travers des mots, mais concrètement, dans des actes. Ils ont mis en place une organisation mondiale au design d’environ 400 personnes.
Serez-vous en Chine, à Milan ou à Los Angeles ? Et à quel poste ?
Je serai en Chine. En cours d’année, j’ai échangé avec Zhang Fan et le courant est immédiatement passé. C’est un homme très occupé et je vais être à ses côtés comme directeur exécutif du design. J’ai déjà commencé (le 18 septembre dernier NDA) après avoir découvert les studios de design à Guangzhou en août dernier.
Vous continuez votre vie d’expatrié ! Après Munich en Allemagne, la Chine. C’est quand même particulier…
La Chine ne m’est pas inconnue. J’y suis allé régulièrement durant les quinze dernières années. Mais c’est vrai que même si je suis habitué à vivre en Allemagne avec ma compagne (BMW, Byton et NIO, nous y reviendrons NDA) le déménagement en Chine n’est pas anodin ! J’ai eu l’opportunité autrefois d’y travailler mais mon fils (Charles, aujourd’hui designer Renault NDA) étudiait encore, et on ne voulait pas trop s’éloigner. La situation aujourd’hui est différente. Je dirais tout d’abord que l’intégration dans la boîte s’est mieux passée que ce que j’avais imaginé. Aujourd’hui, nous sommes avec ma femme plutôt sur des réflexions de type « Est-ce qu’on vit à Canton où à Hong Kong par exemple. » Moi je peux rester à Canton, sans problème, mais il faut quand même penser à la famille et trouver un lieu où il y ait un maximum d’opportunités pour se socialiser. On a l’habitude de l’expatriation, mais il est clair qu’à Munich, il y avait une grande communauté de Français. C’est un peu plus délicat en Chine.
Parlons de Munich justement. Vous y avez connu trois carrières bien différentes chez BMW (puis BMW i), Byton et NIO..
J’ai été débauché par la start-up Byton (constructeur chinois né en 2017 qui a fait faillite en 2023 NDA). Je n’avais pas vraiment de raison de partir de chez BMW si ce n’est le goût de l’aventure et du renouveau : l’esprit de la start-up me plaisait et on ne partait de rien. Il fallait tout inventer ! J’ai commencé par proposer d’implanter le studio de design à Munich car j’avais un réseau capable de nous aider, surtout pour une Start-Up…
C’est le début d’une période où les Chinois implantent en Europe leurs centres de design et débauchent des designers européens plutôt capés !
Même si NIO était là avant, je pense que j’ai un peu accéléré tout ça ! Munich a été pour les Chinois une sorte de cheval de Troie… Il était logique que les constructeurs Chinois viennent chercher les compétence européennes.
Munich est devenue un véritable Hub pour les Chinois, comment l’expliquer face à Turin ?
Munich est situé au cœur du triangle d’or des constructeurs premium (ci-dessus) : Stuttgart, Ingolstadt, Munich avec Porsche, Mercedes, BMW ou encore Audi. Le réseau de sous-traitance de qualité est aussi développé qu’à Turin. Pour Byton et pour NIO, je pouvais compter sur un écosystème et sur un réseau de partenaires pour engager toute suite les travaux. Avec les compétences nécessaires dans tous les domaines : modelage, maquettage, etc. Les concept-cars de Byton, je les ai tous réalisés dans ce périmètre. Désormais, quand les constructeurs Chinois considèrent l’Europe, Munich vient souvent en priorité.
Et les Chinois ont eu la réputation de sortir le carnet de chèque pour séduire les designers européens !
Sincèrement, dans mon cas, je n’avais pas à me plaindre chez BMW ! J’étais à un niveau exécutif, au comité de direction du design et je rapportais directement à Adrian van Hooydonk (responsable du design BMW Group NDA). J’ai quitté BMW sans avoir à me plaindre de quoi que ce soit ! La motivation était ailleurs. Nous avons quand même besoin, nous les designers, de stimulation intellectuelle. Chez BMW, je m’occupais principalement de design avancé et à l’époque, la branche « i » était plus incertaine dans sa définition et sa stratégie à long terme. BMW a un management efficace, mais il fallait encore deux à trois mois pour valider une décision qu’aujourd’hui je prends en deux ou trois jours avec les Chinois…
On note une part non négligeable de designers français chez les constructeurs Chinois. C’est une coïncidence ou le signe d’une très bonne formation Française ?
Tout ça remonte à une trentaine d’années, lorsque Patrick le Quément (ci-dessus devant le concept VelSatis de 1998) a pris la direction du « style Renault » pour le transformer en « Design Industriel » et en l’internationalisant. Jean-Pierre Ploué a suivi cette même logique un peu plus tard chez PSA. Cela a entraîné beaucoup de contacts avec les écoles de design, et toute cette mécanique a forcément élevé le niveau. Je pense que les designers français ont un mixte de compétences et beaucoup de talent. La culture française a pour habitude de tout remettre en question, ce qui créé parfois tout un tas d’ennuis ! Mais en design, cette culture pousse vers une réflexion de toujours vouloir du nouveau, du jamais vu.
En frappant à la porte du design Renault en 1991, vous ne pouviez pas mieux tomber !
J’ai été biberonné chez Renault avec des Michel Jardin et des Jean-François Venet qui disaient ‘’non, ce n’est pas assez nouveau, on veut voir du nouveau !’’C’est exactement ce qui manquait aux constructeurs Chinois. Attention, on ne va pas leur apprendre à faire des voitures ! Aujourd’hui, ils savent faire ça très bien. En revanche, culturellement, la Chine a commencé par copier, car chez eux, copier c’est célébrer une bonne idée ! On trouve là-bas une culture plus pragmatique, dans un contexte où la majorité des constructeurs Chinois sont très jeunes et n’ont pas d’histoire.
Justement, partir d’une page blanche, c’est bien plus simple que pour les constructeurs européens, dont certains sont plus que centenaires et doivent transformer un passif parfois pesant !
Oui, même s’il y a des avantages à avoir une histoire : on peut créer une image de marque avec plus de marge, c’est une chance. Mais c’est vrai, ça peut être un fardeau dans certains cas. Je trouve que certains constructeurs européens sont parfois trop enfermés dans leur dogme, mais heureusement, il y en a qui s’en sortent plutôt bien.
Tout ça me fait penser à Mercedes qui s’appuyait sur un design maîtrisé dans les années 70 à 90, avec Bruno Sacco récemment disparu. Une histoire non pas pesante, mais au contraire un socle solide avec un design pérenne…
Tout à fait ! Je dirai « Bruno revient », car je suis un grand fan des Mercedes des années 1980. J’ai la collectionnite aigüe et je ne renierais pas un coupé 500 SEC des années 1980 (ci-dessus), ou même une 190 qui reste pour moi un master-class de design, avec une balance entre la fonctionnalité, la nouveauté et la modernité que je ne retrouve pas aujourd’hui dans ce qu’ils font. D’une manière générale, et à l’image de notre société, le design semble parfois un peu moins sophistiqué, un peu plus rebattu. Mais je le dis toujours, le design automobile reflète les aspirations de la société.
La société, en Europe pour ce qui nous concerne, nous oblige à passer par la case 100% EV. Vous semblez, vous les designers, ne pas profiter des plateformes inédites (comme ci-dessus celle de NIO) qui auraient dû nous offrir une révolution en termes de design ?
D’abord, il faut partir du principe qu’après plus d’un siècle, l’automobile est quand même un produit qui, dans sa définition de base, a atteint une maturité technologique et fonctionnelle très optimisée. Si je la compare au domaine spatial ou à l’aéronautique, je dirais même que l’automobile est plus complexe dans le sens qu’elle est produite à des millions d’exemplaires, mise entre les mains du plus grand nombre, sans formation poussée, et qu’elle répond à des objectifs de coûts, de sécurité et de législation incontournables. Et donc, le corridor des possibles se réduit au fil des décennies. Les attentes ou constats en termes de sécurité, d’aérodynamique, d’émissions ou encore de coûts des usines avec un réseau de fournisseurs structurés, ont d’une certaine façon défini les contours de la silhouette d’une voiture.
Patrick le Quément disait en arrivant chez Renault que « le style habille le bossu. » On y est revenu quand on voit le carry-over pratiqué chez Stellantis par exemple : plateforme, baie de pare-brise, pare-brise, points durs arrière, etc…
Disons qu’aujourd’hui on a tendance à faire du style plutôt que du design. Le design est quelque chose de global. D’ailleurs ce n’est pas toujours évidement d’utiliser ce mot car en anglais, le designer est aussi un concepteur, voire un ingénieur. Donc ce n’est pas forcément celui qui tient le crayon avec de l’émotion. Le design va au-delà de l’activité du designer traditionnel : intégration, proportions, équilibre, tout ça c’est du design, c’est la bonne technologie, les bons objectifs en matière d’intégration…
Vous pensez que Stellantis va trop loin dans le carry-over de ses multiples marques ?
Stellantis est un excellent exemple de style et il n’y a rien de mal à ça. Je suis moi aussi styliste, mais également designer. Les choses se font dans un ordre différent. Dans le contexte d’un groupe immense, multi-marques, avec le moins de plateformes et composants possibles, le corridor est très étroit. Mais on peut faire encore énormément de choses sur des bases très rigides. Je vais vous donner un exemple chez BMW : dans le département du design avancé, on positionnait toujours les générations précédentes avec la génération future sur laquelle on travaillait. D’une génération à l’autre, l’écart entre les points durs de chacune d’entre elles devenait toujours plus fin, mais les silhouettes étaient cependant assez différentes.
Vous évoquez BMW. Expliquez-nous la fabuleuse aventure de la BMW i3, un véritable manifeste de la marque, qui plus est, produit en série !
La genèse de ce programme trouve sa source à la suite de la crise financière en 2008. Chez BMW, sous l’impulsion de Norbert Reithofer, ils se sont demandé comment assurer la survie du groupe dans un contexte législatif qui risquait d’être différent, notamment au niveau des émissions. Les i3 et i8, surtout la i3, devaient manifester une volonté d’entreprise. BMW a toujours eu un sens de la stratégie et de l’anticipation assez aigüe. Il y a eu de nombreuses réunions, et la direction a montré une volonté de transformer BMW. Une des conclusions était de manifester notre engagement vers une mobilité plus durable. Et « soyons parmi les premiers ! » Ça s’est matérialisé avec le projet BMW i, et vu la culture de BMW, l’ingénierie a posé les bases innovantes du programme : voiture légère (l’acier est lourd, est-ce qu’on peut envisager d’autres technologies et dans le premium pouvait se permettre le carbone)…
…Mais comment l’habiller ? On a choisi le thermoplastique, plus léger qu’on a même imaginé pouvoir teindre dans la masse. Idée abandonnée par la suite. Il y avait beaucoup de motivation par rapport à l’énergie nécessaire pour fabriquer une voiture. Le programme partait du principe que l’emboutissage, la cataphorèse et la peinture étaient trop énergivores… il y avait une vision globale qui permettait d’économiser non seulement à l’usage du véhicule, mais aussi lors de la production. Ça allait très loin. C’était donc le brief que j’ai reçu au moment d’entamer la phase prospective de design. Il fallait penser la voiture différemment.
On reste encore étonné que la direction ait pu prendre une telle direction, très audacieuse et qu’il faut saluer.
Disons que la BMW i3 a servi de manifeste, un peu comme la Z1 en son temps. Ce genre de véhicule laboratoire permettait de passer un message clair en interne et en externe. C’étaient deux véhicules polarisants et ils divisaient au sein du board, donc ça se reflétait dans la stratégie. Certains hésitaient : est-ce qu’on continue avec ces deux gammes (BMW i et BMW) ou est-ce qu’on adopte une stratégie plus sûre avec des plateformes multi énergie ? Énormément de questions se posaient . La marque a tout d’abord évolué au travers un label « i » et une technologie dédiée, mais désormais, la stratégie repose sur des plateformes multi-énergie, ce qui est probablement une bonne stratégie.
La i3 est un véritable OVNI chez BMW. Comment l’avez-vous appréhendée en termes de design ?
La i3 a un fort contraste entre ses pièces, elle est très graphique mais ce n’est pas une motivation artistique, c’est purement fonctionnel. Le coefficient de dilatation du matériau utilisé pour la carrosserie était différent de celui de l’acier. Personnellement, j’ai souvent comparé cette voiture à la planète : il y a un cœur – le noyau -, et des plaques tectoniques qui se baladent autour. La carrosserie traditionnelle en acier est stable : vous calez les ouvrants et tout va bien. Là, il fallait prendre en compte la dilatation et c’était encore plus problématique avec l’i8 (ci-dessous), car contrairement à l’i3, sa carrosserie était vraiment multi matériaux, avec des portes en aluminium, des ailes arrière en thermoplastique et tous avec des coefficients de dilatation différents. On s’est bien amusé !
Avant de quitter BMW, aviez-vous des remplaçantes programmées pour les i3 et i8 ?
Il n’a jamais été question de programme de renouvellement. En fait, la seule chose de certaine lorsque j’ai pris le programme en main, c’était de concevoir la i3 alors que la i8 est venue après. Le marketing et les responsables du plan produit se demandaient quand même si une voiture de ville était en phase avec l’image de BMW. La i8 permettait de consolider l’image de marque, en même temps que cette démarche de BMW i.
On peut rebondir sur ce projet novateur, presque « laboratoire » : votre carrière est un peu tournée vers ce type de programme avec notamment le Spider Renault ou la Dacia Logan.
J’ai traditionnellement choisi des entreprises en fonction de leur courage en termes de design. Chez BMW, ils ont le courage de faire différent. Chez Renault, j’ai connu un âge d’or, qui ne se retrouvait pas toujours en série, mais j’en garde un excellent souvenir. En revanche, j’ai moins rencontré ce type de démarche chez Volkswagen lors du mon passage à Sitges.
La Logan (ci-dessus) reste malgré tout un beau programme sur votre carte de visite !
On va dire que je n’ai pas de registre préféré en termes de voitures… Je vous parlais de stimulation intellectuelle ; j’ai toujours manifesté une appétence particulière pour ce qui est différent, nouveau… sortir des sentiers battus. La Logan n’était pas Miss monde, c’est une évidence, mais il y avait une intelligence derrière ce produit, et moi j’aime les produits intelligents qui ont du sens, je m’amuse avec ça.
Vous avez également exécuté le style extérieur du concept-car Fiftie en 1995 ci-dessus. Lorsqu’on voit le succès d’estime du rétro-design, on peut se dire que Renault a loupé le coche. Des regrets ?
Non, aucun regret, aucune frustration. Ce concept-car avait une gueule sympa. Est-ce qu’il aurait trouvé son marché au milieu des années 90, je ne sais pas…
Quel est votre sentiment suite à l’industrialisation des R4 et R5 E-TECH… S’appuyer sur le passé, c’est vouloir se rassurer ?
Il y a plusieurs explications. Personnellement, j’ai grandi à la fin des trente glorieuses, et on se disait que demain allait être incroyable ! Il y avait la conquête spatiale, avec la navette américaine en 1981, l’année du TGV chez nous. On était quand même attiré par ce futur-là qui s’est reflété bien avant dans le design automobile, notamment en Italie dans les années 70, et même avant aux États-Unis. On avait cette appétence pour demain, y compris dans d’autres univers, comme celui de la mode avec Cardin ou Courrèges. On raisonnait en se disait que « demain c’est cool. » Actuellement, on n’est plus vraiment certain que demain sera cool, et ça se traduit par cette peur et une volonté de se rassurer. Je parlais aussi de la maturité technologique qui fait qu’on exécute plus de style que de design. On fait du narratif : quelle histoire raconte la voiture… Il peut y avoir des pistes intéressantes, parce que dans le corridor étroit dont je parlais, il y a malgré tout énormément d’histoires à raconter, et ça, c’est l’art du designer. Le côté rétro, pourquoi pas. Je ne sais pas comment je l’aborderais mais je n’en ferais pas un dogme.
Alors que vous dessiniez la Fiftie -1995 -, GAC n’était pas encore née – 1997 – Ça parait assez impensable !
L’industrie automobile Chinoise est récente. Elle a été développée sous une forte impulsion politique, mais surtout, avec un plan à long terme. N’oubliez pas que la culture chinoise est basée sur le temps long…
Un temps long qui pourrait être mis à mal par l’Intelligence Artificielle. Que pensez-vous de son arrivée dans les studios de design ?
Je suis tourné vers le futur, mais je suis de la vieille école. L’IA agrège des données, et le terme de « données » renvoie au passé, pas au futur. Ça ne veut pas dire qu’elle n’enfante pas de sujets intéressants, mais ça reste des itérations sur des choses qu’on connait. Dans un premier temps, peut-être que ça suffit… Lors d’une récente intervention dans une école en Chine, au moment du décès de Marcello Gandini, j’avais rebondi sur ce sujet : « est-ce que l’IA peut être le prochain Gandini ? » Marcello Gandini ou d’autres grands créateurs, comme Elon Musk ou Steve Jobs, sont ou étaient des gars qui refusaient la réalité pour faire des choses comme ils les ont faites. Ils avaient – ou ont – une façon de distordre la réalité pour faire quelque chose de nouveau. L’IA n’est pas encore capable de ça.
L’IA ne peut donc pas être un génie ?
Je reprends l’exemple d’Elon Musk. Sa fusée Starship de 120 m de hauteur avec son booster qui revient de l’espace se caler sur le pas de tir, n’était tout simplement pas imaginable avant. Pour arriver à ça, outre le bagage de génie et de folie qu’il faut déployer, il est question de refuser la réalité. C’est donc une notion de courage. C’est ça l’innovation. Est-ce que l’IA est capable de questionner la réalité ? C’est la question que je me pose et je n’ai pas de réponse à ça…
La génération d’aujourd’hui pense ceci faisable désormais. Et pour ce qui est des designers en herbe, un logiciel comme Blender offre toutes possibilités de création pour presque tous…
Oui, il faut dire qu’il y a de plus en plus de diplômés qui sortent des écoles et ce n’est pas facile pour eux. Dans le même temps, Blender est accessible à tous et de nombreux jeunes créatifs (voir ci-dessus) savent le manipuler. Rien que pour ça, sans même évoquer l’IA, le métier va changer drastiquement dans les cinq ans à venir.
Pour débuter ou accélérer une carrière de designer, comme dans tous métiers, il faut compter sur de bonnes rencontres. C’est ce qui reste le plus important, non ?
Oui. Je dis toujours que pour une carrière, il y a le talent, le boulot, mais il y a aussi le facteur chance. J’ai eu la chance chez Patrick le Quément de tomber sur les bonnes personnes. Je n’avais pas encore de diplôme de designer, pas de bac, rien. Ce n’était pas gagné. Et donc oui, des gars comme Michel Jardin (ci-dessus), Jean-François Venet que j’adorais sont encore là : ils ont imprimé en moi une réelle admiration. J’ai adoré travailler pour eux, comme avec Griffa pour le modelage. Ils m’ont tous appris beaucoup et je répète encore aujourd’hui dans les studios ce qu’ils m’ont appris.
Aujourd’hui, à 54 ans, l’ère Renault et même celle de BMW semblent loin alors que vous vivez une nouvelle et grande aventure…
…C’est quand même un sacré cadeau de la vie ! Une chance que la vie vous offre ce genre de situation et la possibilité de découvrir à nouveau autre chose. Encore faut-il provoquer cette chance !
Vous avez une petite décennie d’écart avec Jean-Pierre Ploué qui, à 62 ans, va donner les clés du design Stellantis Europe dans les années à venir. Vous seriez candidat à un retour en Europe à un tel poste ?
Ce n’est pas à moi de me poser ce genre de question. Jean-Pierre a effectué un travail incroyable. Je suis certes un grand fan de BMW mais aussi de ce que Ploué et Gilles Vidal ont fait à l’époque chez PSA, au niveau de la qualité design – créativité et exécution – dans le mainstream, avec des packages pas toujours facile. Respect. Si j’étais à la place de la direction de Stellantis, je prendrais plutôt quelqu’un capable de suivre deux générations de renouvellement produits. Je suis peut-être un peu âgé pour eux ! Mais c’est vrai qu’avec BMW, avec le montage de Byton et celui de NIO, j’ai appris beaucoup, notamment à rassembler de bonnes équipes et à les gérer. Je sais ce qu’est une organisation design, je connais tous les aspects techniques, mais aussi la part de politique inhérent à ce métier.
Après vos deux périodes « chinoises » à Munich – Bydon et NIO – vous aviez tenté de reprendre contact avec un constructeur européen ?
Lorsque j’ai quitté NIO, j’ai proposé mes services en Europe à Jean-Pierre Ploué, Laurens van den Acker ou encore Adrian van Hooydonk, sans suite. Ma femme me dit que « maintenant que tu es parti chez les Chinois, les européens ne veulent plus de toi ! » Si j’étais constructeur européen, avec une crainte des Chinois, je me dirais que ce serait sans doute pas mal d’avoir quelqu’un qui connait comment ça se passe de l’autre côté de la barrière. Et de l’autre côté, ça ne se passe pas du tout comme en Europe. J’ai par exemple eu beaucoup plus d’impact en dix jours chez GAC qu’en un an chez BMW, au niveau des décisions et de la trajectoire à emprunter ! Et quand je dis un impact fort, ce n’est pas refaire un petit bout de bouclier, ce sont des choix fondamentaux !
La dernière fois que l’on s’était parlé, vous étiez en train de restaurer l’une de vos voitures de collection. Vous en avez toujours ?
Oui, elles sont à Munich. Ce sont des voitures que j’ai achetées il y a une dizaine d’années, et que j’ai restaurées pour la plupart de mes propres mains. J’ai restauré mes vieilles Ferrari, notamment une 308 GTS, une 308 GT4 et une 365 GT4. J’ai aussi une BMW 850 V12 5 litres, avec le moteur M60 1ère génération et avec laquelle j’ai beaucoup roulé. Mais il a fallu mettre un frein, car si je m’étais laissé aller, j’aurais toutes sortes de voitures dans mon garage ! Une Citroën C6 par exemple, je ne dirais pas non !