La longue interview de LIGNES/auto a ouvert son micro à François Leboine qui est depuis 2018 le nouveau responsable design des concept-cars Renault.
Depuis 2018, François Leboine, entré chez Renault à la veille de ce nouveau millénaire, est devenu responsable design des concept-cars. Pour le grand public, le concept-car, c’est une part de rêve ! « Cela va même bien au-delà » nous dit-il.« Un concept-car doit enchanter, faire rêver comme dans notre enfance, faire briller les yeux de tous ! Le design doit produire ces mêmes émotions dans son dessin ; c’est ce que je recherche dans les propositions de l’équipe ! » Mais avant de nous plonger dans de merveilleux songes, François Leboine rêvait lui-même de dessiner, mais sa formation n’a pas été linéaire…
LIGNES/auto : Le choix de votre formation a été quelque peu délicat ?
François Leboine : « Je faisais en fait partie des étudiants qui étaient plutôt bons à l’école et donc, contrairement à Guy Degrenne, je ne dessinais pas dans les marges de mes cahiers. Toutefois, j’ai toujours adoré dessiner en dehors de l’école. Mes parents m’encourageaient à aller dans une voie artistique, alors que mes profs, au vu de mes résultats, voulaient à l’inverse que j’aille encore plus loin dans mes études… J’ai pas mal lutté entre ces deux orientations ! »
Quel est le déclic qui vous fait basculer à ce moment-là ?
F.L. : « Mes parents étaient enseignants. Je me souviens que mon père rapportait des films Super8 d’une entité nationale où il pouvait en récupérer pour les diffuser à ses élèves. Il en apportait aussi à la maison, et je me souviens avoir découvert un petit film de promotion Citroën sur la création de la BX, avec une partie sur l’aérodynamique et les maquettes de design. J’ai découvert le monde du style grâce à ces films ! » François : LIGNES/auto vous l’offre ci-dessous
Et donc, vous sautez le pas vers une école de design ?
F.L. : « Non, pas directement. J’habitais au fin fond de la Normandie, il n’y avait pas encore l’internet et pas de revue dédiée au design. Ces films étaient la seule source pour connaitre cet univers. Il n’y avait pas que des films automobiles : mon père avait beaucoup d’archives sur la conquête spatiale ! Un troisième volet de ma culture à l’époque, ce sont ses documents sur la Seconde Guerre mondiale : j’étais passionné par les véhicules, les croiseurs, les chars… je me souviens même de ses archives sur la construction du cuirassé Bismarck !» (ci-dessous)
Vers quelle école vous dirigez-vous alors ?
F.L. : « J’ai suivi une filière d’art plastique dès le collège, deux heures par jour et… en internat ! C’est une période où l’on faisait de tout avec notre professeur : des pochettes de disques, des maquettes de voitures en plâtres, mes premiers croquis… J’avais même inventé ma marque de voiture, avec mon logo. Elle portait mon nom. Quand on est enfant, on ne doute de rien ! Je me suis ensuite orienté vers des études pour aller au bout de mon rêve : un lycée d’arts appliqués et l’école Olivier de Serre à Paris. J’y étais en même temps que Stéphane Janin d’ailleurs ! (Cliquez sur la photo ci-dessous pour accéder au site de l’école.)
C’est à ce moment que vous franchissez les portes du design Renault ?
François Leboine en compagnie de Fabio FilippiniF.L. : « Non, j’entre dans l’agence MDB (https://mbd-design.com) qui a notamment dessiné le TGV Coréen. J’y ai travaillé pendant trois ans. L’équipe appréciais je crois ma dualité entre la fibre artistique un peu folle et le côté technique du designer. Pour autant, je n’avais toujours pas accédé à mon rêve de dessiner des voitures. J’ai compris que l’une des portes pour entrer dans ce milieu restait les écoles. Du coup, j’ai suivi l’exemple de Stéphane Janin, et j’ai quitté mon boulot chez MDB pour retourner en cours, au Royal College of Art (https://www.rca.ac.uk). Retourner à l’école lorsqu’on a déjà travaillé, c’est la meilleure chose que l’on puisse faire dans sa vie ! »
Pourquoi ?
F.L. : « On n’aborde plus l’école de la même manière et les professeurs ne vous traitent pas non plus de la même manière ! Il y a un rapport de confiance qui s’installe, une sorte de liberté jouissive. J’ai passé là-bas deux ans pour obtenir le master. Pour moi, le RCA, c’était une école du développement de la personnalité. C’est ça qui était le plus important, entrer dans un lieu où des personnes font tout pour que vous acquériez une forte personnalité, avec votre propre vision pour aborder les projets. Un étudiant doit profiter d’une école pour ce qu’il y a à prendre, mais il doit surtout se créer lui-même. L’école c’est un moyen, pas une finalité. »
Du Royal College of Art, vous basculez directement chez Renault ?
F.L. : « Non, pas encore. Après ma première année au RCA j’ai la chance de faire un stage chez Renault en 1998 avec Anne Asensio. Lors de mon entretien de stage, je rencontre Jean-François Venet, Michel Jardin et même Jean-Paul Manceau. J’ai fait mon stage dans le département qui travaillais sur la Mégane 2 et mon travail a plu à Patrick Le Quément. J’ai alors été sponsorisé par Renault pour ma deuxième année de master. C’est seulement après l’obtention de ce master que je suis embauché chez Renault, en 1999. »
Comment évolue-t-on de jeune designer à responsable des concept-cars?
F.L. : « Je passe tout d’abord deux ans dans le studio Mégane II où je réalise la version tricorps. Je pars ensuite au studio Renault Design à Bastille, au cœur de Paris, pendant quatre ans. D’abord sous la responsabilité d’Axel Breun, puis de celle de Fabio Filippini. Pendant ces quatre années, on développe des projets prospectifs, dont l’un potentiellement était prévu pour remplacer l’Avantime ! En 2005, je reviens à Guyancourt prendre en charge le programme Mégane III pendant deux ans… » (Ci-dessus)
Ah ! La Mégane III : en fait, vous prenez le boulot de tout le monde en réalisant la globalité des silhouettes !
F.L. : « C’est plus compliqué que ça ! Le programme démarre sur un concours, comme toujours. Parfois vous êtes retenu, parfois non. J’ai eu la chance de continuer sur le développement des silhouettes malgré une concurrence rude. Dans ce programme, le coupé était le modèle emblématique qui a tiré tout le reste du travail. J’ai appris énormément en travaillant sur les quatre silhouettes Mégane III en même temps. »
En fait, vous n’avez jamais connu l’échec chez Renault !
F.L. : « Si, des râteaux, je m’en suis pris aussi… ça fait partie du travail du designer. La notion de compétition est déjà présente à l’école, sous forme de concours . On sait aussi qu’à la sortie, diplôme en poche, il n’y aura pas de place pour tout le monde, ce qui fait que la compétition fait partie du jeu. Ce qui n’empêche pas la bonne relation avec les autres. On apprend ça très tôt, ça fait partie du quotidien. »
Mais quand votre projet de Twingo II (ci-dessus) est finalement repoussé au dernier moment, vous rentrez de mauvaise humeur chez vous, non ?
F.L. : « Ce que l’on ressent est proportionnel au temps passé sur le projet. La déception est proportionnelle à l’engagement. Et l’engagement, c’est du temps. Plus le temps passe, plus la maquette évolue, plus on approche de la phase de série et du graal de voir son véhicule aller rouler un jour dans la rue, plus la déception est forte de ne pas avoir été retenu ! Alors oui, clairement, ce soir-là, je suis rentré de mauvaise humeur ! Mais le designer travaille sa capacité à rebondir. C’est un peu comme chuter la première fois en moto, si on ne remonte pas très vite dessus, il y a peu de chance qu’on y remonte très rassuré plus tard… »
Patrick Le Quément vous envoie changer d’air dans le bureau de Barcelone et là, vous créé, toujours et encore… La Twizy notamment ?!
F.L. : « En avril 2007, je pars effectivement dans le studio de Barcelone. J’ai là-bas la chance d’avoir une page blanche, ce qui est très rare ! Le sujet était le suivant : si on imagine une future gamme de modèles électriques, au-delà des automobiles telles qu’elles existent, qu’est-ce qu’on peut imaginer qui n’existe pas encore et qui viendrait compléter cette gamme de véhicules électriques. On crée alors une série de concepts en seulement deux mois, sous forme de petites maquettes, et à l’été 2007, on présente un panel de véhicules, du scooter à la voiture quatre places. Dans ces projets, il y a la voiture qui porte les gènes de Twizy qui a la chance de continuer de par son potentiel. En septembre, on reprend le projet et je m’occupe de la proposition deux places, quatre roues (il existait alors une proposition une place à trois roues). On part sur ce projet avec un maquettiste et Eric Diemert. On développe l’ergonomie avec des blocs de mousse, on imagine le châssis, on relève la courbure de pare-brise sur un scooter BMW C1… On allait bien au-delà des connaissances strictement automobiles. »
Et c’est l’arrivée de Laurens Van Den Acker en 2009…
F.L. : « Depuis que je suis chez Renault, on m’a toujours demandé de travailler sur la série parce que visiblement je m’en sortais plutôt bien. Mais au fond de moi, depuis l’école, mes idées sont plutôt conceptuelles. J’aime plonger dans le monde futur avec des idées radicales. Alors après avoir travaillé sur la nouvelle identité Renault à l’arrivée de Laurens, puis sur le renouvellement des monospaces, et plus particulièrement de l’Espace, Laurens est venu me proposer le poste que j’occupe actuellement, suite au départ de Stéphane Janin chez Infiniti. »
Le job est totalement différent ?
F.L. : « Oui ! Lorsque j’étais chef de studio, on avait une équipe conséquente pour s’occuper du remplacement des modèles Renault et Dacia des quatre années à venir. Avec les designers qui composaient l’équipe, je pouvais répartir la charge de travail. Aujourd’hui, c’est évidemment différent. On réfléchit deux ans en amont sur le calendrier des concept-cars. Mais le timing n’est pas celui de la série, il est compacté. Et le but n’est pas le même. Un chef de studio doit toujours avoir en tête que le but, c’est quand même de vendre des voitures ! Ce qui n’empêche pas le designer de se faire plaisir, évidemment. Le rôle du concept-car est différent, il doit enchanter, faire rêver comme dans notre enfance, faire briller les yeux de tous ! Le design doit produire ces mêmes émotions dans son dessin ; c’est ce que je recherche dans les propositions de l’équipe ! »
Pourtant, travailler sur le concept-car TreZor et sur le EZ-Go, ce sont deux approches totalement différentes !
F.L. : « Ce ne sont pas des approches différentes en termes de design, mais des approches différentes en termes de codes. On ne fait pas appel aux mêmes codes sur les deux projets. Dans la société, les codes sont importants, pour les jeunes notamment, c’est une évidence dans le domaine vestimentaires ou dans celui des portables par exemple. Avec l’âge et une certaine sagesse, on peut faire fi des codes. Il existe aussi un parti pris du refus des codes dans le monde de la création. Mais la réflexion sur les codes, c’est la base du design : ce n’est pas une réflexion sur l’auto, mais sur les codes de la société d’aujourd’hui . A une certaine époque, il fallait briser les codes pour exister – ça marche encore aujourd’hui -, mais leur acceptation et leur compréhension sont plus fines qu’auparavant chez les jeunes, grâce à leur culture digitale notamment. Ils perçoivent mieux le jeu des proportions, les codes automobiles et leur réinterprétation, même si nous jouons très subtilement sur ces codes, ils le perçoivent bien plus vite qu’auparavant. »
Il y a donc un risque que le style vieillisse plus vite ?
F.L. : « C’est un risque inhérent à toute création industrielle, l’accélération du vieillissement des produits est dû au renouvellement rapide et à la concurrence. Il y a dans de nombreux domaines beaucoup trop de propositions. On peut même se dire parfois qu’un beau design ne changera rien ! Qu’est-ce que le design doit alors apporter : c’est la question fondamentale des designers depuis l’après-guerre. Ca veut dire qu’il faut réfléchir davantage à nos fondamentaux : que doit-on raconter comme histoire pour que l’objet soit plus pérenne, qu’il soit plus fort et intemporel, afin qu’il ne repose pas juste sur du style. Ce serait le rendre fragile dans le temps. C’est fondamental comme question ! »
Vous êtes responsable design des concept-cars, mais quelle est votre définition du concept-car ?
F.L. : « Comme designer, j’ai toujours attendu d’un concept-car, un côté manifeste. Ce doit être un objet roulant qui va raconter une histoire d’un futur crédible, probable et qui donne envie. Il doit me marquer au point qu’il jalonnera ma vie, et ressortira toujours à un moment donné. Il y a des grands concept-cars qui me servent de point de référence… C’est une sorte d’idéal. Les concept-cars Renault sont une des raisons pour lesquelles je suis venu ici. Ce sont des flashs visuels qui m’ont ému ! »