Avant de visiter l’Aventure Michelin au cœur de Clermont-Ferrand, voici l’autre raison pour laquelle je me suis rendu dans cette ville… En juillet 1979, je célèbre mon baccalauréat de dessinateur industriel. Cerise sur ce gâteau, je sais depuis le mois de juin de cette année-là, que ma prochaine rentrée « scolaire » aura lieu à Clermont-Ferrand, comme apprenti chez Michelin. Et pas n’importe où : place des Carmes, au côté du site historique où se situe aujourd’hui le siège de l’entreprise.
En septembre 1979, je pose mes valises dans un foyer de jeunes travailleurs à Gerzat, proche de la cité ouvrière Michelin. Je dors à quelques centaines de mètres des pistes d’essais du manufactirier français, à Ladoux (inaugurées en 1965), où tournent des prototypes de pneus. Et de voitures… J’ai 18 ans et la vie me fait un sacré clin d’œil : des prototypes très proches de moi, déjà ! À moins de dix kilomètres de ces pistes, la place des Carmes à Clermont-Ferrand n’a plus rien à voir aujourd’hui avec ce qu’elle était voici 45 ans.
À l’époque, j’ai le numéro d’apprenti AP-16934. Tous les matins, on se rend mes copains d’études et moi dans un petit bâtiment en face de l’usine, de l’autre côté de la rue. Le pont qui enjambe la place, devenue aujourd’hui piétonne, n’existe pas encore. Pas plus que le tramway qui y roule désormais. C’est un autre temps : la deuxième crise pétrolière n’a pas encore touché le pays et Valéry Giscard d’Estaing s’invite à dîner chez l’habitant.
L’usine est alors une fourmilière, avec des ouvriers et des camions qui circulent dans un dédale de rues. Plus loin, sur un autre site, se feront les premiers pneumatiques Michelin pour les F1 de Renault (qui débute) et de Ferrari ensuite. Le radial Michelin en F1 va mettre la raclée à Goodyear ! Je suis à Clermont-Ferrand : la ville Michelin. Les usines sont DANS la ville… Aujourd’hui encore, cela reste impressionnant. Ironie de l’histoire, quelques mois après mon départ, c’est au côté du site historique de la place des Carmes que Michelin va implanter le CIRM, l’ancêtre du musée : le Centre d’Information et de Rencontre Michelin.
Mon apprentissage n’a pas duré des années, car moins de trois ans plus tard, je pousse les portes des Éditons Michel Hommell au 7 rue de Lille à Paris pour mes débuts à AUTOhebdo avec, comme mentor, Étienne Moity. Pour autant, Michelin reste le socle professionnel de tout ce qui a suivi, ou presque. Et j’ai attendu 45 ans pour y remettre les pieds et aller visiter l’Aventure Michelin. Il était temps, petit navire de la vie…
Tout a bien changé. Ce n’est pas de la nostalgie, car comment aurait-il pu en être autrement. Je suis plutôt un adepte du « ce sera mieux demain », ou alors, comme l’écrit si brillamment Sanseverino : « c’était mieux maintenant. » Alors je savoure. « Il ne faudrait pas trop traîner ce soir, place de Carmes, ça craint un peu » me dit-on au bar où je commence ma journée avec un café qui réchauffe l’atmosphère. Il fait 1 degré dehors. Je ne retrouve pas le bâtiment de mon apprentissage. « Il y avait bien une école de l’autre côté de la place, elle a été réimplantée un peu plus loin, puis fermée » me dit le buraliste où je joue un loto : on est vendredi 13 décembre, et je remets les pieds où tout a commencé.
Que dire de cette usine que j’ai côtoyée voici près d’un demi-siècle ?! Rien, je ne reconnais rien, car tout est neuf ici (ci-dessous). Et tout récent, car cette architecturale date de début 2021 ! Je pousse les portes de l’accueil. J’y trouve une charmante hôtesse qui m’explique ce qu’est devenu ce site : hier industriel, aujourd’hui c’est le siège social – depuis le début des années 2000 – au 23 de la place des Carmes Dechaux. « Toute l’infrastructure érigée devant l’usine est récente », me dit l’hôtesse qui s’amuse de la raison de ma visite.
Hélas, avec un badge datant de 45 ans, je ne peux pas aller plus loin que l’immense hall d’accueil et photographier le site de l’intérieur. Mais je découvre cette nouvelle canopée très accueillante, et surtout, très lumineuse. Tout l’inverse des usines dans mes souvenirs où le noir était omniprésent. Un espace d’attente côtoie un bar, il est même possible de dépenser quelques euros dans la boutique officielle Michelin, ou de découvrir l’espace de la serre avec une expérience immersive. Bref, c’est tout neuf, tout beau, tout propre. (vidéo ci-dessus) et on peut toujours y admirer le puy de Dôme ci-dessous, photo prise en décembre 2024.
En repartant sur le fameux pont qui surplombe la place des Carmes, je devine et photographie l’énorme enseigne derrière les murs de l’usine. Le nom Michelin est écrit avec une police des années 1970, ci-dessous. C’est le cœur de l’ex-usine et je frissonne. Un autre café, quelques longues discussions avec des personnes implantées ici, et il est temps de reprendre mon carrosse (chaussé de pneumatiques Michelin…) pour me rendre pas trop loin d’ici, à l’usine de Cataroux où est installée l’Aventure Michelin, tout à côté du bâtiment de « Michelin Motorsport. »
C’est dans cette usine historique de Cataroux, au cœur de la ville, qu’a été implanté le fameux musée qui n’en est pas vraiment un. C’est plutôt un espace vivant qui offre l’occasion de vivre une expérience unique avec un parcours scénographique ouvert depuis janvier 2009. Ce site est implanté en face du stade Marcel Michelin, créé en 1911 par ce dernier et appartenant au club de rugby à XV de l’ASM Clermont Auvergne. Pour accéder au musée, de nombreux travaux donnent vie à une circulation dense qui rendrait jalouse la maire de Paris, mais la patience est récompensée, on le verra plus bas.
Pour mieux comprendre les lieux, voici une vue du ciel du cœur de Clermont-Ferrand ci-dessus : en 1 : les pistes “toboggans”, en 2 : l’usine de Cataroux, en 3 : l’Aventure Michelin, en 4 : Michelin Motorsport et en 5 : le stade Marcel Michelin.
L’usine de Cataroux est aujourd’hui un enjeu majeur pour la ville de Clermont-Ferrand. Elle coupe la ville en deux sur plus de 50 hectares (les chiffres diffèrent selon les sources, de 40 à 80 hectares…). C’est un peu comme si l’usine Citroën de Javel existait toujours et se trouvait place de la Concorde à Paris ! Les pistes d’essais (les fameux « toboggans » de Cataroux ci-dessus et ci-dessous) pointent à plus de 28 mètres de haut et sont un patrimoine exceptionnel pour certains, des verrues immondes pour d’autres. L’activité de ces pistes cesse en 2000.
Elles ont été construites au début des années 1920 et ont été mises en service en 1928 au cœur de la ville de Clermont-Ferrand. Leur longueur varie de 383 m à 437 m et elles sont au nombre de douze réparties dans trois bâtiments aux extrémités relevées. A l’intérieur, des chariots étaient lestés et embarquaient de multiples pneumatiques pour un roulage longue durée. Les extrémités relevées des pistes permettaient aux chariots de repartir pour un va-et-vient incessant. Les pneumatiques à carcasse radiale, brevetés en 1946, ont été mis au point en partie ici.
Nos confrères des Échos écrivaient en juillet dernier sous la plume de Françoise Sigot, que « le dernier projet, et pas des moindres, porte sur la reconversion de ces pistes d’essai de pneus. Ces toboggans encerclés de halls de production deviendront en 2028 un lieu festif – ci-dessous – où 400.000 visiteurs sont attendus chaque année dans la salle de concert, les espaces de restauration et la « Cité du mouvement » avec des animations assurées par des professionnels de santé et des animateurs sportifs. »
Toujours dans les colonnes des Échos, nous pouvions lire les paroles de ce même Florent Menegaux qui confirmait « qu’à terme, nous déménagerons l’ensemble de la production du site de Cataroux » et le titre ajoutait que « l’échéance n’est pas plus précise et, contrairement à beaucoup de fermetures de sites industriels, celle-ci ne provoque pas de levée de boucliers. Il faut dire que le site emblématique du groupe inauguré en 1921 n’abrite plus que la production des pneus de compétition et un atelier de mélangeage. Et à peine 950 des quelque 10.000 salariés de Bibendum à Clermont-Ferrand, là où, jadis, ils étaient plus de 4.000 à s’affairer. »
La réhabilitation du bâtiment 023 du site (ci-dessus et ci-dessous) a été engagée. Le site de la mairie précise que “le projet réutilise un bâtiment industriel existant pour un nouvel usage. Les constructions nouvelles sont intégrées dans sa trame structurelle. L’opération accueille plusieurs locaux destinés à des activités de bureaux, de commerces et de services. Les bureaux sont situés en étages bas de 3 immeubles d’habitation collective et dans un bâtiment autonome à l’Ouest de la halle existante. Les commerces sont situés à rez-de-chaussée sur un espace privé, géré par une Association Syndicale Libre (A.S.L.) mais ouvert au public. Enfin l’opération prévoit la création de 515 places de stationnement et environ 2000 m² d’espaces verts.”
POUR TOUT SAVOIR DE LA RÉHABILITATION DE CATAROUX LES PISTES:
Laissons les toboggans derrière nous pour pousser les portes de l’Aventure Michelin au 32 rue du Clos Four, à Clermont-Ferrand ( https://laventure.michelin.com ). Je ne vais pas tout dévoiler de ce musée – encore que… – car la visite vaut vraiment le détour et pour seulement 12 euros, hors tarif enfant ou autres. Pensez-y lorsque vous achèterez votre prochain paquet de cigarettes…
Ah, au fait, je n’ai rien gagné au loto en ce vendredi 13 décembre, mais tout gagné un certain jour de septembre 1979 en venant poser mes valises ici, chez Michelin ! Suite du sujet avec la visite de l’Aventure Michelin en partie 2.