L’Aventure Michelin – 2. Ce n’est pas un musée, c’est une expérience vivante !

Un musée sur le pneu Michelin ? Une idée à la gomme…” Vous vous dites sans doute que “si c’est pour voir des pneus pendant deux heures, ce n’est pas la peine.” Mais l’Aventure Michelin, c’est tout, sauf ça ! Des cartes, des vélos, des microscopes, des voitures étonnantes, des jeux, des jouets, des pneus (quand même), des objets insolites, des bornes et panneaux, le futur autant que le présent, le passé… passé à la moulinette grâce à des archives surprenantes… Le musée Michelin ne s’appelle pas “Aventure Michelin” pour rien. C’en est une, et passionnante !

L’idée du musée remonte à 2004 et est à l’origine celle d’Édouard Michelin (1963-2006) qui désirait “partager avec tous la vision du Groupe, exprimée par sa signature de marque : une meilleure façon d’avancer.” Le scénographe Gilles Courat explique dans le livre de l’Aventure Michelin disponible à la boutique (14,90 € pour tout savoir sur Michelin, cela ne se refuse pas*) que le visiteur est embarqué “dans un parcours chronologique et thématique jalonné de surprises et d’îlots inattendus. Chaque fois, le visiteur est amené à se mouvoir, à toucher, à écouter, à regarder, à sentir.
*je conseille également la lecture du livre qui fait référence sur le manufacturier français, rédigé par l’ami Patrice Vergès : Michelin, à la conquête de l’automobile. Éditions E.T.A.I. ISBN 978-2-7268-9675-4

D’ordinaire, une visite basée sur le seul thème chronologique pourrait paraître rébarbative. C’est tout l’inverse ici car Michelin, de la maîtrise du caoutchouc aux pneumatiques de l’an 2030, ce sont des technologies diverses, des engins allant du vélo à la voiture lunaire de demain ou encore des femmes et des hommes d’exception. C’est tout d’abord l’idée géniale de “rouler sur de l’air“. Les frères Michelin – Édouard et André – ne sont pas que des inventeurs, ils possèdent l’âme d’hommes de “propagande” publicitaire. Ils organisent des courses cyclistes pour prouver le bien-fondé de leur pneu démontable. Charles Terront remporte la course Paris-Brest-Paris organisée par le Petit Journal en 1891 en seulement trois jours et trois nuits. Le second qui roule sur de classiques pneus collés arrive… 8 heures et 27 minutes plus tard. Plus de 10.000 cyclistes adopteront le pneu Michelin l’année suivante.

Un an après la course Paris-Brest-Paris, les frères Michelin en organisent une autre entre Paris et… Clermont-Ferrand. Tous les cyclistes sont équipés de pneus Michelin démontables, alors pour corser la compétition, Édouard Michelin sème des clous sur le parcours afin de définitivement prouver qu’il est aisé de réparer un pneu de la marque tout en étant très rapide sur la route. Henri Farman remporte la course de 396 km en 17 heures et 52 minutes.

Ci-dessus, du vélo à l’automobile, il n’y a qu’un pas. En 1895, l’Éclair est basée sur un châssis Peugeot doté d’une motorisation Daimler et c’est la première voiture au monde montée sur des pneumatiques gonflés à l’air. Le premier mai 1899, les frères Michelin continuent leur travaux et équipent la “Jamais contente”, première voiture électrique à dépasser les 100 km/h avec Camille Jenatzy au guidon.

Pour ne pas tout révéler de cette visite passionnante, nous ne parlerons pas de la fabrication du pneu qui est expliquée à deux reprises au cours de la visite d’une manière didactique et appuyée autant par les vidéos que par des maquettes très explicites. On ressort de cet endroit moins idiot qu’en y entrant ! L’Aventure Michelin revient sur les années de développement du pneu, avec des caractéristiques parfois étonnantes. La période de l’aviation est abordée, sans oublier que le manufacturier évoluera en même temps que l’industrie automobile naissante.

Et parmi les grands industriels français, il y a bien sûr André Citroën. Il ne restera que seize années (1919-1934) à la tête de son entreprise. Suffisant pour ériger le mythe ! Son premier modèle, le Type A de 1919, est la première voiture européenne à être vendue avec un équipement rare : une roue de secours. La Citroën trône en bonne place dans le parcours de la visite. Et les connaisseurs auront une pensée émue en se rappelant que c’est Michelin qui reprit les commandes de Citroën à la fin de l’année 1934. Notons que cette roue de secours a été rendue possible grâce à un brevet Michelin datant de 1913 d’une roue en acier permettant un montage rapide, grâce aux goujons d’auto-centrage du moyeu solidaire de l’essieu. Un système simple qui découla sur l’idée de la fameuse roue de secours…

Une dizaine d’années après la commercialisation de la Citroën Type A dotée de ses pneumatiques Michelin (et de sa roue de secours), l’entreprise adapte le pneumatique au rail ! C’est une vraie révolution car le confort y gagne, mais aussi l’endurance, la sécurité avec un freinage plus efficace et une vitesse de circulation plus élevée. En 1931, le premier trajet d’une Micheline avec voyageurs est effectué entre Paris et Deauville. En moins de dix ans, plus de 130 Micheline seront construites.

Comme toutes les entreprises européennes, puis mondiales, le conflit déclenché en 1939 prive Michelin d’activité… En fait, pas tout à fait. Durant le conflit, les remorques conçues par Michelin sont fabriquées à Clermont-Ferrand à 80.000 exemplaires pour venir en aide aux familles dans leur vie quotidienne. L’usine fabrique aussi durant cette période 132.000 paires de sandales, 30.000 poêles à bois et 23.000 poussettes !

Autre branche de l’activité de Michelin : les bornes de signalisation et les cartes routières. Vous découvrirez lors de votre visite comment sont réalisées les cartes aujourd’hui avec les moyens modernes de cartographie. Avant la première guerre Mondiale, Michelin distribue aux communes de France plus de 30.000 plaques “Merci” à positionner aux entrées et sorties des villes et villages. Elles demandent aux automobilistes de ralentir et surtout, permettent de prendre toute la mesure des dangers de la route, aux débuts de l’ère automobile.

Une Citroën 2CV trône au milieu de cet espace dédié à la cartographie et aux bornes Michelin. Et pour cause, ce modèle est un pur produit Michelin, conçu sous la forme de la TPV (Toute Petite Voiture) jusqu’en 1939 – date à laquelle elle devait être présentée au salon de Paris – et repensée profondément durant le conflit pour être finalement dévoilée en 1948. Le concept de la 2CV minimaliste est issu d’une enquête lancée par Michelin en 1922 sur les besoins des Français en matière d’automobile. La plus ancienne des TPV de la série de 1939 a été récupérée chez Michelin et est visible dans le musée Henri Malartre à la Rochetaillée-sur-Saône, au nord de Lyon.

Autre véhicule iconique de l’exposition, la Traction Citroën est présentée en majesté dans l’exposition (ci-dessus) et reste un modèle représentatif à plus d’un titre. Nous évoquerons ses nombreuses innovations technologiques (monocoque, reprise du concept existant de la traction avant en très grande série…) et nous rappellerons surtout que c’est elle qui a servi de transition entre l’époque d’André Citroën (elle a été présentée en avril 1934) et celle de Michelin. Ce modèle a bénéficié d’une innovation pneumatique marquante, la roue Pilote ci-dessous. Développé en 1937, le pneu Pilote dispose d’une bande de roulement plus large que la hauteur du flanc. Le centre de gravité est abaissé (meilleure adhérence et sécurité) alors que l’ensemble est considérablement allégé : la jante ne pèse que 1,5 kg ! Trente-quatre ans plus tard, Michelin s’en souviendra en proposant, un an après la commercialisation de la SM, des jantes en résine ultralégères pour ce coupé à hautes performances.

Cette innovation “Pilote” sera suivie moins de dix ans plus tard par le pneu à carcasse radiale. C’est effectivement le 4 juin 1946 que le brevet d’invention du pneu radial est déposé par Michelin. Techniquement, le pneu est conçu avec des couches de matériaux disposées en diagonales (à 45° les unes par rapport aux autres) et créent ainsi un échauffement auquel il est difficile d’échapper. Avec un positionnement radial et des flancs appelés “cage à mouche”, la nouvelle architecture procure au pneu un moindre échauffement, une moindre consommation et un meilleur confort. Cette innovation inonde l’Europe, et François Michelin va réussir un coup de maître en l’exportant aux USA : Michelin devient le fournisseur officiel de Ford pour la Lincoln Continental Mark III en 1966 !

Le pneu radial reste sans doute LA révolution la plus importante dans l’univers du pneu et les automobiles ne seront pas les seules à l’adopter : poids lourds (1952), avions (1981) avec notamment l’équipement du Mirage III de Dassault, motos (1984) mais aussi tramways et métros, ci-dessous, suivront cette voie ! Pour le métro, c’est la ligne 1 parisienne qui l’inaugure en 1951 avant que Montréal l’utilise en 1966. Dès 1977 avec l’arrivée de Renault en F1, la technologie du pneu radial révolutionne la compétition. Ferrari viendra se joindre à Renault et Michelin remportera entre 1979 et 1984 pas moins de 59 victoires sur 112 GP…

Et pour mettre au point toutes ces innovations ou mieux encore, pour créer l’impensable, Michelin s’est toujours doté d’outils à la pointe de la technologie. Notamment dans la confection des gommes, si importantes dans la composition du pneu. Et parmi ces outils, il en est un qui trône en majesté dans le parcours de la visite : le microscope électronique (ci-dessous). Deux ans seulement après la fin de la seconde guerre Mondiale, en 1947, Michelin devient la première entreprise française à adopter un tel équipement.

Il ne s’agit encore que d’un prototype de Thomson-CSF mais l’ingénieur Jacques Bouteville l’exploite avec talent. Il est consacré à l’exploration de la matière et au contrôle de l’homogénéité des mélanges de gommes. Ce premier microscope a été classé Monument Historique par le ministère de la Culture en 2014. En 1967, Michelin acquiert son premier microscope électronique à balayage…

Et pour que toutes ces innovations passent le cap de la mise en production en respectant des règles draconiennes de qualité, il faut multiplier les essais. Outre les pistes de Cataroux jusqu’en 2000 (voir le post “l’Aventure Michelin-1”) et celles de Ladoux, les essais de pneumatiques poids-lourds avec l’architecture radiale sont réalisés à hautes vitesses avec cette drôle de DS (ci-dessus) appelée “le mille-pattes”. Ce monstre, couleur de Casimir, repose sur dix roues (sans compter celle qui est testée) et possède deux moteurs V8 Chevrolet de 350 ch. L’engin pèse 9 tonnes et a roulé jusqu’au cœur des années 1980.

Toutes ses innovations sont brevetées (ci-dessus), vous l’imaginez. Jacques Bauvir, alors chef du service propriété intellectuelle du groupe expliquait en 2018 à nos confères des Échos que “de 120 brevets au tournant des années 2000, nous arrivons aujourd’hui à 400 délivrés par an.” Et comme à l’époque où Michelin détenait Citroën, le secret était la base fondamentale des recherches, qu’elles soient technique ou stylistique. Aujourd’hui, cette image change comme le confiait aux Échos Jacques Bauvir en 2018 : “le secret continue de faire partie de notre stratégie, mais la frontière entre secret et brevet se déplace de plus en plus vers le second. Nous sommes pragmatiques : nous brevetons les innovations qui se voient et gardons secret ce qui ne se voit pas tant que c’est possible.”

Toujours selon les Échos de 2018, le portefeuille de Michelin comptait à l’époque pas moins de 12.000 brevets dans le monde protégeant 3.400 inventions, mais également 4.900 dessins et modèles ainsi que 17.600 marques. “De fait, le portefeuille est évalué par Brand Finance à 7,930 milliards de dollars” rédigeait alors Erick Haehnsen, rédacteur dans le journal les Échos.

BIBENDUM

Le Bibendum Michelin est né du croisement de deux histoires. La première est racontée dans le livre de l’Aventure Michelin : “En 1893, André Michelin explique à une assemblée que le pneu est capable d’absorber les chocs de la route et utilise la formule “le pneu boit l’obstacle.” La seconde suit quelques lignes plus bas, lorsque Édouard Michelin remarque devant une pile de pneus “avec des bras et des jambes, cela ferait un bonhomme.

En 1898, le dessinateur O’Galop rencontre André Michelin et lui présente un dessin d’un bonhomme ventru qui brandit un bock cassé en s’exclamant “Nuc est bibendum” ce qui signifie “c’est maintenant qu’il faut boire.” Bingo, le dessin fait mouche et le bibendum du graphiste O’Galop est tout à fait raccord avec “le pneu qui boit l’obstacle.” De la formule, on retiendra le nom de Bibendum pour l’emblème Michelin. Et ce, depuis 1898…

L’évolution du Bibendum Michelin de 1898 où il est directement inspiré d’une pile de pneus, à 2019 où il devient presque élégant. Pas encore le profil du gendre parfait, mais on s’en approche !

ET DEMAIN ?

L’intérêt de ce “musée” de l’Aventure Michelin est qu’il vous ouvre les portes du futur. Car si l’univers de l’automobile aime de temps en temps dévoiler des concept-cars, initiateurs du design et des technologies du futur, le monde du pneumatique n’est pas en reste avec, chez Michelin, trois principaux axes d’études : le pneu sans air, le pneu connecté et le pneu… lunaire !

Ci-dessous, le pneu UPTIS Airless, qui signifie pneu sans air, résout le problème de la crevaison en supprimant la présence d’air à l’intérieur de la structure. À la place ? Du vide et des lamelles qui doivent assurer la fonction du flanc, tout en recevant la bande de roulement et magnifier les qualités dynamiques à hautes vitesses et en virage. Bref, la quadrature du cercle qui impose une rupture totale en termes d’architecture et de matériaux utilisés. Il a été présenté en 2019 et représente “la nouvelle génération de solutions sans air et illustre l’expertise de Michelin en termes de matériaux de haute technologie.

Ci-dessous, le pneu VISION a été présenté en 2017. Il est à la fois une roue et un pneu sans air entremêlés dans un même structure colorée. Il est biosourcé, doté d’une bande de roulement renouvelable que l’on peut changer sans toucher au reste de l’ensemble roue/pneu. Et surtout, il est connecté. Patience, ce pneu intelligent, beau et en rupture totale avec le présent, ne sera pas disponible avant les années 1950. Mais déjà, les designers automobiles l’intègrent dans certaines de leurs réflexions. Le pneu pourrait donc suivre la même évolution que les optiques automobiles : hier, les phares ronds étaient considérés comme des verrues, et aujourd’hui ils sont technologiques et intégrés, participant pleinement du design extérieur. Même avenir pour les pneus ?

Ci-dessous, le pneu MiLAW pour une destination très lointaine : la lune ! “Michelin a été choisi par la NASA dans le cadre du projet Artemis, pour équiper les futurs véhicules lunaires.” Le projet propose une roue révolutionnaire, inspirée de la technologie UPTIS, qui est capable de résister aux conditions extrêmes rencontrées sur la surface lunaire. Pour rappel, le premier véhicule lunaire a roulé sur la lune le 31 juillet 1971 avec David Scott aux commandes. Le parc automobile lunaire est de trois Lunar Rover Vehicle laissés sur zone par les missions Apollo 15, 16 et 17. Un parc 100% électrique…

N’hésitez pas à visiter l’Aventure Michelin et à parcourir les rues aux alentours de l’usine de Cataroux et de ses immenses pistes d’essais. À noter que la fermeture annuelle du musée est du 6 janvier au 3 février 2025. En dehors de cette période, il est ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 18h, et tous les jours. Du 6 juillet au 1er septembre, il est ouvert tous les jours de 10h à 19h. À vos agendas !

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