L’impact de Bruno Sacco sur le design, voire sur la conception des Mercedes des années 1960 aux années 1990, a été plus important que celui de tout autre. Bruno Sacco est entré chez Mercedes en 1958 pour n’en ressortir qu’en mars 1999, soit 41 ans de service au sein du département de design. Pour nous, Français, on peut dire qu’il fut presque aussi fidèle à sa marque que Gérard Welter le fut à Peugeot !
Chez le constructeur allemand, ce poste est un contrat à très long terme : Friedrich Geiger est resté là de 1955 à 1974, Bruno Sacco jusqu’en 1999 et Gorden Wagener depuis 2008. Seul Peter Pfeiffer a limité sa fonction à seulement neuf années, de 2000 à 2008. Ainsi, ils n’auront été que quatre patrons du design Mercedes en plus de 60 ans !
Et c’est un Français qui faillit prendre ce poste prestigieux à la fin des années 1990, lorsque Mercedes pensait à la succession de Bruno Sacco. Et ce Français, c’est Patrick le Quément (ci-dessus) comme il nous le confie : « Bruno Sacco est venu avec l’ensemble de sa direction en 1995 sur le stand où était exposé notre concept-car Initiale, afin que je leur présente. Plus tard, j’ai été sollicité pour le remplacer au moment de sa retraite. Le designer Olivier Boulay a évoqué par la suite dans une interview, combien Initiale a été le point de départ de la Maybach ! » Mais Le Quément est resté fidèle à Renault.
Pour demeurer aussi longtemps à la tête du design tout en faisant évoluer l’image et le design des Mercedes, Bruno Sacco a développé une philosophie de design dès le début des années 1970. Il évoque alors « l’affinité verticale ». Ce pilier central permet de s’assurer qu’un modèle remplacé ne semble pas dépassé par son successeur. L’objectif de cette stratégie est de conserver l’aura positive d’une Mercedes sur les routes, aussi longtemps que possible. Le second pilier concerne l’identité de la marque. Il s’agit de conserver les caractéristiques traditionnelles du design, de les développer et de les intégrer dans toute l’offre de la gamme.
Bruno Sacco parle alors « d’homogénéité horizontale ». Ce design évite les modes éphémères et afin qu’il demeure durable, la clairvoyance stratégique devient un atout maitre. Pour autant, Sacco a cassé plusieurs fois certains codes de l’identité Mercedes (calandre, optiques, simplicité des flancs, etc.), en expliquant qu’une technologie innovante “ne devient visible que lorsqu’elle est associée à un design tout aussi innovant.“
Ainsi en mars 1993, alors que Bruno Sacco devient cette année-là membre du conseil d’administration, le stand Mercedes au Salon de Genève n’est pas axé sur un nouveau modèle truffé d’innovations technologiques, mais pour la première fois sur un concept-car. Le coupé CLK, avec ses quatre phares ovales, dynamite les fondamentaux du design Mercedes. La berline Classe E (W210), best-seller de la gamme, adopte ce nouveau visage en 1995. Cette fin de décennie est importante pour Sacco.
En 1996, il joue un va-tout incroyable à trois ans de sa retraite, et matérialise sa théorie selon laquelle seule la combinaison d’une innovation audacieuse et d’un design fidèle à la marque peut déboucher sur un produit avant-gardiste avec l’arrivée de la Classe A (W 168) ci-dessous. Si la décennie 1990 porte encore et toujours la griffe Sacco, la précédente n’a pas été avare d’innovations.
La « petite » Mercedes 190 de 1982 a répondu à de nouveaux défis stylistiques que Bruno Sacco et ses équipes ont su mener à bien. Le style n’est alors pas orienté vers le statut du segment du luxe, mais vers des caractéristiques fonctionnelles. Cette décennie 1980 est également marquée par la présentation, en 1989, de la nouvelle génération de SL Série R129 ci-dessous.
Sans doute a-t-il ressenti une légitime fierté en la présentant, se souvenant que lorsqu’il pousse à 24 ans les portes du bureau de style à Untertürkheim, il œuvre sous la supervision de Karl Wilfert, Friedrich Geiger et Béla Barényi, en travaillant à leurs côtés sur les Mercedes 600 (ci-dessous) mais aussi et surtout, sur le roadster 230 SL.
Il racontera plus tard avoir été « totalement fasciné par la façon dont le projet avait été conçu avec tant de soin et d’art. » L’homme ne s’intéresse pas seulement au style. On lui doit d’avoir travaillé sur les véhicules expérimentaux C 111-I et C 111-II mais aussi sur des prototypes ESF (Experimental Safety Vehicle), notamment le ESF 22 ci-dessous.
Lors de son arrivée chez Mercedes, le constructeur vient de présenter les berlines W111 (1959) munies d’ailerons arrière, comme l’avait fait Ghia lors de son étude pionnière « Gilda » au Salon de l’automobile de Turin en 1955. Ghia, chez qui il a débuté juste avant d’entrer chez le constructeur Allemand. Bruno Sacco va illuminer plus tard cette gamme avec la silhouette 250 C coupé de la série W114 (1968-1973) ci-dessous.
Bruno Sacco, né à Udine en Italie, le 12 novembre 1933, aura ainsi marqué chaque décade de l’histoire du style Mercedes de 1960 à 1999. Il a longtemps travaillé sur la base d’une durée de développement d’un nouveau produit de quatre à six années, auxquelles s’ajoute une période de production moyenne de huit ans et une durée de vie d’environ 20 ans.
Sacco a compris dès ses débuts qu’une Mercedes devait non seulement rester moderne pendant 30 ans, mais demeurer également intemporelle. Ce qui lui fit dire « qu’une Mercedes ressemblera toujours à une Mercedes. » Bruno Sacco s’est éteint le 19 septembre dernier en Allemagne.
LIGNES/auto remercie le département Mercedes-Benz Classic