Chez Stellantis, avec la prochaine disparition de la Peugeot 508 et celle actée de la Citroën C5 X, le haut de gamme français version « berline » sera désormais représenté par le crossover DS N°8. La nouvelle direction qui se mettra en place, suite au départ de Carlos Tavares, remettra-t-elle cette stratégie en cause ? Une stratégie qui veut qu’en 2025, la marque française la plus jeune – DS Automobiles est née en 2014 – prend en charge la représentation de ce haut de gamme tricolore au sein du groupe.
Les Peugeot 604, 605 et 607 ou les Citroën C6 ou C5 X (ci-dessus) n’auront donc sans doute jamais de descendante. Il faudra donc considérer la Peugeot 408 ou encore la Citroën C5 Aircross dévoilée sous forme de concept à Paris en octobre dernier, comme les nouveaux flagships des deux marques françaises. Et pourtant chez Citroën, le haut de gamme avec une silhouette berline avait de grandes ambitions, dès 2016. La présentation du concept-car CXperience le prouvait. Nous avons voulu rappeler ce qu’étaient ces ambitions en ouvrant cette archive sur ce très réussi concept-car.
C’est le designer Grégory Blanchet, alors chez Citroën en 2016 et aujourd’hui chez Mercedes, qui est l’auteur du design extérieur de ce concept-car CXperience né voici presque dix ans. Grégory nous expliquait à l’époque de la présentation du concept-car que “notre démarche est à rapprocher de celle de Porsche avec des lignes souples, sans carre. Pour caricaturer, moins on a de carres sur une carrosserie, plus il est difficile de travailler sans lignes de tension qui permettent de tricher sur les proportions et les lumières. Quand tout est adouci comme sur notre concept-car, il y a un énorme travail de qualité des volumes et des lumières, impliqué par cet aspect de galet poli. Disons que sur CXperience, les proportions sont bonnes et donc ça facilite la tâche !“
“Le plus difficile dans ce domaine,” poursuivait Grégory, “c’est l’arrière de la voiture. En élévation, on perçoit un volume bicorps mais la voiture a un vrai coffre. On a beaucoup travaillé notamment sur la hauteur de ce coffre. Le dessin arrière est du coup assez proche de ce que l’on retrouve sur certaines supercar ! Et il fallait conserver une belle habitabilité et je peux vous dire que c’est le cas, car Jérémy Lebonnois qui s’est chargé du design intérieur (ci-dessous) mesure presque deux mètres et est parfaitement bien installé à bord !“
Le concept-car a été construit dans les ateliers 3D après que deux maquettes volumes en polystyrène ont été sculptées et une seule en clay. Ce concept a été présenté en 2016, date à laquelle Marc Pinson, auteur des lignes du concept-car C6 Lignage -1999- et du véhicule de série C6 -2005-, est rentré du studio Chinois de PSA pour réintégrer l’ADN à Vélizy.
Le centre de design Citroën est alors dirigé par Alexandre Malval qui va quitter ce poste en 2018 pour prendre la direction du centre de design avancé de Mercedes, dans le sud de la France, à Sophia Antipolis. Citroën annonçait à l’époque que ce concept CXperience “a inspiré la prochaine grande berline de la marque” à savoir la C5 X. Vrai, mais cette grande berline, voulue essentiellement pour le marché chinois et produite en Chine, n’a pas eu la carrière espérée en Europe.
Nous ne sommes pas là pour réécrire l’histoire, mais plutôt pour soulever un coin du voile de la genèse de ce concept-car ci-dessus, passé un peu inaperçu. La CXpérience fut effectivement l’occasion d’ouvrir une nouvelle voie en matière d’identité stylistique avec un design modelé comme une Porsche ! Mieux, il y avait même de l’avion de combat dans cette Citroën !
Comme dans tout projet, les premières études s’appuient sur des tableaux de tendances pour positionner le produit. Celui du concept-car connu alors sous le nom de code « CP-16 » intègre ci-dessus des transcriptions de l’univers de l’aviation, et plus particulièrement, de celui de l’étrange bombardier américain B2 Spirit conçu par Northrop.
Le designer français y recherchait l’excellence de l’aérodynamique active et les fabuleux détails aéronautiques, car pour ce qui est des volumes, autant la CXperience est fluide avec un style sans ligne de carre (le fameux design « à la Porsche »), autant le style du B2 Spirit est haché et fatalement dédié à sa furtivité.
Grégory Blanchet nous expliquait que “la carrosserie peut se décomposer en deux parties. Il y a les zones très galbées, lisses et souples et les zones hyper techniques comme celles des projecteurs, des flaps aérodynamiques à la fois sur les côtés et sur les entrées d’air à l’avant. Sur CXperience, on exploite à fond ces zones-là qui sont en noir. Nous avons par exemple trois projecteurs flottants et directionnels à l’intérieur du tunnel aérodynamique à l’avant. Ils sont de type flottant car l’air passe tout autour. CXperience est une Citroën et Citroën, c’est avant tout de l’aérodynamique.“
La mutation vers le 100% électrique qui requiert de maximiser les recherches aérodynamiques devrait pousser Citroën à concevoir aujourd’hui un concept-car dédié à ce thème. Chiche ? Car Citroën a toujours été un héros de l’aérodynamique, comme ci-dessous au cœur des années 1950 avec le projet C10 en forme de demi-goutte d’eau. A quand ce concept-car qu’on pourrait appeler “A-Hero” ?
Revenons à la guerrière CXperience. Avec 16 mètres de moins en longueur et… 50 mètres de moins en largeur (pardon, en envergure), la berline est plus facile à garer que l’avion. Nous avons rapproché ces deux créations, sans autre intention que de mettre en parallèle deux objets qui brisent les codes de leur propre monde. Pour les montages photos des deux engins, nous avons pris les documents d’une maquette du B2 Spirit car nous n’avions pas de modèle échelle 1/1 sous la main…
Évidemment, les échelles des deux « engins » diffèrent, mais ce face-à-face singulier met en exergue l’extraordinaire avancée du monde de l’aviation militaire, puisque le premier B2 de Northrop a été livré pour des essais en 1989, alors que Citroën venait à peine de dévoiler sa… XM. Depuis, le constructeur français a eu le temps de faire vivre son vaisseau amiral aux côtés de sa cousine Peugeot 605, de le renouveler par une C5, puis d’essayer de relancer le mythe avec la C6 de 2005 inspirée de la CX de 1974.
Avec l’arrêt de production de la C6 et de la C5 X, Citroën a donc mis un terme aux “berlines” pour coiffer sa gamme. Le constructeur ne pourra donc pas battre le record de longévité du bombardier B2 Spirit qui, lui, devrait perdurer jusqu’en 2048 !
Il faut cependant resituer ce concept-car dans un contexte qui différait totalement de celui dans lequel vit aujourd’hui Citroën. En 2016, Frédéric Duvernier, alors responsable des concept-cars chez Citroën (puis responsable du design extérieur de Lancia avant de revenir au sein du groupe Stellantis pour un projet dont nous reparlerons bientôt) nous expliquait que la CXperience “est un message fort pour confirmer que Citroën va rester présent sur le marché des grandes berlines.”
En 2016, Marc Pinson nous disait que “les segments bougent tellement vite aujourd’hui qu’on ne peut plus être dans un scénario d’intemporalité comme l’était la C6 Lignage de 1999 (ci-dessus, inspiratrice de la CXperience). C’est quelque chose qui ne marcherait plus. Tout va trop vite pour faire valoir la sagesse et c’est vrai dans tous les domaines. Le croquis de la C6 Lignage, c’était il y a vingt ans...” La C6 Lignage de 1999 serait plus intemporelle que la CXperience ? “Ça je ne sais pas » conclut Marc Pinson. “C’est l’histoire qui le dira !” Depuis, l’histoire a parlé et a mis sous l’éteignoir les somptueuses berlines Citroën de la marque : Traction, DS, CX, XM, C6… Place à la DS N°8 désormais. Don’t crack under pressure !
Pour aller plus loin, relisez nos archives sur la filiation entre le concept-car CXperience et la Citroën C5 X : https://lignesauto.fr/?p=22012
