Après une première série de concepts forts au début des années 1990 (Laguna, Scénic et Racoon ci-dessous), sans oublier la géniale Twingo, le directeur de Renault Design Industriel – Patrick le Quément – veut revenir aux basiques. A l’essentiel. Le concept-car Argos qui nait de cette volonté devient alors un puissant jalon du design Renault.
L’histoire du design automobile est jalonnée de multiples courants, cruel comme le biodesign mollasson, ou enchanteur comme le Streamline. Elle est surtout illuminée par quelques étoiles, parfois filantes, souvent intemporelles. Argos est l’un de ces soleils, un jalon fort de l’histoire du design Renault. Et du design automobile, tout simplement. Et comme toutes les belles histoires du style automobile, elle prend naissance avec un petit croquis.
« Je me balade tôt le matin dans le studio de Boulogne » se rappelle Patrick le Quément. « A cette époque, les designers affichent encore leurs dessins derrière eux. Jean-Pierre Ploué a épinglé pas mal de croquis derrière lui, et j’en repère immédiatement un qui n’a même pas la taille d’une feuille A4. Ce qui m’interpelle dans ce dessin, c’est l’asymétrie. Je suis alors dans une logique de l’année zéro du design. Je veux trouver une nouvelle voie intellectuelle pour le design Renault. Le croquis de Jean-Pierre me fait penser à l’Esprit Nouveau de l’architecte Le Corbusier. »
L’Esprit Nouveau est à l’origine une publication (1920-1925) fondée par Le Corbusier et Amédée Ozenfant, revue d’avant-garde qui aborde les sujets d’art, d’architecture et de science, avec une volonté de mettre en avant « le fruit d’un esprit qui s’intéresse aux problèmes du futur » dit alors Le Corbusier. Ce nom d’Esprit Nouveau sera également choisi par l’architecte pour nommer son pavillon créé pour l’Exposition internationale des Arts décoratifs, organisée à Paris en 1925 (*).
Patrick le Quément précise que « ma démarche est de revenir à l’essentiel, en y ajoutant des thèmes très français, comme cette fameuse asymétrie. » A cette époque, Jean-Pierre Ploué est intégré à l’équipe du design avancé dirigée par Jean-François Venet. « Lorsque je me bloque devant son dessin, il est assez surpris. Je crois même qu’il dira plus tard dans une interview, à propos de son croquis de l’Argos, qu’il a dessiné un cafard ! Je lui demande de commencer à partir de ses croquis, et il part assez loin, avec des toiles tendues en guise de carrosserie, avec l’idée de revenir vraiment à l’essentiel ! »
« Mais à un moment, il faut faire un choix du thème de style pour ce concept Z04. Nous sommes à une période où il n’est pas nécessaire d’effectuer dix aller-retour pour prendre une décision. Nous avions une extraordinaire autonomie, une liberté totale ! Bon, le système m’a rattrapé et j’ai été puni par la suite, mais sans cette autonomie, Argos n’aurait pas été Argos… » L’un des moments forts de la genèse de ce petit cafard se produit en Italie, lorsque Patrick le Quément se rend chez G-Studio qui réalise la maquette échelle 1/1 (ci-dessous).
Celle-ci est en plâtre, un matériau que maitrisent à la perfection les Italiens, mais elle est bien trop large ! « Au cours de cette journée, j’ai fait couper longitudinalement la maquette en deux pour la rétrécir d’une bonne quinzaine de centimètres en largeur ! » Ce véritable manifeste du design automobile est dévoilé au salon de Genève 1994, un an avant l’arrivée de la première pierre d’une gamme pléthorique : la berline Mégane. Si cette dernière use et abuse d’ellipses, Argos, elle, tente de mettre un terme à l’ère du design organique, le fameux biodesign adopté par tous, maltraité par certains.
Dans une simplicité déconcertante et pourtant travaillée dans ses moindres détails, Argos met en place une rigueur dans l’approche du design automobile qui fait date. Si les voiles en toiles tendues imaginées un moment par Jean-Pierre Ploué ont disparu, elles sont avantageusement remplacées par des éléments bruts en aluminium aux volumes parfaitement maîtrisés, même s’ils apparaissent très élémentaires. Les portes coulissent dans les ailes arrière, alors qu’à bord, l’asymétrie est valorisée par une troisième assise qui impose au capot, sa forme de couvercle arrière de piano à queue (ci-dessus).
L’influence de ce concept-car en interne portera d’abord sur le projet de la Clio II de 1998. Cette influence déborde largement les murs du studio de design interne. Dix-huit mois après la présentation d’Argos, Audi révèle au salon de Francfort 1995 son concept-car Audi TT. Il est évident que l’Allemande a forcément été inspirée par la Française.
L’Argos ouvre donc une nouvelle voie au design dont a profité Audi. Pourtant, le concept-car Renault a également existé en variante coupé puisqu’une maquette a été révélée lors du salon de Turin en 1994 sur le stand G-Studio, le sous-traitant implanté en banlieue turinoise qui a pris à sa charge la réalisation de nombreux prototypes de salon – dont Argos – pour le compte du constructeur français.
Ce coupé a été suivi par Axel Breun (ci-dessus) qui rappelle « que ce projet aurait pu devenir quelque chose de grandiose. Sur la base de l’Argos, j’avais dessiné une version coupé bien avant l’Audi TT. Ce qui est certain, c’est que nous comme les designers allemands travaillions sur les mêmes pistes en termes d’architecture, de langage formel… Mais l’arrivée de l’Audi TT nous a démontré la nécessité d’exploiter au plus vite le dessin d’un concept fort, le plus vite possible ! »
(*) Le Pavillon de L’Esprit Nouveau de 1925 de Le Corbusier (ci-dessus) a été reconstruit en 1977 dans la ville italienne de Bologne. Il est désormais situé au 11 de la Piazza della Costituzione, dans le quartier Fiera (40128 Bologne)
LIRE LE SUJET ICI : https://www.fondationlecorbusier.fr/oeuvre-architecture/realisations-pavillon-de-lesprit-nouveau-paris-france-1924/
En design, rien ne se perd. En 2005, lorsque le designer Antony Villain – aujourd’hui responsable du design Alpine – dessine le mignonne Zoé (code Z17), son projet reprend l’idée de l’asymétrie et du petit siège arrière (ci-dessous).