Dans l’univers du design, il existe autant de designers que de personnalités. Alors que les égos prennent souvent les devants, le talent est en revanche parfois mis à l’écart, plongeant le designer dans un désarroi dans lequel n’importe quel être humain normalement constitué peu sombrer. Florian Thiercelin était de ces designers insondables. Quelqu’un d’un peu distant diront certains, sans doute dur avec lui-même.
Mais c’était un grand designer côté talent. « Il arrivait avec des pistes qui menaient vers des propositions inédites » se souvient Patrick le Quément, alors directeur du design industriel Renault. Des fulgurances capables de magnifier un talent bouillonnant au plus profond de lui-même. Son premier concept-car, l’Initiale de 1995 ci-dessus, est un joyau. Avec l’ami Fabio Filippini qui en exécute l’intérieur, Florian pose les bases d’un nouveau vaisseau amiral du haut de gamme à la française. Ce concept se transforme rapidement en projet X73 (ci-dessous) d’une remplaçante de la « Safrane ».
Ambitieuse, basse, élégante et raffinée… Mais du projet à la série, l’Initiale perd sa voie. Dans la tourmente d’un projet qui connaît tant de changements, Florian Thiercelin continue son œuvre. Trois ans plus tard, il enfante un croquis aussi petit que le projet est grand : celui du concept-car du centenaire de Renault. Jean-François Venet et Patrick Le Quément doivent sélectionner l’esquisse de ce qui deviendra le concept-car VelSatis de 1998.
Le Quément se souvient que « nous voulions une voiture qui exprime le dynamisme, un véhicule qui représente les 50 années à venir. Dans la salle où tous les dessins sont présentés, je ne trouve pas vraiment ce que je veux. Je cherche quelque chose qui exprime la symbolique de cet anniversaire, mais je ne le trouve pas. Jean-François Venet est présent et il me comprend… Et puis, sur un panneau légèrement à l’écart, je tombe sur un dessin avec un arrière si différent. »
« Je me dis immédiatement que l’on tient notre thème. L’esquisse de Florian Thiercelin exprime la modernité avec le concept monocorps à l’avant alors que l’arrière est tout simplement flamboyant et nous plonge dans le contexte de la grande carrosserie d’après-guerre. On mise alors tout sur ce dessin qui est tout petit, mais l’esprit est bien là. » C’est le concept-car qui aura le plus d’influence sur les modèles de série avec la Mégane-2 ci-dessous, le Scénic ou encore l’Avantime.
Florian Thiercelin est aidé dans la démarche de porter son dessin vers le volume par le regretté – lui aussi… – Jean-François Venet. Après l’Initiale, il signe son deuxième chef-d’œuvre avec le concept-car VelSatis . Mais alors que d’autres autour de lui commencent à briller dans la lumière, y compris ceux qu’il a battu dans les concours internes de design, Florian semble ignoré. Pourquoi ce génie n’a-t-il pas été soutenu et poussé vers de plus amples responsabilités ?
Pour en avoir le cœur net, j’ai appelé Florian en 2019 à l’occasion de la rédaction du livre « Concept-cars et prototypes d’études Renault » dans lequel ses deux bébés, l’Initiale et VelSatis, tiennent une belle et légitime place. Sa réponse avait des relents sibyllins. « Il vous appartient naturellement d’écrire ce que vous souhaitez. Pour ma part, j’affectionne l’histoire critique » me répondit-il par mail.
Son mail se poursuit ainsi : “vous avez peut-être remarqué ma discrétion, voire mon absence rigoureuse des réseaux sociaux. Aussi, je fais exception ici pour vous répondre. J’ai vécu de vrais moments de bonheur dans mon activité passée. Ceci dit… je ne souhaite pas joindre ma parole à celle d’autres personnes qui auraient un point de vue divergent du mien. Aussi, et je m’en excuse par avance, je souhaite particulièrement garder le silence sur cette période où je fus acteur du design Renault. Vous l’aurez compris, l’issue ne fut pas celle que j’aurais pu espérer. Je ne prends peut-être pas assez de distance avec le passé. Nul doute que vous trouverez des interlocuteurs plus prestigieux que moi autour du sujet qui vous occupe. Aussi je salue votre professionnalisme. Quant au café, à votre convenance. »
Nous l’avons pris ce café et même ces deux déjeuners qui resteront gravés dans ma mémoire. Florian était différent, discret, érodé peut-être par une vie professionnelle qu’il espérait sans doute autre. Mais chaque matin, lorsqu’il arrivait au studio, j’ose espérer qu’il se sentait digne en franchissant les portes, fier de ses deux créations qui ont marqué à jamais l’histoire du design Renault. Oui, je l’espère. Florian avait 52 ans. Toutes nos pensées vont vers sa femme, Caroline, et ses proches.
LIGNES/auto rend hommage à Florian Thiercelin et vous propose les deux PDF sur la genèse des concept-cars Initiale et VelSatis extrait du livre “Concept-cars et prototypes d’études Renault”