Opposer deux marques françaises en devenir sur le marché premium, voire sportif, est une surprise. Car si DS Automobiles, née en 2014, peut s’enorgueillir de 23 464 ventes françaises en 2023, Alpine – fondée en 1955 par Jean Rédélé et relancée en 2018 avec la nouvelle A110 – voit certes ses ventes françaises progresser de près de 26% par rapport à 2022, mais ne pèse encore « que » 2 693 unités sur notre territoire. Des ventes réalisées avec un seul modèle et ses dérivés. Avec ce bilan, Alpine est encore loin de DS Automobiles, mais se rapproche déjà d’Alfa Romeo avec ses 3 917 ventes en France en 2023.
Pour Alpine, ce n’est que le commencement si l’on en croit les mots de Luca de Meo du mois de juin dernier : « nous avons créé une entreprise haut de gamme à part entière avec un programme ambitieux dans le domaine du sport automobile. Notre plan avance probablement plus rapidement que prévu. Nous avons généré plus de deux milliards d’euros de liquidités et nous sommes prêts à entamer la dernière phase de notre plan : la révolution. »
Celle-ci, comme le confirme Antonino Labate, le directeur ventes, marketing et expérience client, passe par une « stratégie d’élargissement de la gamme à travers le lancement de sept nouveaux modèles à horizon 2030. » Outre cette concrétisation de ces sept futures silhouettes, Alpine annonce également son ouverture à des marchés impensables jusqu’à aujourd’hui : les États-Unis et la Chine, venant s’ajouter aux marchés Européens et au marché Japonais.
Ainsi, le « A fléché » n’a pas vocation à rester le petit Poucet que DS Automobiles pourrait légitimement ne pas regarder. Bien au contraire, si le plan produit et la réussite commerciale d’Alpine se concrétisent d’ici la fin de cette décennie, Alpine pourrait tout simplement affoler les chiffres et laisser DS-Automobiles derrière elle ! Impensable ? Voyons voir…
Ironie de l’histoire, les deux marques françaises ont toutes deux changé de directeur/directrice en 2023 (ci-dessus). Philippe Krief a été nommé le 20 juillet patron de la marque Alpine après avoir rejoint la marque quelques mois plus tôt en tant que directeur de l’ingénierie et de la performance produit. De son côté, Olivier François est nommé dans le même temps, patron de la marque DS Automobiles, en remplacement de Béatrice Foucher, promue responsable produit chez Stellantis. Ce qui peut étonner, c’est qu’Olivier François est déjà responsable des marques Fiat et Abarth. On aurait pu penser qu’il aurait repris la marque Citroën, afin de maîtriser la totalité du pôle « CORE » du groupe Stellantis. Chez Alpine, Philippe Krief peut faire valoir son expérience dans le développement de gammes de voitures sportives.
Avant son arrivée au sein de Renault Group, il poursuivait sa carrière au sein de Ferrari puis de Maserati et fut directeur technique de la marque Alfa Romeo. Tiens, tiens ! Chez Ferrari (ci-dessus), il exerça la fonction de directeur de l’ingénierie et de responsable de la recherche et du développement. Un homme de produit à la tête d’une marque qui passe d’un à sept modèles ne peut être que bénéfique.
Les deux marques ont donc récemment changé de patron, et elles ont également le même objectif stratégique : ce sera du 100% électrique pour toutes les deux. Dès 2024, DS ne présentera que des nouveautés 100% électriques (à commencer par l’électrification de la DS4) et une gamme avec des versions électrifiées, comme la DS7. Chez Alpine, c’est encore plus simple : les sept silhouettes annoncées à partir de 2024 seront toutes électriques, à commencer par la petite A290.
Les similitudes entre les deux marques françaises ne s’arrêtent pas là. Leur design est également aux mains de français. Chez Alpine, Antony Villain, designer du groupe Renault depuis 1998 est aux commandes du design depuis 2012. Chez DS Automobiles, Thierry Métroz a pris en charge le design de la marque, née en 2014 de la scission entre la gamme Citroën et la « ligne » DS intégrée à cette gamme.
Chez Stellantis, DS est née aux côtés de Peugeot et Citroën, puis sont venues s’ajouter Opel, Alfa Romeo, Lancia, Fiat, Maserati, sans compter les marques américaines de l’ex-groupe FCA (Fiat Chrysler Automobiles). Si Alpine est clairement positionnée au sein du groupe Renault aux côtés de Renault, Dacia et Mobilize, la situation est un peu plus complexe pour DS Automobiles qui partage le pôle « Premium » de Stellantis avec ses cousines Lancia et Alfa-Romeo.
Si l’on évoque le design, c’est d’abord parce que c’est notre obsession (!) mais aussi et surtout, parce que le duel inattendu annoncé par nos soins passera avant-tout par des duels de produits entre les deux marques. Aujourd’hui, il est difficile de croire qu’Alpine puisse aller chatouiller DS Automobiles : les deux constructeurs ne jouent pas la même partition et la musique n’est pas la même entre une A110 et une DS7. Mais demain, il en sera tout autre. Parmi les sept prochaines Alpine, il en est qui concurrenceront de plein fouet l’offre de DS…
Quels sont les plans produits des deux belligérants qui s’ignorent encore ? Celui d’Alpine est officiel, celui de DS Automobiles est plus secret sur le long terme. Commençons donc par ce dernier avec les seules informations officielles communiquées par la marque : « dès 2024, DS Automobiles étoffera son offre en commercialisant DS 4 en version 100 % électrique, puis dévoilera une nouvelle création, inaugurant le premier projet 100 % électrique de Stellantis basé sur la plateforme globale STLA M. »
Cette seconde nouveauté DS de 2024 sera un crossover du segment C+, et elle visera la clientèle du segment D des routières. Habillée d’une carrosserie à l’esprit fastback, type Peugeot 408, mais avec un petit décroché pour le coffre, cette nouvelle DS adoptera une architecture qui délaissera l’aspect SUV (ce sera pour l’Opel Monza qui suivra en 2025) pour un aspect plutôt crossover. Cette voiture qu’on appellera DS8 – mais rien n’est encore officiel – devrait être plus longue que la 408 et dépasser les 4,70 m, voire tutoyer les 4,80 m.
Elle reposera sur la plateforme STLA Medium du Peugeot e-3008 dans une autre définition dimensionnelle, et conservera les données techniques, avec notamment une batterie de 98 kWh et 700 km d’autonomie. Contrairement à la prochaine 3008, la DS8 ne sera proposée qu’en version électrique, probablement avec deux types de batteries et deux architectures 4×2 et 4×4. Programmée pour le printemps 2024, la présentation de cette grande nouveauté aurait été décalée à l’automne.
Ce qui n’arrangerait pas les affaires d’Opel qui proposerait une silhouette du même gabarit mais typée SUV, et dont la présentation serait effective après celle de la DS8. La suite du plan produit DS concernera logiquement les renouvellements des DS3, DS7 et DS4, avec l’interrogation de savoir si la future DS3 ira chercher la MINI avec un gabarit en nette hausse. Cette future DS3 devrait en revanche embarquer à bord les innovations du concept de recherche M.i.21 vu l’année dernière.
Autre interrogation, la remplaçante de la DS4 – née en 2021 – sortira-t-elle avant ou après la Lancia Delta annoncée en 2028 ? Toutes deux devraient être des cousines très proches en termes d’architecture et de dimensionnement. Quant à la future DS7, il est peu probable que DS ose chambouler un concept qui fonctionne bien. Les DS3, DS4 et DS7 de demain seront 100% électriques. Face au plan produit d’Alpine que l’on va découvrir, celui de DS semble pour l’heure moins ambitieux. Avec ses DS3, DS4, DS7, DS8 et, aujourd’hui, DS9, la gamme n’a pas les fameuses six silhouettes annoncées naguère.
Nous espérons donc qu’une (très) agréable surprise est dans les tuyaux. Avec un support sportif assuré par la présence de DS Automobiles dans le championnat du monde de Formule-E (la F1 électrique), cumulé à la présentation de quelques concept-cars à l’ADN avide de sportivité et de performances, on sait que la marque de Stellantis est taillée pour aller chercher les futures Alpine A110, A110 Roadster et A310. Le dernier concept-car DS E-TENSE Performance peut laisser croire à une surprise en série.
DS Automobiles parlait de ce concept-car comme un « laboratoire très hautes performances » qui repose sur une coque carbone et accueille deux moteurs électriques d’une puissance cumulée de 815 ch. Évidemment, c’est une quatre roues motrices. Thomas Chevaucher, directeur de DS PERFORMANCE précisait lors de la présentation du concept que « l’objectif est d’appliquer l’expérience acquise en Formule-E et l’expertise que nous tirons de nos titres internationaux à un projet qui préfigure la haute performance électrique de demain. » Mais si une telle DS sportive entrerait en concurrence avec les futures Alpine A110 Coupé, Roadster et A310, la marque du groupe Renault irait elle aussi concurrencer DS sur d’autres segments, comme on va le voir.
Cette gamme Alpine révélée par ses sept silhouettes est officielle. Elle compte deux offres distinctes : les sportives (appellations se terminant par « 10 ») et les crossovers ‘lifestyle’ (appellations se terminant par « 90 »). Les futures A110, A110 Roadster et A310 seront conçues non pas sur une plateforme commune avec Lotus comme espéré, mais sur une nouvelle plateforme conçue en interne, la APP pour ‘Alpine Performance Platform’. Les trois Alpine sur la base de l’APP arriveront respectivement en fin d’année 2026, 2027 et 2028 pour l’A310.
Alpine annonce officiellement que « cette gamme complète de véhicules sportifs va consolider la présence d’Alpine sur ses marchés principaux, l’Europe et le Japon. Elle servira de tremplin pour son expansion à l’international, en particulier aux États-Unis et en Asie, où les nouveaux modèles seront proposés à partir de 2027. L’idée est de passer d’un segment de niche à une marque complète et globale. En combinant le line-up et l’expansion géographique, Alpine vise une marge opérationnelle supérieure à 10% en 2030, et ainsi assurer la pérennité certaine de son modèle économique. »
Comme DS Automobiles, Alpine n’est pas seule pour s’attaquer à son développement ambitieux. Si DS Automobiles peut compter sur les plateformes Stellantis et sur le partage d’investissements dans le pôle Premium (DS, Alfa-Romeo et Lancia), Alpine a d’ores et déjà annoncé que la conception de sa plateforme APP « bénéficiera de l’expertise SDV (Software-Defined Vehicle) d’Ampere, le futur pure player électrique et software de Renault Group. Les services financiers de Mobilize Financial Services permettront à la marque d’attirer et de fidéliser ses clients avec des offres sur-mesure. Enfin, Alpine pourra compter, en plus de son réseau propre, sur le réseau de distribution de Renault Group pour se développer à l’international. »
Et c’est bien ce dernier point qui pourrait faire d’Alpine un très sérieux concurrent de DS Automobiles d’ici la fin de cette décennie. Car si les marchés auxquels s’attaque DS Automobiles sont principalement les marchés européens – en attendant une nouvelle stratégie chinoise ? – Alpine vise bien plus grand et plus haut. Absente aujourd’hui des marchés de Corée, des États-Unis et de Chine, Alpine compte s’implanter là-bas à partir de 2027 avec le crossover D-XO-GT (A490) et la berline crossover E-XO-GT (A590) puis avec les A110 et surtout, A310 en 2028.
Pour soutenir les investissements mais aussi aider à la production, une participation du constructeur chinois Geely au capital semble envisageable et se nourrit du partenariat signé entre ce dernier et le groupe Renault pour la création de l’entité Horse, dédiée au développement de moteurs thermiques hybrides. Alpine a par ailleurs confirmé poursuivre le développement de moteurs à combustion interne à hydrogène. Un petit coup de griffe à l’idée d’une gamme 100% électrique, qui pourrait s’avérer décisif si le vent changeait de sens en Europe concernant l’électrification à tout va.
En outre, Renault dispose de moyens industriels en Corée du sud avec son usine de Busan qui produira notamment la Polestar 4, un coupé SUV 100% électrique en 2025. Polestar est une marque du groupe… Geely. Or, ce modèle dispose d’une chaîne de traction moderne et d’un soubassement qui pourrait tout à fait supporter les silhouettes des A490 et A590.
La Polestar 4 dévoilée l’an dernier abat le 0 à 100 km/h en seulement 3,8 sec et la puissance maximale est de 544 ch (400 kW). Plusieurs versions de la Polestar 4 sont disponibles, avec un ou deux moteurs, soit deux versions 4×2 et 4×4, cette dernière disposant d’une suspension semi-active. La version grande autonomie est équipée d’une batterie de 102 kWh et dispose de près de 600 km d’autonomie. Une autonomie qui dépasse les 600 km sur la version 4×2 (272 ch)
Cette possible alliance, si elle prend corps, devrait être annoncée cette année, au plus tard en 2025. Car les silhouettes de pratiquement toutes les nouvelles Alpine sont déjà finalisées comme nous le confirmait Antony Villain lors de la présentation de l’A290 concept-car. « Les maquettes existent car en fait, on travaille tous les projets en même temps, à différents stades d’évolution bien sûr. Certains sont déjà finalisé (on pense au Crossover A390 produit par Dieppe NDA) et les autres ont déjà démarré. »
« Aux États-Unis, notre audience est bonne, on nous a même demandé d’exporter là-bas l’A110 ! Il y a là-bas une culture des voitures sportives assez forte. C’est peut-être une marque exotique pour eux, mais elle leur parle. Lorsqu’on arrive sur les Crossovers, il faut à la fois respecter les codes de ces marchés, en dimensionnement notamment, et y amener tout notre savoir-faire en termes de liaisons au sol, de performances, de plaisir de conduite et un design beaucoup plus français. Ces projets nous permettent de faire des choses vraiment incroyables, on n’aurait jamais imaginé ça ! »
Face à cette offensive Alpine en grande partie révélée officiellement, on aurait aimé en connaître davantage du côté de DS Automobiles. Cela aurait pu être le cas si le concept-car programmé en 2024 n’avait pas été rangé dans un placard par le nouveau directeur de la marque, François Olivier. Il est vrai qu’avec la DS4 électrique et la prochaine DS8, l’année est chargée pour la marque premium de Stellantis.
Pour autant, aux côtés de la gamme classique et de ce crossover DS8, DS aurait un grand intérêt à répliquer fermement à Alpine avec un hypothétique coupé (très) sportif. Le grand patron de Stellantis, Carlos Tavares, est sans doute le plus difficile à convaincre… Pour clore ce sujet sur une note très positive, réjouissons-nous d’avoir deux marques françaises qui visent un certain savoir-faire : l’élégance à la Française à bord des DS, la sportivité légitime pour les Alpine. Il faut espérer que les promesses de l’une poussent l’autre vers une confrontation bénéfique. Car la force naît de l’adversité. Et parfois, de quelques souffrances. Alors, qui remportera ce duel franco-français à l’aube de la prochaine décennie ?
BONUS : où seront produites ces nouvelles ‘premium’ françaises ?
Du côté Alpine, prenons les infos officielles. L’A290 dérivera de la R5 EV et sera donc produite à ses côtés, dans le nouvel ensemble de la manufacture de Douai. Le crossover du segment C+ (l’A390) a été officiellement annoncé en production dans l’usine de Dieppe. « La dynamique enclenchée par Alpine se traduit à Dieppe par l’annonce de la production du futur crossover GT Alpine, offrant ainsi un avenir clair et des perspectives solides à son site industriel historique » déclarait alors Luca de Meo.
Toutefois, la plateforme étant celle de la Mégane E-TECH, du Scénic E-TECH ou encore de la Nissan Ariya, il est probable qu’il sera question d’un assemblage à Dieppe plutôt que d’une production à 100%. A confirmer. Les trois Alpine conçues sur la plateforme APP pourraient sortir de Dieppe mais les ambitions commerciales devraient laisser la porte ouverte à d’autres lieux de production, plus proches des marchés visés : États-Unis et Asie. Enfin, nous avons évoqué la possibilité qu’une partie de la production des A490 et A590 se fasse en Corée du Sud, favorisant notamment l’export sur le marché américain.
Du côté de DS Automobiles, la DS3 est actuellement produite en France, à Poissy. Quid de sa remplaçante ? Même question pour la DS4, aujourd’hui produite en Allemagne dans les usines Opel, mais demain ? L’autre DS produite en France est la DS7, dans l’usine de Mulhouse alors que la DS9 est produite en Chine.
Quant à la grande nouveauté de cette année, celle qu’on se permet d’appeler la DS8 100% électrique, elle sera produite… en Italie dans l’usine de Melfi implantée dans la région de la Basilicate, entre Naples et Bari. Et DS Automobiles glisse cette info officielle : « un second modèle DS Automobiles pourra profiter du savoir-faire de l’usine de Melfi ultérieurement. » S’agira-t-il d’un modèle inédit ou d’un renouvellement d’une silhouette actuelle, comme la DS4 avec sa cousine Lancia Delta en 2028 ? Avec des habitacles qui fleurent bon le savoir-faire à la Française, produire en Italie est d’autant plus surprenant (hormis sur le plan industriel) que Lancia, concurrent de DS, va mettre son savoir-faire à l’Italienne en avant. La future Gamma, proche en architecture de la DS8, pourrait être produite en Italie également, ce qui, pour elle, semble plus logique !