Que n’a-t-on pas entendu sur le design de la Renault VelSatis de série, une berline haute apparue en 2001 qui n’avait pas les sublimes proportions du concept-car VelSatis de 1998. Il est temps aujourd’hui de rétablir certaines vérités.
Dans les années 1990, Renault enfile les concept-cars comme de magnifiques perles (ci-dessous). Subtilement distribués au fil des années, passant de l’émotion à l’intelligence, de la sportivité à l’exotisme, les Laguna, Scénic, Racoon, Argos et Initiale, guident les pas de tous les designers Renault vers des produits de série au concept fort. Et inspirent bon nombre de responsables de design concurrents. Ces concepts redonnent vie au talent d’inventeur conceptuel que Renault fut dans les années 1960, jusqu’aux années 1980, avec les R4, R16, R5 ou encore R25 et Espace.
Mais dans cette belle histoire, il est un chapitre à marquer d’une pierre noire, celui du programme X73 qui donna naissance en mars 2001 à la berline VelSatis de série. Le renouvellement de la Safrane (elle-même dévoilée en 1992 et issue de l’ère Gaston Juchet) avait à cœur de retrouver l’allant de la Renault 25 de 1984 qui reste, à ce jour, la dernière grande Renault à succès. En 1995, le concept-car Initiale lance les premières bases d’un concept capable de prendre le relais de la Safrane. Le timing est parfait, puisqu’à cette date, l’Initiale s’insère idéalement dans le calendrier de renouvellement, et prend corps pour exprimer cette volonté de concevoir une berline de haut de gamme à la française, différente des références allemandes.
Las, la direction décide de permuter le remplacement de la Safrane avec celui de la Laguna née pourtant un an après, en 1993. Cette deuxième génération de Laguna arrive en 2000, repoussant de plus d’un an la remplaçante de la Safrane qu’on n’appelle pas encore VelSatis. C’est l’occasion que choisissent Patrick Le Quément et ses équipes pour engager le nouveau concept-car prévu pour le centenaire de 1998, vers une expression d’un haut de gamme à la française, en s’inspirant à la fois de l’Initiale et de ce concept anniversaire pour le programme X73.
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Le concept VelSatis de 1998 sert donc cette cause. Avant même qu’il ne soit sorti de l’atelier italien de G-Studio fin juillet 1998, il est encore sous la forme d’une maquette pleine échelle 1 et se dirige, dès janvier de cette année, dans l’atelier de maquettage où sont alors réalisées les deux propositions retenues pour le projet X73 de série. Deux propositions totalement dissemblables. L’une est issue de la volonté du design de concevoir une voiture statutaire, basse, au style allant jusqu’à évoquer celui des Facel-Vega françaises de l’après-guerre et matérialisée par une maquette échelle 1/1.
L’autre est le résultat d’études de la direction du produit. Elle repose sur une architecture de berline haute. Une ineptie lorsqu’on se rappelle que l’Espace (monospace à architecture haute également) est déjà présent dans la gamme ! Patrick Le Quément confirme que cette période est plutôt compliquée. « Dès 1995, suite à l’Initiale, je mets mes équipes au travail sur des maquettes à l’échelle 1/5e pour une voiture de série. Nous avions parfaitement bien synchronisé le timing du concept et de la voiture de série pour que l’Initiale ait un impact fort sur la berline. Dans mon esprit, elle devait ressembler le plus possible au concept-car de 1995. »
Ci-dessus, l’une des maquettes du projet X73 “voiture basse” inspirée du concept-car Initiale de 1995, ci-dessous.
C’est cette année-là que Patrick Le Quément prend en charge la « qualité » de Renault, en plus de son poste de directeur du design industriel. Forcément moins présent auprès de ses troupes de créatifs, il a moins de temps à consacrer au programme X73. Au moment où Renault inverse la programmation des Laguna et VelSatis de série, au détriment de cette dernière, un changement à la tête du département produit va tout changer. En septembre 1995, Rémi Deconinck, responsable du service création de véhicules exploratoires à la direction de l’ingénierie véhicule depuis 1993, succède à Jacques Cheinisse à la tête du produit Renault. Comme parfois chez les constructeurs automobiles, les départements ‘produit’ et ‘design’ ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde. Doux euphémisme.
L’éternel conflit entre ingénieurs (Rémi Deconinck, ingénieur de l’Institut supérieur des matériaux et de la construction mécanique est entré chez Renault en 1976) et designers est toujours vivace. Une situation exacerbée alors, puisque le design a intégré le comité de direction générale, ce qui n’est pas le cas du produit. Une certaine jalousie est-elle née de cette situation ? Toujours est-il que le produit profite logiquement d’une baisse de la garde du patron du design à ce moment précis pour imposer son cahier des charges de voiture haute.
Patrick Le Quément constate que Louis Schweitzer met une relative distance entre eux deux, car en interne, nombreux sont ceux qui trouvent que le directeur du design est trop proche du président. Les décisions sur ce programme sont prises au comité, sans la présence du produit et c’est Georges Douin qui charge Le Quément de faire passer les infos à Rémi Deconinck !
« C’était une situation peu vivable. Pour ne froisser personne, Louis Schweitzer semblait prendre une décision dans mon sens, une autre dans celui du produit. Il y a eu une levée de boucliers et Deconinck a poussé pour que le projet repose sur une architecture haute. Une fois l’affaire entendue, il était évident que la voiture allait pâtir d’une répartition des masses compliquée, avec un long capot et un arrière trop court, le tout avec une voiture trop haute… »
Lors de la nomination de Rémi Deconinck, le communiqué officiel annonçait que son rôle serait « d’analyser l’offre produit de Renault afin de faire des recommandations pour son développement futur sur les marchés hors Europe. » Le concept-car de 1998, de par sa majesté, a exacerbé les incompréhensions lors de la présentation de la berline de série. L’échec commercial de la VelSatis laisse donc une interrogation sans réponse : que serait-elle devenue sur les marchés « hors Europe » si elle avait reposé sur l’architecture préconisée par l’équipe du design industriel ? On ne peut pas réécrire l’histoire…
Ce sujet est issu du livre “Concept-cars et prototypes Renault”. Disponible chez l’éditeur BJB : https://www.bjbeditions.com/products/concept-cars-et-prototypes-d-etudes-renault