Interview : les leçons du maître Giorgetto Giugiaro

Giorgetto Giugiaro a fêté ses 80 ans au moins d’août dernier.
Toujours d’une rare élégance, affirmée par un visage le plus souvent souriant, le grand designer a laissé les clés de sa propre société Italdesign créée en 1968 à Audi (et donc au groupe Volkswagen) mais n’en a pas pour autant délaissé son métier premier : la créativité de concepts automobiles autant que le dessin pur…
Le voici désormais à la tête – avec son fils Fabrizio ci-dessous – de leur société “GFG Progetti” créée par le fiston en 2016.
Elle est exclusivement dédiée à la recherche de design mais pas limitée au seul univers automobile.
Voir le site ici : http://www.gfgstyle.it/index.html

L’occasion était belle de rencontrer cet homme chaleureux qui, derrière une éternelle simplicité, cache de nombreuses réussites et quelques pans entiers de l’histoire de l’automobile des années 1960 à aujourd’hui…
C’est notre excellent confrère Jean-Rémy Macchia qui l’a retrouvé pour LIGNES/auto aux côtés de son dernier bébé, la Sibylla (ci-dessous).

LIGNES/auto : Le travail d’un styliste, c’est quoi finalement ?
Giorgetto Giugiaro : “Chercher de nouvelles formes en respectant les normes qui sont nombreuses aujourd’hui.
Il faut renouveler les idées en respectant ce que veut le constructeur : voiture sportive, petite, grande, économique…
Il faut toujours chercher la beauté à travers des formes nouvelles, pour créer la motivation d’achat.
Le créateur s’imprègne de tous les impératifs, mais il impose son langage.”

Quels sont les critères de beauté pour une automobile ?
“Créer une belle forme, c’est difficile et délicat. Car le regard humain est variable suivant les personnes et suivant les époques.
Il faut trouver une physionomie de la voiture qui soit vraiment intéressante.
Les différences entre les voitures viennent de détails… tout cela reste un peu mystérieux.
Il faut exciter le regard, générer une sensation agréable. Ça commence par les proportions.”


Giorgetto Giugiaro a toujours travaillé sur sa planche à dessin…
Même lorsque sa société Italdesign comptait parmi les mieux équipées en termes d’outils numériques !

“Et puis, inévitablement, il y a des impératifs sur des aspects pratiques : l’accessibilité, le coffre, l’implantation mécanique.
Il faut savoir composer avec tout ça. Sans compter les modes. Aujourd’hui, c’est celle les SUV.
Les berlines trois volumes, c’est un peu dépassé… Formellement, ces SUV sont devenus agréables. En 1978, j’ai dessiné une voiture haute.
C’était trop en avance sur son temps : aujourd’hui, c’est la mode absolue.
Les logiques changent avec les époques. Et, demain, les nouvelles technologies vont changer les formes de nos voitures.”


Ci-dessus, l’un des récents travaux de Giugiaro pour la société chinoise Techrules REN.
Il s’agit d’un coupé dévoilé en mars 2017, doté de moteurs électriques et de 3 places avec conducteur au centre.
Une architecture rappelant le premier concept-car de Giugiaro en 1968, la Manta…

Vous avez très souvent enfanté des carrosseries parcourues d’arêtes vives.  Pourquoi ?
“C’était un peu ma patte personnelle. Et les lignes tendues étaient plutôt à la mode, dans les années 1970.
Mais je n’ai jamais rien dessiné de gratuit car la forme doit toujours correspondre à des critères objectifs.
Dessiner des carrosseries assez carrées, ce n’était pas juste une lubie.
C’est le fruit d’une réflexion toute simple qui veut que les formes carrées sont celles qui permettent d’obtenir la meilleure habitabilité par rapport à l’encombrement de la voiture. Alors oui, le style doit toujours se plier aux impératifs pratiques.”


Giugiaro dans son immense bureau lorsqu’il tenait sa société Italdesign à bout de bras ! Avec toujours un crayon dans la main…

Le renouveau de Volkswagen après la Coccinelle vous doit beaucoup : Golf, Passat, Scirocco. Sans vous, Volkswagen n’aurait pas eu tant de succès ?
“Si vous le dites… (petit sourire modeste).
Après les rondeurs de la Coccinelle née en 1938, il fallait bien créer un style nouveau, et qui soit représentatif de la marque.”


Italdesign n’a pas créé que la Golf de 1974, mais toute une famille de Volkswagen avec la berline Passat et le coupé Scirocco (ci-dessus avec Giugiaro)

“La Volkswagen Golf constituait un grand changement : une révolution pour la marque qui venait de la monoculture Coccinelle !
La Golf avait une esthétique fonctionnelle et rationnelle.
Et c’est vrai que les ventes ont vite décollé. Le succès a été immédiat.
Ce dessin a aidé au renouveau de la marque.”


Les premiers dessins de la Golf (esquisse à droite) ne disposaient pas d’optiques rondes. VW les a voulues pour évoquer les “yeux” de la Coccinelle…

Quelle est la voiture dont vous êtes le plus fier ?
“Il y en aurait tellement…
Au moins une pour chaque époque ! Mais j’ai un faible pour la Fiat Panda.
C’était très difficile à faire. Il fallait qu’elle soit très peu chère mais qu’elle offre beaucoup d’espace, en respectant ses petites dimensions.
Elle devait aussi être très fonctionnelle. C’est une voiture réussie parce que complètement pragmatique.
Elle n’est pas belle au sens « sommet d’esthétique », mais elle est réussie par l’adéquation entre sa forme et les critères qui l’ont définie.”


Le plan 3 vues de la Fiat Panda sur papier Canson bleu. Giugiaro a dessiné cette voiture en trois semaines, pendant ses congés de 1976.

“Croyez-moi, dessiner une Ferrari, une Bugatti, c’est presque facile !
C’est de l’hédonisme. Il est toujours plus simple d’esquisser des voitures très grandes qui permettent des formes sensuelles, plaisantes.
Le challenge de la Panda, c’était de réussir une voitures pour tous les usages du quotidien.”

Au Mondial de l’auto, vous présentiez votre dernière création, le prototype Sibylla. C’est une grande berline d’aspect classique mais avec beaucoup d’originalités…
“Dans ce monde des SUV qui offrent notamment de l’espace, j’ai cherché une formule qui va donner de multiples avantages à l’utilisation, qui privilégie tous les aspects pratiques.
Je propose une voiture assez longue de 5.14 m (ci-dessous) pour offrir une vaste habitabilité.
J’ai privilégié l’accès à bord. Car l’humain grandit.”

“Il faut donc des ouvertures élargies. Les portes arrière disposent d’une partie haute vitrée, qui déborde largement sur le toit et se déploie en élytre.
À l’avant, c’est toute la bulle qui forme un pare-brise qui coulisse vers le capot : cela dégage une ouverture maximale.
À bord, tout est épuré. Il y a beaucoup de luminosité avec le toit entièrement vitré.
Rarement une voiture a autant ressemblé à un salon. Toutes les commandes sont tactiles.”

“Il y a de nombreux aspects pratiques et les bacs de portières sont à double fond, pour placer à l’abri des bouteilles et de menus objets pratique au-dessus.
Deux exemplaires ont été construits (ci-dessous). L’un pour les salons, que vous voyez là et l’autre, pour mon usage personnel !
C’est une voiture que je conduis tous les jours !”

Les récents travaux de Giorgetto Giugiaro et Italdesign :

Au Mondial de Paris, Pininfarina dévoilait les deux premières silhouettes du tout jeune constructeur automobile vietnamien VinFast issu du groupe VinGroup.
Mais pour la troisième silhouette annoncée, une berline compacte à moteur thermique (ci-dessus, proposition Italdesign) et une à moteur électrique, la concurrence Pininfarina/Italdesign – désormais dans le giron d’Audi – s’annonce féroce !


Fabrizio et Giorgetto Giugiaro ont créé la ” Techrules REN”, un coupé trois places pour la Chine, doté de moteurs électrique
et qui a d’ores et déjà débuté ses essais sur piste (ci-dessus)

 

PROPOS RECUEILLIS
PAR JEAN-REMY MACCHIA

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