Jean-Pierre Ploué va s’installer en Italie, car dit-il “les personnes qui travaillent pour une marque, devront le faire dans le pays d’origine de la marque.” En plus de la responsabilité de tous les directeurs de style des marques européennes de Stellantis, Jean-Pierre Ploué est récemment devenu le directeur du style Lancia. Il nous dit tout sur la nouvelle organisation du design qu’il a mise en place à Turin.
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette direction du design Stellantis à deux têtes : Ralph Gilles (ci-desssus à droite) pour les marques plutôt orientées US et vous, pour les marques plutôt européennes ?
L’idée essentielle pour Carlos Tavares et nous-mêmes, est d’être concentrés sur notre mission. Chacun de nous deux à son propre savoir-faire, sa propre culture. Cette organisation bicéphale est différente de celle d’autres grands groupes où il n’existe en général qu’un responsable design monde. Carlos Tavares a considéré que disposer de deux directeurs de style était plus approprié pour un groupe multiculturel comme le nôtre. Il ne voulait surtout pas d’un grand voyageur du design, dispersé, fatigué, mais au contraire de directeurs motivés, proches de leurs terrains de jeu, à proximité de leur culture. Notre force, c’est notre diversité !
Qu’avez-vous trouvé en arrivant à Turin où le style des marques italiennes est implanté ?
Le centre de design est installé dans la mythique et historique usine de Mirafiori réhabilitée, et proche de Turin. Quand je suis arrivé, le studio regroupait toutes les marques – Alfa Romeo, Fiat professional, Fiat, Lancia, Abarth, Maserati et Jeep Europe – et l’équipe travaillait sur toutes ces différentes marques, avec seulement quelques référents.
La structure que je mets en place s’appuie désormais sur le même schéma que celle qui existe à Vélizy, à savoir une direction de design par marque, et une équipe de créatifs dédiée. On fonctionne plutôt en équipe resserrée avec un esprit de Start-Up. On en profite également pour développer de nouvelles méthodes de travail, avec de nouveaux outils. Mais aujourd’hui – fin juillet -, les équipes sont encore en construction. J’embauche pas mal de créatifs actuellement et je restructure les studios, marque par marque, avec à leur tête de nouveaux directeurs de design.
Le design Maserati reste à Turin ?
Oui, absolument ! Mais si Maserati est basée à Turin pour le design, elle reste dans le périmètre de Ralph Gilles, tout comme Jeep Europe.
Pourquoi ?
C’est déjà énorme de s’occuper des nouvelles marques Italiennes pour mes équipes et moi ! Ce sont surtout des marques qui vont reposer sur des plateformes Stellantis, des évolutions ex-PSA. Maserati est une marque de luxe, qui empruntera des modules qui seront sans doute un peu plus spécifiques.
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Il y a dix ans, lorsque Lorenzo Ramaciotti dirigeait ce centre, il nous avait confié que le studio comptait 250 personnes et 50 dans le studio Alfa Romeo à Arese. Où en est-on aujourd’hui ?
On était pratiquement 200 quand j’ai repris le studio. On devrait évoluer vers 240 personnes environ. Quant au studio milanais, il a été fermé bien avant le rapprochement entre PSA et FCA.
Concrètement, comment fait-on pour restructurer un centre de design en plusieurs studios dédiés à chacune des marques ?
J’ai recréé chaque équipe avec les personnes qui se trouvaient sur place et avec des embauches. J’ai rencontré chaque manager, chaque responsable, chaque designer, un peu comme des entretiens d’embauche ! En fonction de leur sensibilité et de leurs envies, j’ai dirigé chacun d’entre eux dans les différents studios des marques. Désormais, chacune d’entre elles dispose d’une équipe dédiée.
Vous dites avoir construit vos équipes italiennes avec les designers sur place et des embauches. Il n’y a pas de designers de Vélizy avec vous ?
Il n’y a pas de règle. Quand un designer me sollicite pour changer de marque, je regarde s’il a l’envie et la motivation et dans l’affirmative, je l’accepte volontiers. C’est d’ailleurs le cas de deux designers qui vont aller en Italie. Mais l’inverse fonctionne aussi, il y a des designers des équipes à Turin qui désirent aller à Vélizy pour venir travailler pour nos marques françaises. Franchement, avec 14 marques, on ne va pas s’interdire de proposer des évolutions de carrière pour nos designers. Il vaut mieux qu’ils le fassent en interne du groupe Stellantis plutôt que d’aller à la concurrence.
A votre arrivée, Lancia avait-elle encore des designers pour s’occuper d’elle ?
Comme je vous l’ai dit, l’intégralité de l’équipe du centre travaillait sur toutes les marques. Il y avait par exemple un seul responsable du style intérieur pour tous les projets. On va reconstruire la marque Lancia, évidemment. Pour l’heure, l’Ypsilon est un gros succès en Italie avec des volumes conséquents. On va donc s’attacher à la remplacer. On a un plan produit déterminé pour chacune des marques, mais c’est évident : on ne peut pas relancer une marque avec un seul produit.
Côté patrimoine, la communication évoque les Lancia Aurelia, Fulvia et bien d’autres Lancia mais pas souvent la Delta. Vous ne l’aimez pas ?
Bien sûr que si, j’adore la Delta et je l’ai côtoyée dans ma jeunesse ! Elle compte beaucoup dans la reconstruction de la marque, et elle porte typiquement le nom d’une silhouette qu’on pourrait développer. Elle est très importante pour nous en termes d’ADN. J’évoque la Delta ou l’Aurelia, mais aussi la Stratos. L’ambition de Stellantis est de faire revivre Lancia en s’appuyant sur son héritage, son histoire fabuleuse, et en la repositionnant là où elle mérite d’être, c’est-à-dire une marque luxueuse, innovante, élégante et au style racé, même si, autrefois, il était parfois éclectique.
Lancia est intégrée au pôle Premium chez Stellantis, aux côtés de DS et Alfa-Romeo. Pour ne pas gêner cette dernière, devra-t-elle oublier son passé sportif ?
Non, pas du tout. Il n’existe aucune limitation dans ce domaine-là. Si une marque a un héritage sportif et s’il doit être revitalisé, il le sera. Je ne sais pas à quel moment, c’est trop tôt pour le dire, mais il le sera.
Dans ce pôle, Lancia et DS ne vont-elles pas se marcher sur les pneus ?
Non, car ma mission est triple : créer le plus haut niveau de design pour chaque marque, générer la plus grande différenciation de design entre elles, et enfin réaliser tout ceci à un niveau d’efficience économique maximal. Pour répondre à votre question, il existe une grande différence entre l’élégance française – donc, DS – et l’élégance italienne – Lancia -. Bien sûr, les composants seront en partie partagés, mais certaines technologies seront réservées à une marque, plutôt qu’à une autre. Et surtout, la différenciation se fera évidemment par le style, par le jeu des lignes, des volumes, des matières, des couleurs… Tout cela compte.
Pour rédiger vos fameux manifestes qui définissent les thèmes de style et thèmes graphiques de ces nouvelles marques, utilisez-vous les mêmes outils que pour Opel, DS, Peugeot et Citroën ?
Ça a très bien fonctionné quand nous avons commencé avec Peugeot et Citroën, puis avec DS, et lors du rachat d’Opel. On ne va pas changer, même si les outils évoluent et la technologie aussi. La construction de l’ADN de chacune des marques est d’ores et déjà définie.
Chaque marque a son équipe dédiée et son directeur de style propre. Vous êtes vous-même directeur du style Lancia, en plus de vos fonctions de directeur design Stellantis de la branche Europe. Pourquoi ce choix ?
L’idée pour Lancia était de commencer avec une toute petite équipe, et donc imaginer au départ qu’il n’y avait pas de directeur de style. Mais pour des raisons pratiques, il devenait compliqué de ne pas avoir un directeur de design marque, comme pour toutes les autres. J’ai tenu bon, mais à un certain moment, il a fallu cocher la case et je l’ai remplie à mon nom ! Luca Napolitano (directeur marque Lancia) était ravi et m’a dit que c’était super pour la marque de m’avoir comme directeur du design Lancia. On verra plus tard s’il a raison !
A la fin, il faut bien quelqu’un pour gérer les relations au plus haut niveau avec l’ingénierie par exemple. Je joue ce rôle là avec mon équipe qui est très structurée et très performante. C’est un peu un retour aux sources, comme en 2000 à l’époque Citroën, et c’est donc avec beaucoup de plaisir, d’enthousiasme et de reconnaissance que je participe à cette renaissance…
SUITE DE L’INTERVIEW : VOIR POST “PARTIE 2”
Jean-Pierre Ploué a intégré le groupe PSA en 2000 pour prendre la direction du style Citroën, en remplacement d’Arthur Blakeslee. En 2010, il prend sous son aile la direction du design Citroën et celle de Peugeot. C’est à ce moment qu’il pose les bases d’une organisation très efficace et encore pérenne, en nommant un directeur de style pour chacune des deux marques (Gilles Vidal pour Peugeot et Thierry Métroz pour Citroën). Même évolution lorsque DS devient une marque à part entière en 2014, avec Thierry Métroz aux commandes du style, et l’arrivée d’Alexandre Malval chez Citroën, remplacé en 2018 par le belge Pierre Leclercq. En 2017, lorsque Opel entre dans le giron du groupe, la marque conserve son directeur de style Mark Adams et le fonctionnement du style Opel se calque sur celui des autres marques du groupe. Nouvelle évolution cette année avec la fusion PSA-FCA en une entité Stellantis forte de 14 marques. La responsabilité du design de ce géant est désormais sous la direction de deux hommes : Jean-Pierre Ploué pour les marques Abarth, Alfa Romeo, Citroën, DS, Fiat Europe, Lancia, Opel, Peugeot et Vauxhall, et Ralph Gilles pour les marques Chrysler, Dodge, Jeep, Ram, Maserati et Fiat AMLAT.
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