La longue interview : Antony Villain directeur du design Alpine

Avec sa formation de trois années aux Arts et Métiers Paris Tech de 1994 à 1997, Antony Villain arrive chez Renault pour… ne plus quitter le groupe jusqu’à ce jour. Il a franchi les portes du design prospectif et de l’innovation avec un poste de directeur de ce département pendant trois années (2005-2008) avant de prendre la responsabilité du design de la gamme des modèles Clio et Captur pour en gérer le développement de 2009 à 2011. Un an pus tard, il bifurque chez Alpine pour prendre la direction design de cette marque qui n’en est pas encore une. Voilà donc un peu plus de dix ans qu’il vit au cœur de la renaissance de l’A110 puis de la marque tout entière ! Il a répondu aux questions de LIGNES/auto.

Que s’est-il passé depuis la Renaulution avec la révélation du « dream garage », en termes d’embauches et de produits ?
Antony Villain : « il s’est passé beaucoup de choses ! Et je suis bien placé pour le dire, car j’ai démarré chez Alpine dès 2012/2103 pour suivre le projet de l’actuelle A110 qui était une première phase du renouveau. C’est un gros succès, mais c’est vrai qu’on a eu une période où il n’y avait pas de stratégie franchement définie pour la marque avant l’arrivée de Luca de Meo. »

Le dream garage de janvier 2021. L’Alpine A290 apparaît tout à gauche…

Avant la Renaulution, il existait donc une période de doute ?
A.V. : « L’A110 fonctionnait très bien, et même si l’on faisait beaucoup de projets en interne pour définir l’après A110, aucun ne passait vraiment le cap des études… Mais la chance de recréer la marque était déjà inattendue. L’arrivée de Luca de Meo a été un moment fort car finalement il n’existait que deux solutions : soit le groupe Renault arrêtait tout vu sa situation à l’époque, soit Luca de Meo pariait sur Alpine avec l’enthousiasme qu’on lui connait. Et c’est ce qui s’est passé. »

Sans le renouveau de l’A110 – ici sur les Champs Élysées -, il n’y aurait pas eu de renouveau d’Alpine.

Ce soir-là, vous rentrez chez vous et vous débouchez le champagne ?
A.V. : « On le pressentait car on savait que Luca de Meo est un amoureux de l’automobile. Dès les premiers contacts, il a parlé d’Alpine. Mais ça a quand même été une grande surprise de découvrir qu’il allait prendre la F1 et tous les labels sportifs pour les réunir en une seule marque. Quand on a développé l’A110 actuelle, il y avait déjà énormément d’ingénieurs de Renault Sport, mais l’idée de Luca était de réunir les deux pôles sportifs (Renault Sport et Alpine) en un seul pour concevoir une vraie unité qui va devenir un fleuron. Il nous a clairement dit que, désormais, ”on va vous prendre au sérieux !’‘ »

En compagnie du ministre Bruno Lemaire, Luca de Meo rassure les salariés de l’usine de Dieppe qui va assembler le prochain crossover GT d’Alpine en 2025

C’était quoi le futur d’Alpine à ce moment précis ?
A.V. : « Luca de Meo avait fixé un cadre, mais tout restait à faire : quelle gamme, quels travaux prioriser, quelle équipe, quels attributs pour la marque ? Tout restait à construire. »

L’idée d’une gamme 100% électrique était programmée dès le départ ?
A.V. : « Oui, c’est la réglementation qui nous a emmené sur ce chemin. Cependant, on a voulu dès le départ être dans l’exercice d’inventer la sportivité électrique de demain, plutôt que de la subir. C’est pour nous un enjeu majeur : qui mieux qu’Alpine peut créer cette sportivité du futur ? »

Ça excite ou ça dérange, mais l’A290 de 2024 lance Alpine sur la voie du 100% électrique. Notez l’éclair électrique dans le logo

LA VIDÉO DE PRÉSENTATION DE L’ALPINE A290_ß EST ICI : https://youtu.be/Ow7-KdiuWbo

En termes d’effectif, tout a été revu à la hausse depuis ce plan de Renaulution…
A.V. : « Je m’occupais déjà du studio dédié à Alpine avant 2021. Les effectifs étaient variables en fonction de la charge de travail dans le groupe. Mais les créatifs et les modeleurs étaient déjà dédiés à la marque Alpine. On a commencé avec 12 personnes, et lorsque les projets du dream garage sont arrivés, évidemment on s’est convaincu qu’il fallait grandir très vite. On est donc passé de 12 personnes jusqu’en janvier 2022, à 45 aujourd’hui, dont la moitié de créatifs. »

Parmi les nombreuses nouvelles têtes au design Alpine, voici à gauche Joshua Reer (design intérieur) avec Gaëtan Fumaz (couleurs & matières)

Ces nouveaux venus, ce sont d’ex-designers de chez Renault ou viennent-ils de l’extérieur ?
A.V. : « Je suis allé chercher des designers chez Ferrari, Lamborghini, Jaguar et j’ai trouvé des talents qui, lorsque je leur ai expliqué ce qu’était l’aventure Alpine, ont été très surpris et enthousiastes ! Une aventure comme celle-là, c’est rare et ils ont compris rapidement qu’il fallait la vivre. »

Pédalier du show-car A290_ß !

Parlons de cette gamme à venir. En tant que créatif, avez-vous participé à son ébauche ?
A.V. : « Oui, complètement. Le design a bien sûr été mis dans la boucle. Le dream garage fait partie des idées qu’on a développées très en amont. Après, il fallait savoir comment on allait développer les produits et on a proposé pas mal de choses à Luca de Meo. »

Après une longue expérience chez Renault, avec des passages en Corée et en Russie, Raphaël Linari auteur de ces esquisses est aujourd’hui Chief Designer chez Alpine.

Luca de Meo est réputé pour être aussi un homme de produit…
A.V. : « Luca de Meo a toujours un ou deux coups d’avance, alors on s’est dit qu’il ne fallait pas qu’on coure après, il fallait au contraire qu’on l’alimente de projets en lui proposant notre vision. C’était très stimulant. »

En janvier 2021 lorsque vous présentez le dream garage, les trois modèles existent-ils déjà à l’état de maquettes ?
A.V. : « Pas complètement. Les premiers étaient certes lancés mais les autres étaient plutôt sous forme d’idées. On avait déjà les premières maquettes numériques, mais c’était vraiment au tout début des études. »

Le studio Alpine est-il comme un commando qui ne travaille qu’avec des maquettes numériques ?
A.V. : « Non, on a des maquettes numériques et physiques. Il y a toujours une maquette clay à la fin, et aujourd’hui on a des process qui utilisent tous types d’outils. On peut faire une maquette au ¼ en Clay et en parallèle, on utilise tous les nouveaux outils numériques de modélisation 3D qui sont utilisés par les designers, et pas seulement par les designers numériques. On travaille aussi beaucoup avec les casques VR (Réalité Virtuelle) et on a également des fraiseuses dans l’atelier. Donc on peut envoyer notre fichier numérisé au fraisage le soir et le lendemain matin, on a le modèle. On dispose chez Alpine d’un processus d’études et de développement agile, qui sait jongler sur tous les éléments physiques et numériques. »

Comme leurs collègues de chez Renault (photo), les designers Alpine bénéficient des derniers outils d’aide à la conception, comme le casque de réalité virtuelle

Vous fonctionnez comme votre grande sœur Renault avec au final au moins une maquette échelle 1/1 ?
A.V. : « Oui, tout à fait, une maquette en Clay. Notre atout est que notre petite équipe dédiée peut s’appuyer sur la force du Groupe Renault. On a des ateliers au top niveau, les fraiseuses aussi… tout le back office est pris en charge par le Groupe. On ne pourrait pas bénéficier de tous ces moyens si nous étions indépendants. »

Comme la R5 Alpine de 1976, l’Alpine A290 dérive du modèle Renault 5 (ci-dessus). Mais avec bien plus de caractère et… de puissance (on évoque jusqu’à 250 ch ?)

Pouvez-vous nous parler du lien entre la Renault 5 EV et l’A290_ß. Avez-vous collaboré au design de la R5 par exemple ?
A.V. : « Lorsque nous avons dévoilé notre dream garage, le style de la Renault 5 Prototype était déjà bien avancé, avec François Leboine qui était à la tête du design concept-cars et avec lequel je partageais le même bureau. Très vite, les ingénieurs des Ulis sont venus mettre les bons ingrédients dans la nouvelle plateforme CMF B-EV de la R5 pour que l’on puisse réaliser l’Alpine. C’est donc la technique qui a précédé le style Alpine. En parallèle, on attendait que le style de la Renault mûrisse pour développer notre produit. »

François Leboine, designer de la Renault 5 électrique est aujourd’hui passé à l’ennemi : il dirige le design Fiat au sein de Stellantis.

On ne peut donc pas dire que cette Alpine est un simple dérivé de la prochaine Renault 5 ?
A.V. : « On préfère parler de l’analogie avec l’A106 de 1955 (première Alpine de série conçue sur la base de la Renault 4CV), car on retourne à nos origines. Alpine a toujours utilisé des organes Renault. On a emmené cette future A290 dans notre univers, à la fois technique et stylistique. Ce qui est intéressant avec cette urbaine sportive, c’est qu’on va aller sur le territoire de nouveaux concurrents, comme MINI ou Alfa. Et par la suite, avec les futurs produits, on va monter très haut, on élargit le spectre de la clientèle Alpine. »

Information intéressante : la nouvelle plateforme CMF B-EV de la prochaine R5 a été configurée par les ingénieurs des Ulis, ex-Renault Sport, pour accepter plus de puissance et l’ADN dynamique de la future Alpine A290

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Au-delà du prochain Crossover GT et de la remplaçante de l’A110 dont vous ne direz rien aujourd’hui, peut-on confirmer l’arrivée de deux grands crossovers de haut de gamme en 2027 et 2028 ?
A.V. : « Les maquettes existent car on travaille aujourd’hui tous les projets en même temps, à différents stades d’évolution bien sûr. Certains sont déjà finalisés (on pense au Croosver GT produit par Dieppe en 2025 NDA) et les autres ont déjà démarré. »

Le crossover Alpine de 2025 ne sera pas le seul de la gamme : deux grands frères l’épauleront en 2027 et 2028.

Ce qui est surprenant au vu de la taille de ces deux Crossovers de 2027 et 2028, c’est leur cible plutôt américaine ?
A.V. : « Exactement. Il faut comprendre la stratégie avec d’abord les trois nouvelles Alpine du dream garage, qui sont plutôt centrées sur l’Europe. Ensuite la deuxième phase est d’aller chercher le reste du monde. Aux États-Unis, notre audience est bonne, on nous a même demandé d’exporter l’A110 ! Il y a une culture des voitures sportives assez forte là-bas. Alpine est peut-être une marque exotique pour eux, mais elle leur parle. Lorsqu’on arrive sur le marché des crossovers, il faut à la fois respecter les codes, en dimensionnement notamment, et y amener tout notre savoir faire en termes de liaisons au sol, de performances, de plaisir de conduite avec un design beaucoup plus français. »

LA GRANDE INTERVIEW DES TROIS PATRONS DE DESIGN DES MARQUES FRANÇAISES DE STELLANTIS (PEUGEOT, CITROËN ET DS) EST A LIRE ICI : http://lignesauto.fr/?p=26735

Ces nouveautés seront-elles aussi vendues en Europe ?
A.V. : « Pour certaines, oui bien sûr, même si ce ne sera pas forcément notre cœur de marché. Ces projets nous permettent de faire des choses vraiment incroyables, on n’aurait jamais imaginé ça ! »

Et vous aller faire le chemin inverse en proposant vos deux gros crossovers de 2027 et 2028 à Renault ?
A.V. : « Non, cela n’a rien à voir ! On s’émancipe et on crée une marque et donc une gamme complète. C’est la raison pour laquelle en termes de volumétrie, notamment du nombre de personnes, on passe à une autre puissance de frappe avec beaucoup d’ambition. Créer une nouvelle équipe est quelque chose de totalement inédit. Il y a Laurent Rossi qui pousse toute la marque, en étant lui aussi force de proposition. C’est avec lui que l’on a proposé le concept Alpenglow à Luca de Meo pour lui dire qu’il nous fallait un objet qui nous projette dans le futur. Il nous a dit ‘’j’adore, banco, on y va’’. Ce sont des moments vraiment incroyables à vivre. Cela fait dix ans que j’attends ça et je me pince encore le matin pour y croire ! »

Quand sera commercialisée l’A290 ?
A.V. : « En 2024. Mais on va laisser évidemment la primeur à la Renault avec sa 5 !… »

Le concept-car Alpenglow et le show-car A290_ß s’ajoutent aux “vraies” futures Alpine de route. Sans oublier que le design participe grandement à l’élaboration du dessin de la future Alpine des 24 H du Mans à partir de la saison 2024… https://www.24h-lemans.com/fr/actualites/24-heures-du-mans-alpine-s-engage-en-hypercar-a-partir-de-2024-55675
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