

Alors que Renault vient d’ouvrir la réservation à 1980 potentiels clients de la future Renault 5 Turbo 3E ci-dessus, avec un acompte de 50.000 € et un prix de base, hors option, estimé à 155.000 €, il est bon de revenir sur celle qui est à l’origine de cette Renault la plus puissante jamais produite : la R5 Turbo de 1978. Oui, bien celle de 1978, et non celle de 1980 – date officielle de la commercialisation de la première R5 Turbo – car nous publions ici trois documents inédits qui parlent de maquettes de style, de leurs prix et des échanges entre Renault et Bertone, notamment de Gandini.

Rappelons le contexte. En 1976, le projet d’un véhicule capable d’être homologué en Groupe 4 est lancé dans la toute nouvelle structure Renault Sport. Côté design, c’est le designer Marc Deschamps, tout juste arrivé au style avancé, qui se met à l’ouvrage avec ce tout premier dessin ci-dessous. L’idée est de dévoiler la bête, sur la base de la Renault 5 âgée de seulement quatre ans, avec un moteur central arrière turbocompressé.

Cette technologie du turbo est alors engagée par le constructeur dans le championnat des voitures de sport avec des prototypes (photo ci-dessous Patrick Depailler en 1976 au volant) mais aussi avec le prototype Alpine A500 d’une potentielle F1. Renault gagnera le Mans en 1978 et son premier GP de F1 en 1979.

Cette petite incursion dans le passé opérée, ouvrons les portes du bureau de « style » Renault de cette période et intéressons-nous à la fameuse maquette échelle 1 de la R5 Turbo. La lettre numéro 1 publiée ici est signée du bureau de style avancé de Renault situé alors au 132 rue des Suisses à Nanterre. Elle est envoyée à la Carrozzeria Bertone et destinée à Marcello Gandini, le directeur du design.

Elle n’est pas datée mais a été rédigée à la toute fin mars, ou au tout début d’avril 1977. Bertone, par le biais de Gandini, est alors un consultant qui œuvre beaucoup pour la Régie Renault. On retiendra notamment les projets d’une Renault 9 présentée par le maître italien en 1978, un projet trop en avance sur son temps pour le constructeur français mais aussi celui de la Supercinq de 1984, d’une remplaçante de la R4 ( lire ici : https://lignesauto.fr/?p=26915) et le camion AE ci-dessous.

Cette lettre numéro 1 fait état d’une demande de devis pour la réalisation d’une maquette de « Renault 5 à vocation sportive », dixit Marc Deschamps qui a rédigé la missive. Et le temps presse car la voiture, qui est en fait la première maquette de celle qui deviendra la Renault 5 Turbo au salon de Paris un an et demi plus tard, doit être livrée au style Renault le 26 mai pour une présentation à la direction. Ce délai extrêmement court sera tenu car il s’agit en fait d’habiller une coque de Renault 5 de monsieur tout le monde avec les éléments extérieurs de la R5 Turbo.

Cette lettre 1 trahit bien les intentions de Renault puisqu’elle fait mention « lors du maquettage de l’implantation d’une cloison intérieure derrière les sièges avant » afin d’isoler le compartiment moteur. Qui est, rappelons-le, en position centrale longitudinale arrière. Et il s’agit bien d’une maquette, puisque Marc Deschamps précise que « cette voiture n’est pas destinée à rouler. »

Le designer français est l’auteur du tout premier dessin de la R5 Turbo et le style sera alors coordonné par Yves Legal. Dans cette première lettre, l’étape d’après est déjà envisagée puisqu’on lit clairement que Renault demande de prévoir « la réalisation d’une caisse en tôle de cette voiture, toujours à partir d’une caisse de série. » Le projet 822 né de l’idée de Jean Terramorsi en 1976 pour soutenir l’image de la R5 est dès lors bien engagé. Le moteur sera un 1.4 turbocompressé et le poids du produit fini ne devra pas excédé les 950 kg. La compétition est évidemment l’objectif de cette bombinette à deux roues motrices.

La lettre numéro 2 est datée du 13 avril 1977, soit dix-huit mois avant la présentation au public de la Renault 5 Turbo. Elle est signée de la main de Gandini et elle est intéressante, notamment sur le budget de telles maquettes. L’italien envisage pour la réalisation d’une maquette peinte un devis de 56.000 francs, une somme dérisoire comparée à nos jours comme vous pourrez le lire dans notre “bonus” instructif en fin de ce post.

Marcello Gandini précise que la voiture de série fournie par la Régie est une Renault 5 TS complète, le type « R1224 » pour être précis. Celle-ci a remplacé en 1975 la très éphémère R5 LS. La R5 Alpine ci-dessous est quant à elle commercialisée depuis un an lorsque la demande de Renault à Bertone est effective. Il est surprenant que le choix se soit porté sur la version TS mais il est vrai qu’entre une R5 de monsieur tout le monde et la Turbo, les différences d’architecture mécanique sont de toute façon énormes !

Dans cette lettre numéro 2, Marcello Gandini détaille avec précision les travaux qui vont permettre de passer d’une R5 TS à une R5 Turbo : quatre ailes, un bouclier AV et un bouclier AR, une calandre, une modification du hayon, un déflecteur arrière éventuel (il sera retenu au final sur la maquette du salon), une cloison intérieure et le positionnement des nouvelles roues.

Pour le probable prototype non roulant envisagé pour le Salon de Paris, Gandini explique vouloir utiliser les pièces de cette première maquette pour abaisser les coûts et évoque une somme de 45.000 Francs. Il précise cependant que « nous n’avons pas considéré les éventuels travaux pour le montage du groupe propulseur. »

Effectivement, le devis de la maquette du salon est d’une tout autre ampleur comme le précise enfin la lettre numéro 3 qui est en fait un document rare : la facture datée du 17 novembre 1977 de la réalisation de la maquette signée Bertone.

Et il n’est plus question de 46.000 Francs, mais de 105.000 Francs. Cette facture envoyée au studio de style Renault « CTR » au 112 de la rue des Bons Raisins à Rueil comprend tous les derniers travaux effectués en cette fin d’année 1977 (quelques mois après la construction du tout premier prototype noir 822-01 à structure tubulaire à l’arrière qui ne sera pas retenue en série…) et ces travaux sont nombreux. Il s’agit de la finalisation de tous les éléments extérieurs de la carrosserie qui sont modifiés à partir d’une Renault 5 Alpine – tiens, il n’est plus question d’une base de R5 TS-.

Ces travaux ont été commandés par Robert Opron, alors patron du design du groupe Renault et par Marc Deschamps. Cette maquette Bertone sera présentée à Rueil à la direction de Renault. Les résultats sont convaincants et le style opère quelques modifications avant de s’adresser à son autre partenaire Heuliez (qui s’occupe d’une partie de l’étude d’industrialisation ci-dessus et de fabrication des coques modifiées de la R5) pour finaliser la maquette qui sera dévoilée à Paris en 1978 ci-dessous.

On le comprend avec le document ci-dessous, les différences sont nombreuses entre la toute première maquette réalisée au style Renault et finalisée chez Bertone en 1977 et celle qui sera exposée au salon de Paris en 1978 : une prise d’air sur le capot a été imposée pour améliorer l’évacuation de la chaleur du radiateur d’eau, le bouclier avant est redessiné avec trois entrées d’air pour refroidir le radiateur, un petit aileron sur le sommet du hayon fait son apparition…

Les rétroviseurs ne sont plus en forme d’obus, le lettrage « Turbo » ne déborde plus sur l’aile arrière qui voit son dessin simplifié et elle adopte une prise NACA en partie supérieure, un habillage de bas de caisse fait la jonction entre les ailes avant et arrière élargies et les roues sont inédites. L’habitacle est totalement changé, notamment au niveau des sièges et de l’habillage du cache moteur où l’on trouvait deux casques sur la première maquette (ci-dessous).

En octobre 1978, la maquette creuse de la R5 Turbo, sans moteur et donc non roulante, est exposée sur le stand Renault lors du salon de Paris à la porte de Versailles. La plateforme ronde sur laquelle elle trône côtoie une autre un peu plus grande sur laquelle a pris place la Renault A442-B vainqueur la même année des 24 heures du Mans. Ce sera – pour l’heure – la seule victoire de Renault au Mans. Mais la Renault 5 Turbo elle, commence tout juste sa carrière et dès 1980, termine 4e du Tour de Corse avec Saby et son copilote Tilber puis remporte en 1981 le rallye de Monte-Carlo lors du championnat du monde des rallyes aux mains de Ragnotti copiloté par Andrié, ci-dessous la vidéo de la victoire. La bête est lâchée !
BONUS : le coût d’un concept-car et d’une maquette de style aujourd’hui
Aujourd’hui, pour la production unique d’un concept-car non roulant, l’investissement tourne autour des 800.000 € à 1.2 million €. Les précédents concepts-cars qui embarquaient des technologies complexes et roulaient, voyaient ce tarif multiplié par dix ! Le coût des maquettes d’études de style à l’échelle 1/1 pour un programme de série est sans commune mesure, mais ces maquettes sont évidemment bien plus nombreuses que les concept-cars sur une année de travail. Hors coût de modélisation du style, un fraisage d’un modèle polystyrène coute environ 15.000 €. En résine pleine, il est difficile de passer sous la barre des 50.000 €, si vous désirez un bon niveau de finition. Ce n’est pas tout…

Il faut y ajouter les éventuelles reprises de style, la peinture, voire des accessoires. Un tarif à moduler en fonction de la taille et de la complexité du modèle. Pour en finir avec l’argent (!), le coût d’une maquette échelle 1/1 en Clay, finalisée, revient à environ 150.000 €. Il n’en existe plus qu’une ou deux par programme. On est loin des 105.000 Francs (environ 72.000 euros €, merci à Étienne Lhoste pour le calcul…) de la première maquette de la Renault 5 Turbo conçue chez Bertone en 1977 !

