

À travers les deux publications de l’auto-journal datées de 1971 et de 1979, nous retraçons les coulisses de ces deux scoops sur la Renault 2, en les replaçant dans leur contexte. Grâce à nos archives, nous pouvons détailler ce qui se passait réellement en coulisse chez Renault au moment même où le journaliste spécialisé Gilles Guérithault (voir Bonus) rédigeait ses articles. Une histoire savoureuse appuyée par des documents d’époque. Et accessoirement, un éclairage sur le difficile métier de journaliste chasseur de « scoops » !

Il faut d’abord ouvrir le catalogue de l’offre Renault de 1971 pour prendre conscience de cette intéressante petite R2 novatrice. La gamme compte alors sur la Renault 4, la version Rodeo, la Renault 6, la Renault 8 Major, la Renault 8S, la Renault 10 Major, la Renault 12, la version break, la sportive Gordini et la Renault 16, ci-dessous un dessin. de Gaston Juchet.

Il existe donc encore deux modèles à moteur arrière, alors que les tractions sont toutes à moteur longitudinal. Seule la 16 semble faire preuve de réelles innovations dans son segment, principalement architecturales avec sa forme bicorps et son habitacle modulable. Pour le reste, la gamme sent un peu la poussière. Mais le 6 mai 1971, lorsque sort la revue en kiosque avec la R2 en UNE, le duo R15/R17 n’a pas encore été révélé : les deux coupés le seront deux mois plus tard, en juillet. Premier signe d’un renouveau de la Régie. Ci-dessous, un dessin d’étude de la Renault 17 réalisé par Gaston Juchet.

En revanche, en coulisse chez Renault, on n’évoque pas de petite R2. Le style et les ingénieurs sont arrivés presque au terme de l’étude du projet 122 qui donnera naissance à la R5 en janvier 1972. Est-ce que l’auto-journal aurait confondu la R5 et la R2 ?

Non, il n’y a pas de confusion, car la R5 est bel et bien citée dans le sujet de Gilles Guérithault et en des termes pas forcément élogieux : « il est vraisemblable que ce modèle (la R2 NDA) ne sera lancé qu’après l’apparition, au printemps 1972, d’une R5 beaucoup moins intéressante à laquelle Renault semble tenir. (…/…) La disposition mécanique de la R4 est conservée. Il est regrettable que Billancourt ait fait passer le compromis avant la création. (…/…) Nous reviendrons naturellement sur cette R5 qui précédera la R2. Nos lecteurs pourront alors constater l’abîme qui sépare un véhicule remanié d’un modèle absolument nouveau. »

Chez Renault dans le même temps, plutôt que d’évoquer une « petite » voiture, le style mené par Gaston Juchet a d’ores et déjà réalisé en 1971 des maquettes d’un programme ambitieux : la Renault 14 ci-dessous qui doit aider la Renault 12 face à une concurrence acharnée sur le segment des compactes. La Simca 1100 de 1967 et la Peugeot 204 de 1965 n’ont pas de réelles concurrentes à Billancourt.

La Renault 14 qui sortira en 1976 est pratiquement figée au niveau du style en 1971 alors que de son côté, l’auto-journal dévoile la R2. Mais ça, évidemment, les journalistes ne le savent pas encore. Gilles Guérithault semble plutôt obnubilé par la Mini (voir ci-dessous l’extrait du sujet de 1971) et met Renault devant ses incohérences : il n’existe pas dans la gamme de Renault capable de concurrencer la Mini, alors que le constructeur nationalisé est connu justement pour ses succès sur le marché des petites voitures.

« Si la R2 est très courte, puisqu’elle se contente de 3,02 m, elle est d’autre part large, et même très large : 1,53 m » explique le journaliste Jean Mistral dans le sujet de l’auto-journal. Ce dernier n’est autre que… Gilles Guérithault qui signe de ce nom lorsque les informations touchent directement au produit ! 1,43 m de large, c’est effectivement plus que les R4, 2CV, Dyane, Mini et c’est un centimètre de moins seulement que la R6 !

En coulisse, la R5 pourtant décriée en interne par la moitié des hommes du commerce – notamment à cause de ses seules deux portes – est l’objet de toutes les attentions. Et le problème pour ce premier scoop sur la R2, c’est qu’il n’y a aucune trace de ce projet dans les notes personnelles de Gaston Juchet comme on peut le voir ci-dessus avec leur retranscription.

De 1968 à 1972, pas de R2 en vue. En revanche, pas mal de projets à l’étude ne verront pas le jour : le 120 notamment ci-dessus qui, en 1968, jette les bases de ce qui deviendra en 1975 la R30. Le coupé R5 ci-dessous étudié sous deux formes différentes ne sera pas non plus commercialisé. Et c’est dans cette période qu’est lancé le programme du renouvellement de la gamme Alpine, le NGA, dont les maquettes resteront également sans suite. Mais de petite R2, pas la moindre trace…

Gilles Guérithault se serait-il trompé ? Connaissant le personnage, on en doute ! Il faut donc aller chercher ailleurs l’origine de ce papier. Et c’est en découvrant dans l’article de mai 1971 les dessins de la modularité à bord de la R2 que l’on comprend mieux, même s’il demeure une énigme. Je m’explique : en mai 1971, l’auto-journal publie le sujet sur la R2 avec une pleine double page sur la modularité exceptionnelle de cette petite voiture « plus large que haute ».

Jean Mistral, alias Gilles Guérithault explique que « l’aménagement intérieur se présente de façon originale et ingénieuse. » Les dessins scolaires qui accompagnent ses dires sont incroyables : l’architecture de la Twingo est là, sous nos yeux ! La petite R2, contrairement à ses rivales d’alors, dispose de quatre sièges indépendants sans banquette à l’arrière. Les deux sièges arrière se replient dans le plancher. Le siège passager avant bascule totalement offrant un long plancher de coffre…

Et c’est ici que l’énigme apparaît car Renault a travaillé sur cette architecture qui se retrouvera à bord des premières maquettes du projet VBG (Véhicule Bas de Gamme). Alors me direz-vous, Gilles Guérithault était très bien informé ? Oui, comme toujours, mais il y a un problème de taille : le sujet de l’auto-journal date de 1971. Or, les premières études de modularité pour les VBG de Renault n’ont débuté qu’en juin 1975, comme on le voit ci-dessous avec le dossier d’étude.

Alors, Gilles Guérithault a-t-il rédigé ce papier pour pousser Renault à concevoir une mini intelligente avec un moteur avant transversal et une modularité inédite ? Ça, on ne le saura jamais… Mais cette chute est une très bonne transition vers le second sujet avec un nouvel article sur la R2 publié dans l’auto-journal en 1979. Et cette fois, avec des photos ! C’est l’objet du second sujet qui sera prochainement publié sur ce site : « Le décryptage des scoops de la Renault 2 – partie 2 – 1979 »
BONUS : Gilles Guérithault (1918-2017)

Gilles Guérithault régnait au cœur de l’équipe qui a lancé l’auto-journal le 15 janvier 1950 avec notamment André Costa. Guérithault est l’homme des scoops automobiles des années 1950 jusqu’à son départ de l’auto-journal, au début des années 1990. Sa chasse à la Citroën VGD (la DS de 1955) lui vaudra un procès où il verra ses cheveux blanchir en un temps record. Citroën perdit ce long procès entamé avant même que la DS fut révélée, en octobre 1955.

Quant à Gilles Guérithault, j’ai eu le privilège de travailler à ses côtés dans la rubrique des scoops automobiles, juste avant sa retraite. Je lui ai succédé, car on ne remplace pas un géant comme Gilles… Je garde de lui l’image d’un homme talentueux, épicurien, excellent journaliste qui a interviewé les plus grands patrons automobiles. Il m’avait fichu la peur de ma vie en 1991 lorsque j’ai cru le voir mort, affalé sur le siège conducteur de sa Citroën ZX garée au sous-sol dans le parking du journal. Il était simplement en train de dormir après l’un de ces nombreux bons repas. Puis il remontait s’asseoir à son bureau, à trois mètres du mien, pour grignoter un biscuit. Il s’installait alors devant sa machine Japy et frappait le clavier avec une vigueur assez généreuse pour que tous les « o » de ses textes se transforment en petits trous qui laissaient passer la lumière lorsqu’il arrachait les pages de sa machine. Sa façon à lui de lancer des étoiles brillantes dans le ciel d’une carrière incomparable.

