

La pression monte. Le concept-car Peugeot Polygon de 2025, annonciateur d’innovations et d’un langage formel affirmé des futures Peugeot, sera dévoilé à la mi-novembre. Il aura fallu attendre plus de deux ans depuis l’Inception de janvier 2023, pour que le constructeur français dévoile un nouveau manifeste. Retour sur une décennie de concept-cars Peugeot, de 2015 à 2025. Fractal, Instinct, e-Legend et Inception ont marqué à leur façon cette décennie. Leurs concepteurs en (re)parlent !
2015 : FRACTAL – La mûre du son

Un an avant l’apparition de la seconde génération de 3008 (2016) qui va faire un carton commercial, et quatre ans avant l’apparition de la deuxième génération de 208, le concept-car Fractal 100 % électrique dévoile certains des thèmes esthétiques de cette dernière. L’un de nos sens est singulièrement mis en éveil à bord : l’ouïe. En avant la musique ! Matthias Hossann, aujourd’hui directeur du design Peugeot, nous expliquait alors « qu’en 2014, j’étais en charge des projets ‘’avance de phase’’ en parallèle des études de concept-cars. On commençait à travailler sur la deuxième génération de 208 et on recherchait de nouvelles proportions. Avec Fractal, on a défriché une nouvelle attitude, plus dynamique, avec un capot avant marqué, et tout ce travail a servi sur la 208 de 2019. »

Le designer de Fractal, Sébastien Criquet, est depuis devenu le responsable de l’avance de phase, succédant à Matthias, devenu directeur du design de la marque. Kevin Gonçalves quant à lui, a dessiné la 208 de série de 2019 et nous expliquait lors de la présentation de la petite Peugeot « qu’il y a des similitudes de thèmes de style entre les deux produits, mais le concept-car se baladait de salon en salon, plutôt que dans le bureau de design au moment de la conception de la 208 ! »

Matthias Hossann confirmait quant à lui que « nos concept-cars sont conçus et maquettés dans le même studio que les véhicules série. Tout ceci permet de s’auto-alimenter : on montre à tous les designers ce qu’il se passe, tant pour le design extérieur que pour le design intérieur. On a des zones dédiées où l’on fait venir tous les métiers, les couleurs & matières, les modeleurs physiques et 3D. C’est pratiquement un laboratoire qui fonctionne comme une start-up ! Il faut être efficace et rapide pour les deux produits : concept et série. »

Fractal porte en lui ce nouveau langage formel apparu avec le concept Quartz (2014), avec de nouveaux thèmes de style, comme les flancs à facettes, marqués par un embouti triangulaire qui va se retrouver sur la 2008. On devine ce thème sur la photo d’une maquette de Fractal.ci-dessus. Ce prototype de salon magnifie surtout le i-Cockpit®. Ce dernier prend soin de certains de nos sens, comme la vision et le toucher. Fractal y ajoute l’ouïe avec une collaboration avec le StelLab, une entité de recherche de PSA, et Focal, leader français de l’électroacoustique HiFi. Fractal embarque ainsi à bord pas moins de treize haut-parleurs auxquels s’ajoutent des caissons d’infrabasse intégrés au dossier de chaque siège.

Ce concept-car dispose également d’une signature sonore dédiée à l’univers de la voiture électrique, créée par le designer Amon Tobin, artiste musicien et designer sonore : « Fractal est le fruit d’une rencontre entre artistes qui explorent de nouveaux terrains d’expression. Avec les designers, nous avons mixé nos inspirations. Le style est inspiré par le son, et ma création est inspirée par les lignes et les matières du concept-car. » Le design de l’habitacle est issu de cette collaboration. Enfanté par le designer Matthieu Hagnere aidé aux couleurs & matières par Élodie Roux, il accueille des matériaux inspirés des auditoriums et des studios d’enregistrement.

Techniquement, la Peugeot Fractal fait appel à deux machines électriques, chacune sur un train roulant, délivrant la puissance cumulée de 204 ch. Les batteries Lithium-Ion prennent place dans le tunnel central pour un gabarit du concept relativement compact : 3,81 m de longueur. Dernière spécificité, ce concept offre deux silhouettes, coupé et découvrable. Focal et le StelLab ont pris en compte ces deux architectures et offrent à la Fractal une spatialisation du son différente dans les deux cas.

2016 : INSTINCT – Plaisir autonome

Peugeot vient de lancer la deuxième génération de 3008 avec son design inspiré du concept-car Quartz, prouvant ainsi que les concept-cars ne sont pas des objets “gratuits”. Instinct est dévoilé en 2016 alors que la voiture autonome accapare les bureaux d’études et de design, avec des solutions parfois radicales. Avec ce nouveau concept, Peugeot veut prouver que la délégation de conduite n’est pas castratrice du plaisir de conduite. Le concept est enfanté par Sylvain Henry ci-dessous, un designer historique de la marque. Entré à l’âge de 18 ans chez Peugeot, comme son mentor Gérard Welter, il est aujourd’hui master designer chez… Citroën.

Dessiner le concept-car Instinct a été la dernière grande œuvre de Sylvain pour Peugeot. Arthur Coudert l’a accompagné pour le design intérieur, alors qu’Élodie Roux a pris en charge le domaine de plus en plus impactant des couleurs & matières. Instinct ouvre les portes d’un futur que l’on croit, à l’époque, encore tourné vers la voiture autonome. La législation Européenne sur les rejets de CO2 aura tôt fait de mettre en pause le développement de ces engins capables d’offrir la délégation de conduite, au profit du développement des véhicules hybrides et électriques imposant de lourds investissements.

Au milieu des années 2010, les solutions retenues pour les voitures autonomes semblent surtout déposséder le conducteur du plaisir de piloter, le reléguant au simple rôle de spectateur. C’est cette image que veut bannir Peugeot pour qui le dynamisme de conduite reste l’un des mots clés de son ADN, comme le confirmait le responsable du design Peugeot de l’époque, Gilles Vidal. « Pour concevoir une voiture autonome, il s’agit de réunir deux contraires, celui d’une conduite active et celui d’un mode autonome, avec un objectif fort : être toujours une source de plaisir. Le concept Instinct est le premier concept de voiture autonome à ne pas mettre de côté le plaisir automobile. »

Le concept embarque en première mondiale la plateforme Samsung ARTIK Cloud qui intègre l’automobile au cloud de son utilisateur. En clair, le concept Instinct propose à bord les données que son utilisateur souhaite partager, données issues de son smartphone, de sa montre connectée et même de la domotique de son domicile. La délégation de conduite induit de penser l’habitacle différemment car la voiture autonome ouvre un nouveau champ de créativité créé par de nouveaux usages.

Outre sa connectivité et son mode de pilotage hybride (via le conducteur ou via la délégation de conduite), l’Instinct propose une évolution du i-Cockpit® appelé « Responsive i-Cockpit. » Matthias Hossann alors responsable des concept-cars avant de succéder à Gilles Vidal en 2020, précise « qu’avec cet i-Cockpit®, nous créons de nouvelles façons d’éprouver du plaisir avec une automobile. Que ce soit par les interfaces, l’architecture ou le style. » Le design extérieur adopte le thème du « shooting brake » disposant de quatre portes dont la cinématique d’ouverture joue toujours un rôle spectaculaire.

La poupe s’appuie sur des épaulements d’ailes généreux alors que la cabine étirée voit ses lignes se resserrer à l’arrière, dans un mouvement dynamique. Le pavillon est pratiquement intégralement vitré (ci-dessus) alors que l’engin conserve un capot très automobile, long et de type carrossier, une architecture chère à Peugeot. La face est inédite et annonce alors la signature lumineuse des produits futurs, notamment les deux longs crocs, ci-dessous. Le logo de la marque apparaît pour la dernière fois dans son esthétique de 2010. La calandre n’en est plus vraiment une, car elle se fond dans l’ensemble du soft-nose, là encore pour annoncer ce qui va prendre vie sur les véhicules de série.

À bord, les sièges s’inspirent de l’aéronautique et chaque passagers peut communiquer avec la voiture, via un assistant personnel vocal qui donne accès à une palette de services. En mode de délégation de conduite, le volant se rétracte, tout comme le pédalier, alors que devant le passager avant, un écran gigantesque apparait sous la planche de bord. Benoit Morin, responsable des couleurs & matières précise que « les écrans intégrés amènent une nouvelle lumière, de nouveaux graphismes. Nous sommes en relation constante avec les designers UX (User Experience), une collaboration qui n’existait pas voici seulement 10 ans ! »

Bertrand Rapatel, responsable du design intérieur Peugeot précise cependant que « la technologie évolue rapidement et l’intégration des écrans est de plus en plus facile. Il n’y a pas de problème entre les différents métiers sur ce thème, c’est bien nous qui décidons de cette intégration, de la forme et de la taille de ces écrans. » L’Instinct est le dernier concept-car Peugeot doté d’un moteur thermique.

Il embarque effectivement une chaîne hybride rechargeable développant 300 ch. Après lui, place à l’électrique : les deux concept-cars e-Legend (2018) et Inception (2023) mettront fin à une période de plus de 60 années de conception de modèles reposant sur des plateformes à moteur thermique. Le design sera durablement impacté par ce changement de paradigme.
2018 : e-LEGEND – Désirable et désiré

Une pétition a été signée par plus de 50 000 passionnés pour demander la commercialisation du concept-car e-Legend. Jean-Philippe Imparato, alors patron de la marque Peugeot, s’exprimait sur cette doléance en affirmant qu’à partir de « 500 000 signatures, on va devoir sérieusement y penser… » Mais cet espoir, partagé par certains chez Peugeot, s’est fracassé sur un chiffre rond : plus de 250 millions d’euros pour industrialiser un coupé électrique, voilà qui n’était pas dans les priorités de PSA.

Peugeot a pourtant été capable de commercialiser le coupé RCZ, véritable véhicule image. Une telle voiture semble encore manquer aujourd’hui. Gilles Vidal, toujours patron du design de la marque en 2018, confirmait que « nous faisons des propositions crédibles, mais c’est l’entreprise qui décide d’y aller ou pas, en fonction de ses priorités. Certains constructeurs disposent de cette voiture image, mais est-ce nécessaire et vital ? Personne ne sait chiffrer ce que ça apporte. »

Avant de prendre les commandes du design Peugeot, Matthias Hossann portait un jugement plus pragmatique : « je continue de me projeter dans le futur, et ce que l’on nous demande, c’est de faire plaisir non pas avec une silhouette dédiée, mais sur chacun des modèles sur lesquels nous travaillons. Pour le groupe, il est nécessaire d’industrialiser des produits désirables, mais également rentables. Ce n’était pas le cas de e-Legend. » Fermez le ban.

Ce prototype a donc des pères prestigieux, au rang desquels le designer Nicolas Brissonneau ci-dessus : « ce concept e-Legend représente l’expression de la voiture que j’aimais le plus chez Peugeot, la 504 coupé. C’est assez fantastique, car mon rôle aujourd’hui n’est plus réellement de dessiner, alors terminer par l’expression moderne de la voiture qu’on admire, c’est très affectif. » Si l’on rembobine le film de la genèse de e-Legend, on remarque qu’il a suivi un déroulement divergent de celui des autres concept-cars comme le rappelle Nicolas.

« Nous avons eu une approche tout à fait différente de celle d’un concept-car traditionnel. Nous l’avons utilisé comme laboratoire. Il a des proportions incroyables, des flancs élancés comme ceux d’un félin, une allure bondissante, athlétique. Ce concept a une poupe nerveuse. Ce sont des codes immuables empruntés à notre histoire. Il se trouve que j’ai repris la place de designer extérieur pour ce projet, car cette voiture porte en elle des codes extrêmement Peugeot. » Et ce fidèle de la marque avait toute la légitimité pour ce travail d’orfèvre.

Comme toujours, tout est question de proportions et « nous tentons de les peaufiner le plus longtemps possible et le plus loin dans le projet. » Les designers Christophe Pialat et Sébastien Floutier arrivent à bord à conjuguer le passé et le futur sans nostalgie pesante. Les sièges évoquent ceux du coupé 504, notamment avec leur appuie-tête intégrés. Autre clin d’œil à cette 504, la sellerie signe le retour du velours, mais un velours de soie mixé avec une maille technique tissée numériquement.

La planche de bord, comme celle de l’Instinct, est formatée pour une conduite dynamique ou autonome. Ce prototype de salon très convaincant, ouvre l’ère de l’automobile 100 % électrique et dispose d’une puissance de 340 kW (462 ch), alimentée par une batterie de 100 kWh. Une valeur que l’on retrouvera au milieu des années 2020 sur les Peugeot électriques de série.

2023 : INCEPTION – Courant visionnaire

Conçu pendant la pandémie de la Covid (notez que tout le monde porte un masque sur la terrasse de présentation du design, ci-dessus…), le concept-car Inception est plus qu’un manifeste. C’est une vision du futur automobile et un nouveau langage formel qui actent un changement d’ère pour Peugeot. Le voici évoqué par celles et ceux qui l’ont pensé, dessiné et accompli. « Ce concept est la concrétisation de la transformation complète de la marque » expliquait Matthias Hossann en janvier 2023. Ce manifeste est le premier de l’ère Hossann…

« Pour autant, l’Inception ressemble indéniablement à une Peugeot. Elle exprime l’attraction féline intemporelle par des courbes athlétiques, des lignes sensuelles et une posture puissante, prête à bondir. L’Inception montre à quoi ressembleront nos futurs modèles Peugeot à partir de 2025. » Ce concept-car long de presque cinq mètres n’est pas une anticipation d’une future grande berline, plutôt celle d’un nouveau langage formel. Le concept repose sur la plateforme STLA Large* et ouvre de nouveaux horizons en termes de couleurs et matières.

Il propose de nouvelles perspectives de voyage, grâce à sa surface vitrée immense ci-dessus, dont le point d’orgue est un pare-brise s’allongeant jusque devant des pieds des deux occupants avant. En mode de délégation de conduite, la vue sur la route est spectaculaire et possible grâce à pas moins de 7m2 de surface vitrée. Maud Rondot, designer couleurs et matières et également responsable avance de phase de ce même univers, est allée chercher un verre multichroïque (traitement par bains d’oxydes métalliques) : « ce verre possède une réflexion plutôt chaude, dans les teintes de jaune et une transmission plutôt bleutée. L’idée était de créer un dialogue entre l’extérieur et l’intérieur. »

Guillaume Lemaître ci-dessous, responsable de l’avance de phase design intérieur, nous expliquait lors de la présentation d’Inception que « toutes les proportions à bord ont été retravaillées. Les occupants sont assis plus allongés dans une posture où ils sont mieux calés et toute la structure du siège est ajustée au corps. » L’évolution du i-Cockpit® est radicale (voir notre post récent sur ce sujet). Associé au vitrage impressionnant et à la posture allongée des occupants, ce nouvel environnement de l’Hypersquare offre une nouvelle expérience spatiale aux passagers.

Philippe-Emmanuel Jean, chef de projet concept stratégies, soulignait « que ce concept est important dans la mesure où il ouvre une nouvelle ère Peugeot. Il préfigure l’ensemble des véhicules qui reposeront sur les nouvelles plateformes 100% électriques, avec des différences majeures en termes d’architecture. » Ces fameuses plateformes 100% électrique sont, depuis, devenues pour certaines, multi-énergie ! Le design d’Inception a été mené sous la direction de Sébastien Criquet, responsable avance de phase design extérieur, et du designer Maxime Blandin, ci-dessous.

Et tout est allé vite, sans passer par une maquette Clay, comme le confirmait en 2023 SébastienCriquet : « tout a été réalisé en numérique, à l’exception des maquettes en polystyrène. Le numérique nous a conforté dans nos travaux entre l’extérieur et l’intérieur, car tout est lié sur ce concept. Quant au nouveau langage formel, on est allé vers plus de pureté, de simplicité et plus de félinité. On a ramené ce côté charnel et sensuel dans le dessin pour plus d’émotion. Lorsqu’on a commencé à travailler sur le projet, on a beaucoup repensé à la 505 et à l’Oxia (ci-dessous), par son côté aérodynamique. C’est la raison pour laquelle la face avant emprunte les codes de celle de la 505. » Inception ne met pas fin à la décennie 2015-2025 de concept-cars Peugeot puisque le manifeste Polygon sera dévoilé dans le courant du mois de novembre. Nous en reparlerons.

*Plateforme STLA Large. Peugeot aura-t-il droit à cette plateforme conçue pour les véhicules haut de gamme de Stellantis, notamment pour les États-Unis ? On peut en douter et on le saura plus clairement lors de la diffusion du plan de route de Stellantis attendu pour le premier semestre 2026. On en doute quand même, car pour la remplaçante de la 308, Peugeot délaissera la plateforme moyenne STLA Medium pour la plus compacte et moins coûteuse STLA Small…
POUR TOUT SAVOIR : LE LIVRE PEUGEOT CONCEPT-CARS
Retrouvez tous les concept-cars et prototypes d’études Peugeot dans l’ouvrage éponyme qui retrace 60 ans de style et design Peugeot, de l’ère Paul Bouvot à celle de Matthias Hossann en passant par celles de Gérard Welter, Jérôme Gallix, Jean-Pierre Ploué et Gilles Vidal. Livre disponible dans les librairies spécialisées et à la boutique de l’Aventure Peugeot : https://www.boutique-laventure-association.com/fr/livres/210008-concept-cars-et-prototypes-peugeot.html


