Le nouvel Espace efface l’erreur stratégique de Carlos Ghosn. Sans audace.

Christophe Bonnaud

Elle était belle cette photo de 2016 qui réunissait toute l’offre Renault au lancement de la cinquième génération de l’Espace. A ses côtés trônaient la berline Talisman et le SUV Koleos. C’était la stratégie mise en place par le produit sous l’ère Carlos Ghosn : renouveler le haut de gamme Renault par un grand SUV (Koleos), une berline et un break classiques (Talisman) et enfin un crossover familial inédit : l’Espace 5. Il fallait gommer l’ère Vel Satis – Avantime – Espace 4 qui n’avait pas fonctionné. Et pour cause, tous ces produits arboraient des silhouettes hautes. Mais le retour à un certain classicisme voulu par Ghosn, notamment avec la Talisman (pourtant un très bon produit), n’a pas mieux fonctionné.

L’arrivée de Luca de Meo à la tête du groupe Renault a clarifié la situation avec un certain pragmatisme : c’est dans le segment « C » du milieu de l’offre, que la marque doit réaliser ses efforts. Et des marges plus consistantes. Après la Mégane E-TECH électrique et l’Austral thermique hybride, voici que pointe la nouvelle génération d’Espace qui est un Austral allongé (de 4,51 m à 4,72 m), doté de deux places supplémentaires au rang trois.

L’habitacle conserve sa banquette coulissante ci-dessus qui, si elle est très fonctionnelle, n’a pas la richesse de trois sièges indépendants, comme à bord d’une Citroën C5 Aircross. Renault explique que l’Espace “se dote pour la première fois d’une banquette coulissante à loisir sur 22 cm en deux parties indépendantes selon le rapport 2/3-1/3“. Soit, mais pour accéder au rang 3 avec deux sièges enfants implantés sur la banquette, comment fait-on ? Il faut vivre avec son temps : celui des familles recomposées par exemple.

L’Espace 4 ci-dessous avait par exemple cette possibilité d’installer en toute sécurité deux enfants au rang 2 sans entraver l’accès aux deux places du rang 3, grâce au troisième siège laissé libre d’être manipulé. Comment fait-on à bord de l’Austral allongé ? Avoir trois enfants à positionner sur ce rang 2 n’est pas forcément aisé lorsqu’ils nécessitent des sièges de sécurité assez envahissants. Pourquoi diable se passer d’un atout aussi fort dans l’esprit d’un véhicule familial ? Sans doute que les enquêtes clientèles ont rendu leur rapport en expliquant que cette architecture ne servait pas souvent, pas plus que le maniement des sièges modulaires que l’on peut retirer à loisir.

Vrai. Raisonnement par l’absurde : les airbags ne servent pas souvent non plus… Je vous rassure, le nouvel Espace en est truffé. Cette nouvelle génération sur la base de l’Austral, c’est la suite des Tontons Flingueurs de Georges Lautner avec 90 % des répliques du premier opus dedans. Forcément, on rigole moins. Cependant, Renault ne fait que calquer une stratégie de silhouettes que l’on trouve chez certains concurrents, dont Peugeot avec le duo 3008/5008. Alors les tableaux Excel, les rapports d’enquête, les comptes économiques et tout le toutim ont sans doute raison. L’Espace sur base Austral a de grandes chances de se vendre mieux que l’Espace 5.

RENDEZ-MOI MON PIQUE-NIQUE !

Même si Renault affirme à juste titre que les différentes générations d’Espace avaient une vision révolutionnaire puis visionnaire, nous ne pouvons pas nous empêcher d’avoir un sentiment de tristesse devant le manque d’audace architecturale de cette nouvelle génération. Le constructeur ose annoncer que ”l’autre exemple de modularité intelligente : la troisième rangée de sièges s’escamote dans le plancher.” Une vraie révolution, vue il y a 20 ans dans un modeste VW Touran ! Le souvenir des essais du premier Espace en 1984, avec un pique-nique organisé à son bord, devra donc s’effacer de nos mémoires. « Le pique-nique, monsieur Bonnaud, c’est dépassé. » Ah bon ? Si vous le dites…

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