

Citroën vient de dévoiler la version de série de son nouveau C5 Aircross ci-dessus, une nouveauté largement déflorée par le concept-car révélé au Mondial de Paris l’année dernière. On a tendance à oublier que ce « SUV » compact est un modèle très récent dans l’histoire de la marque. Effectivement, le constructeur a décidé tardivement de se lancer à l’assaut de ce segment jugé porteur en Europe. C’était en 2015, voici tout juste dix ans, avec le concept « Aircross » ci-dessous. LIGNES/auto vous raconte les coulisses du design de cette entrée à marche forcée dans un univers qui nous est aujourd’hui familier.

Il faut donc légèrement tourner la clé de la machine à remonter le temps puisque c’est en 2012 que l’histoire débute réellement en coulisse. Cette année-là, le centre de design Citroën, jusqu’alors dirigé par Thierry Métroz, accueille un nouveau patron : Alexandre Malval. Thierry Métroz prend en charge la destinée de la « ligne DS » aux ambitions chinoises clairement affichées. Le design Peugeot de son côté a été confié en 2010 à Gilles Vidal, l’ensemble du design des deux marques, ainsi que la « ligne DS » étant sous la responsabilité de Jean-Pierre Ploué.

Depuis 2012 et sa nomination à la tête du centre de style Citroën, Alexandre Malval ne chôme pas. Avec ses équipes, la refonte de l’identité de la marque mais aussi – et surtout – la conception de nouveaux produits est extrêmement chronophage. Les renouvellements de la C4 Cactus (ce sera finalement un copieux restylage), de la petite berline C3 et de son cousin C3 Picasso, mais aussi de la future berline C4, s’ajoutent à la volonté de la marque à prouver sa légitimité sur le segment des voitures haut de gamme, avec celle qui deviendra l’éphémère C5X ci-dessous au stade de la maquette en Clay.

Tous les projets sont urgents, car depuis la scission d’avec la « ligne DS », la gamme Citroën a perdu un pan sensible de sa profitabilité, alors que la gamme vieillit. L’urgence, c’est bien sûr la petite C3 née en 2002. Le designer Cyril Pietton a vu son projet retenu pour ce programme qui sera commercialisé en 2016. La Citroën C3 Picasso, elle, est vouée à un tout autre avenir et deviendra la C3 Aircross ci-dessous.

Le problème du renouvellement de la C4 née en 2004 (dessinée en partie par Alexandre Malval mais illustrée ci-dessous par… Gilles Vidal) est plus complexe. Décision est prise de retarder son renouvellement car la situation du groupe PSA est jugée inquiétante. Frappé par la crise de la fin de la décennie 2000, le groupe français annonce le 20 novembre 2008 la suppression de 3 550 postes.

Cette décision douloureuse s’ajoute aux près de 15 000 départs qui ont eu lieu depuis l’arrivée du nouveau boss Christian Streiff. Ironie de l’histoire, c’est ce patron qui a poussé les plans produits de Peugeot et Citroën avec respectivement le développement des 3008, coupé RCZ – ci-dessous – et Citroën DS3. Dans ce contexte tumultueux qui perdurera jusqu’au début des années 2010, la Cactus doit endosser le rôle leader d’une offre crédible dans le segment des berlines compactes. La « vraie » future C4 attendra…

Le groupe français, comme tous les constructeurs de la planète, traverse donc une forte zone de turbulences, à tel point qu’une rumeur tenace s’amplifie : PSA serait sur le point de fermer une usine et celle de Rennes-La-Janais, aux portes de la ville Bretonne, serait le site concerné. Rennes produit alors les C5 et C6 pour Citroën. Il faudrait un produit miracle pour assurer un avenir à ce site de production. Ce produit, c’est celui qu’on n’appelle pas encore C5 Aircross…

Si le cas de la grande berline C6 sort de la zone des priorités, celui du renouvellement de la berline C5 fait débat. La remplacer en l’état ne semble pas être la solution. Il serait préférable de créer dans la gamme Citroën un véhicule inédit s’attaquant au marché en plein essor des SUV. A l’époque, l’étude de la C3 est sur de bons rails. Un projet inédit va donc bousculer l’ordre des renouvellements en cours. Ce sera un SUV de 4,58 m de longueur ci-dessous, concurrent du cousin Peugeot 3008 né en 2009 et qui sera renouvelé en 2016. Pour mener à bien tous ces projets pratiquement en parallèle, l’équipe de designers d’Alexandre Malval doit se renforcer.

De l’autre côté de la planète, à Osaka au Japon, le designer français Grégory Blanchet ci-dessous œuvre chez Daihatsu Motor Corporation dans la ville d’Ikeda. Il est entré dans cette société japonaise alors qu’il était encore étudiant lors de sa dernière année de master à Strate.

« J’ai passé trois mois incroyables lors de mon stage, c’est un monde fascinant. Chez eux, il faut passer par cette voie du stage car ils ont une culture d’entreprise un peu spéciale. C’est moins individualiste qu’ici en France. Ils veulent être certains qu’on entre dans le moule, mais ils prennent vraiment soin de nous ! Quand je suis revenu en France, j’avais encore une année à faire à Strate. Daihatsu m’a alors proposé de finir mes études chez eux. Pendant un an, j’ai voyagé entre la France et le Japon. J’ai réalisé ma maquette de diplôme là-bas et du coup, après le master, j’ai été embauché au Japon pour plus de 7 ans, jusqu’en 2013. »

Chez Citroën à cette date, Numéro 9 vient d’être présentée par Thierry Métroz. Grégory Blanchet se souvient « qu’en 2012, Nicolas Beauchamps (designer et cousin de Frédéric Soubirou) m’appelle et me dit qu’Alexandre Malval cherche du monde et qu’il veut voir mon portfolio lundi sur son bureau… on était vendredi soir ! Je n’y croyais pas trop, parce que chez Daihatsu, on vit plutôt dans un univers de petites voitures, mais j’ai envoyé mes dessins et j’ai été embauché ! » Le jeune designer français, marié à une Japonaise et parlant la langue nippone, habitué à dessiner des voitures que l’on gare facilement dans un mouchoir de poche, débarque en février 2013 chez Citroën.

Il va donner naissance coup sur coup au concept-car Aircross (2015) ci-dessus, à son dérivé de série C5 Aircross (2017) et au concept-car CXperience (2016). Que des voitures que l’on gare très difficilement dans un mouchoir de poche ! Fait plutôt rare, le concept-car Aircross va être dessiné et fabriqué en parallèle à la version de série. « J’ai remporté les compétitions de style pour les deux, concept et série, et tout a été fait en même temps. Je bossais avec un modeleur sur le concept et avec un autre pour le véhicule de série ! » Pour l’intérieur, on retrouve des signatures compétentes et reconnues : Jérémy Lebonnois (ci-dessous à droite avec Alexandre Malval et Jean-Arthur Madelaine-Advenier devant le projet CXPerience) aujourd’hui designer référent pour l’intérieur des futures Citroën et Raphaël Le Masson qui a rejoint depuis le design intérieur de Dacia.

On ne peut donc pas définir le concept-car Aircross comme un show-car mais plutôt comme une chrysalide aux côtés de laquelle est né le C5 Aircross de série. Ce concept-car casse les codes du SUV, suggère à la fois la puissance et la détermination et se remarque d’emblée par sa couleur et son intérieur coloré. Son identité s’inspire clairement du courant engagé par la C4 Cactus qui a été commercialisée un an auparavant. D’ailleurs, la communication veut appuyer sur ce thème en déclarant « qu’il y a une suite après C4 Cactus et le concept Aircross en fait l’habile démonstration. » Paradoxalement, c’est plutôt ce concept-car qui va entraîner, avec son identité renforcée, le langage formel de toutes les Citroën qui vont suivre.

Aircross sera d’abord présenté à Shanghai, car la marque Citroën a grand besoin d’un tel véhicule là-bas, et il sera produit en France en 2017. A Rennes-la-Janais, où aujourd’hui, la seconde génération (après le restylage de la première…) vient d’entamer sa production pour une commercialisation du nouveau C5 Aircross au cœur de cette année 2025. Lorsque le premier SUV compact débarque dans la gamme Citroën en 2017, la marque a perdu la « ligne DS » devenue une marque à part entière trois ans auparavant, mais a également stoppé la production de la berline C5. Une nouvelle histoire s’ouvre alors et va cette fois reposer sur une équipe de designers inédite dirigée par Pierre Leclercq qui succède à Alexandre Malval en 2018.

La marque française connaît ainsi un nouveau rebond, même s’il a fallu plusieurs années avant que la signature stylistique de Pierre Leclercq transparaisse dans les créations de la marque. Avec le récent renouvellement des C3, C3 Aircross et aujourd’hui C5 Aircross, la gamme peut compter sur une offre moderne. Si les C5 et C6 ont naguère été renouvelées par la C5X d’Alexandre Malval, il est clair aujourd’hui que le plafond de verre de la gamme française s’appelle C5 Aircross. Si Pierre Leclercq ne peut donc pas s’exprimer dans le haut de gamme, ce n’est pas le cas d’Alexandre Malval qui dirige aujourd’hui le studio de design avancé de Mercedes, à Sophia Antipolis avec à ses côtés un certain… Grégory Blanchet.

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