

Commercialisée en 1965, la Renault 16, d’après les notes de Gaston Juchet, « fut abordée de façon originale par la constitution d’une cellule pluridisciplinaire très compacte : le bureau d’études, la carrosserie-sellerie, les méthodes tôlerie et le Style. Cette cellule était managée par Claude Prost Dame, le directeur des études carrosserie. Une grande volonté d’innovation s’en était dégagée : côté de caisse mono-pièce d’une dimension inhabituelle, assemblage nouveau des brancards en rehaussant latéralement le pavillon pour améliorer l’accès dans la voiture, chauffage en nappe et structure de bas de pare-brise constituant la planche de bord, banquette arrière mobile longitudinalement pour moduler l’habitacle arrière et coffre à bagages, cinquième porte. Ajoutons que le délai d’étude et de développement fut particulièrement court. D’où un style clamant bien haut sa fonctionnalité, fort discuté à sa sortie, mais amorçant l’essor mondial du concept bicorps cinq portes. »

Ce premier grand projet mené par l’équipe de Gaston Juchet est également, comme le rappelle son fils Jean-Michel, « un alignement parfait des planètes avec le projet 115 qui remplace la 114 (une classique berline 4 portes assez désuète). Yves Georges, Claude Prost Dame et mon père étaient tous de la même génération et jeunes pères de famille. Quand Renault a stoppé le projet 114, Pierre Dreyfus leur a demandé de repartir d’une page blanche ! » Cette petite équipe s’est retrouvée dans une situation assez cocasse où elle a franchi le pas entre un projet extrêmement banal (le 114) et un programme extrêmement ambitieux et un peu risqué.

« Dreyfus voulait une voiture 1500 cm3 à tout faire » se souvient Jean-Michel Juchet. « Celle dont on a besoin. Une voiture moderne, pour la semaine comme pour le week-end et les vacances. » Pierre Dreyfus s’appuie plutôt sur une intuition car il faut rappeler qu’à la fin des années 1950, le département marketing-produit n’existait tout simplement pas !

Yves Dubreil (ex-directeur du produit Twingo) écrivit pour Renault Histoire que « Dreyfus part alors du constat de l’arrivée tardive de Renault sur un segment déjà occupé par Peugeot, Ford et Opel, avec des berlines tricorps classiques, assorties de breaks volumineux. L’analyse montre qu’il existe une clientèle potentielle plutôt jeune qui recherche une voiture polyvalente adaptée aux nouveaux usages des loisirs, de la résidence secondaire, des déplacements en famille ou encore du transport d’objets divers, et que cette clientèle ne veut pas renoncer à l’élégance et au confort d’une berline. »

L’énergie de l’équipe de trentenaires à la tête du cahier des charges fait souffler un vent nouveau. Avec une victime collatérale : Philippe Charbonneaux (1917-1998) qui s’est senti totalement hors-jeu. Ce dernier a œuvré pour Renault sur le programme R8, où il a apposé sa signature en forme de ‘C’ sur l’aile arrière. Pour le reste, il a tenté d’utiliser ses relations médiatiques pour s’approprier le dessin de la Renault 16, alors que tous les dessins des archives Renault ne relatent aucunement sa présence sur ce projet 115.

Dans le mensuel Rétroviseur daté de juin 2000, Gaston Juchet revient avec tact sur ce designer : « j’avais dessiné la R16, sous la forme que vous connaissez, quand un jour, Charbonneaux vient nous rendre visite. Regardant ce que nous avions fait, il explique que le flanc lui rappelle le P stylisé de son papier à lettres. Et à partir de ce moment-là, il a cru pouvoir laisser dire qu’il avait dessiné le flanc de la Renault 16. » Mais toujours aussi bienveillant, Gaston Juchet ajoute aussitôt que Philippe Charbonneaux « était un homme charmant, qui dessinait très bien d’ailleurs. » Jean-Michel Juchet explique aujourd’hui que « c’était une époque où il était surtout question d’ego. D’un côté il y avait Charbonneaux, le designer consultant, reconnu avec de l’expérience, et de l’autre mon père, jeune salarié de Renault. Le département style n’était pas structuré et vivait parfois des relations complexes avec le département d’études carrosserie. »

Tout a changé lorsque Fernand Picard a laissé son poste de directeur à Yves Georges. « C’est ce dernier que mon père va voir avec ses cartons à dessins alors qu’il est ingénieur, et c’est ce même Yves Georges qui l’adoube. » En 1963, Charbonneaux n’est plus consulté par Renault. Jean-Michel se souvient « qu’à partir de là, il n’a eu de cesse de dire que la Renault 16 était de lui. Mais cette affaire Charbonneaux a beaucoup touché et énervé notre père car il était tenu à la confidentialité et il ne pouvait pas s’étendre sur ce sujet dans les médias, ce qui n’était de toute façon pas dans son caractère. »

Si les dessins de la Renault 16 signés Gaston Juchet et datés de 1961 sont une preuve irréfutable de l’origine du concept, on ne peut évidemment pas dire qu’un seul homme est le père de cette berline révolutionnaire, comme le designer en convient lui-même dans ses notes, à propos d’un certain Luc Louis. C’est ce modeleur talentueux qui a permis aux études de Juchet de prendre corps à l’échelle 1/5 et même 1/1 pour certaines. Luc Louis va orienter certains détails, comme le pare-chocs arrière en forme de U (ci-dessus), vers des pistes différentes de celles choisies par Gaston Juchet.

Luc Louis modifie la structure de la poupe pour implanter des feux verticaux en prolongement de son pare-chocs inédit. Il est intéressant de s’arrêter un moment sur cet homme discret. Luc Louis a travaillé au bureau de style Simca dans les années 1950 avec, comme collègue, un certain… Robert Opron. Lorsque le studio Simca s’est vidé de sa substance, Opron est allé chez Citroën (ci-dessous, une esquisse du designer) et Louis chez Renault. Pas surprenant dès lors que l’idée d’une berline cinq portes fut dans l’air du temps chez Simca et d’autres constructeurs.

Et avec elle, cette fameuse jonction flanc-pavillon développée concomitamment chez Renault et Citroën (projet 115 chez Renault et projet F chez Citroën) et ce, sans que ni l’un ni l’autre ne le sache. Mais de toute évidence, les dessins datés de 1961 et signés Gaston Juchet mettent fin à toute idée de copie d’un côté comme de l’autre. Surtout lorsqu’on sait que Robert Opron n’est arrivé chez Citroën qu’en 1962, date à laquelle il se met au travail sur le projet AP (puis sur le F) ci-dessus. En cette même année 1962, Gaston Juchet dessine déjà l’architecture “pavillon/côté de caisse soudé” sur la future R16 comme on le voit ci-dessous.

Les innovations de Gaston Juchet ne manquaient pas sur ce projet 115 : travaux sur la face avant, études sur les ouvrants et sur le style intérieur également, notamment avec une ventilation inédite à diffusion par nappe sur toute la largeur de la planche de bord. Après quatre années d’études et de travaux d’industrialisation dans la toute nouvelle usine de Sandouville, positionnée sur l’axe Billancourt-Flins-Le Havre (ci-dessous), 600 exemplaires de la Renault 16 sont livrés aux concessionnaires.

L’accueil de la presse autant que celui des potentiels clients est plutôt enthousiasme. La qualité est saluée – la R8 Major avait montré la voie -, la fonctionnalité surprend, alors que le style parfois décrié car novateur, n’empêche pas la Renault 16 de démarrer une carrière qui va lui offrir quinze années de vie, puisqu’elle disparaîtra de l’offre en 1980, cinq ans après la commercialisation de son successeur, le vaisseau amiral Renault 30. La R16 fut élue voiture de l’année 1966 ci-dessous et devancera la… Rolls-Royce Silver Shadow et l’Oldsmobile Toronado.

Le journaliste Édouard Seidler écrira dans « Le Roman de Renault » (Éditions Edita) « c’est avec la R4 puis la 16 que la Régie a donné sa pleine mesure. Avec la R10 Major présentée la même année, la Régie dispose d’une gamme qui s’étend désormais de la 4 à la 16 en passant par la Dauphine, les différentes versions de la 8, de la 10 et la Caravelle. Les munitions ne manquent pas dans l’arsenal de Renault où l’on fourbit déjà les prototypes des projets 118 (future R6), et 117 (future R12). » Ci-dessous.

BONUS LIGNES/auto : le projet F de Citroën tué par la R16 ?

Le projet Citroën F ci-dessus est une compacte à 5 portes, 4 cylindres à plat ou Wankel à pistons rotatifs, suspensions métallique ou hydraulique, selon les versions. Les deux berlines (Renault 16 et Citroën F), qui n’ont pas le même gabarit, offrent un arrière incliné doté d’une cinquième porte. L’autre point commun est d’ordre industriel avec un système qui permet de pincer les côtés de caisse avec le pavillon pour les souder. Il en résulte deux épines dorsales, cachées par un jonc métallique sur la Renault, mieux intégré sur la Citroën.

Cette technique permet de se passer de gouttières et autorise une meilleure accessibilité aux places arrière et une meilleure garde au toit. Citroën s’étrangle en 1965 en découvrant la R16 dans la Presse, car toute la structure de son projet F repose sur ce principe de soudure ! Or, Renault a breveté ce système, pas Citroën ! Impossible dès lors pour ce dernier de l’utiliser sans verser d’importants droits à la Régie. Ce que le patron de Citroën, Pierre Bercot refuse évidemment !

Est-ce ce problème juridique qui a stoppé le projet F en 1967, deux ans après la commercialisation de la R16 ? « Le projet F a été stoppé alors que tous les outillages étaient commandés et certains déjà en place à l’usine de Rennes-la-Janais » nous confiait Robert Opron dans les années 1990. Il ajoutait que « lorsqu’on a découvert la Renault 16, on était sous le choc, même si je ne la trouvais pas très esthétique. Mais elle demeurait à mes yeux intéressante. Quant à l’idée du pavillon avec le jonc qui recouvre la soudure, c’était une idée de Prost-Dame chez Renault. Ce dernier et Flaminio Bertoni chez Citroën ont eu la même idée, conjointement. Ça arrive souvent. Est-ce qu’on peut dire pour autant qu’il y a eu des fuites de Citroën à Renault ? On peut toujours romancer… »
BONUS LIGNES/auto : le cabriolet et le break Renault 16

La silhouette break sur base de Renault 16 n’a pas connu de gestation poussée. Le programme 115 l’évoque pourtant, mais c’est plutôt la version coupé-cabriolet qui va intéresser Renault. Pour autant, Gaston Juchet propose plusieurs esquisses de ce break Renault 16. Ci-dessus, cette proposition est très typée avec une ligne ‘Z’ caractéristique et très Citroën Ami 6. L’esquisse ci-dessous, plus classique avec les portières arrière de la berline, propose des feux verticaux pour mieux dégager l’entrée de chargement.

Dès le mois d’avril 1962, un an après que les grandes lignes de la berline ont été définies, Gaston Juchet songe à une version découvrable du projet 115. Sur sa peinture, le styliste propose quatre optiques sur la calandre qui préfigurent déjà celles de la berline TX. Cette dernière adoptera des phares carrés et non pas rectangulaires comme le souhaitait Gaston Juchet. Ce projet de cabriolet se transforme rapidement en coupé, grâce à l’étude d’un hard-top rigide en 1963 ci-dessous.

Cette version va dans un premier temps séduire la direction qui pousse le projet jusqu’au stade de la maquette et du prototype échelle 1/1. Les dessins de Gaston Juchet montrent un coupé au long coffre plutôt horizontal. Ses peintures dévoilent un habitacle doté de deux banquettes confortables. Hélas, le coupé cabriolet Renault 16 n’ira pas concurrencer le coupé Peugeot 404. Il est vrai que la gamme Renault compte alors sur ses Floride et Caravelle, déjà présentes dans la gamme.

BONUS LIGNES/auto : Gaston Juchet et la ligne “Z”

La fameuse ligne “Z” est connue en France grâce à l’Ami 6 de Flaminio Bertoni, même si celle-ci a été dévoilée bien après la Ford Anglia sous nos contrées. Cette Ford avait donc déjà défloré ce thème stylistique. Un thème qui était visiblement dans (presque) toutes les têtes des stylistes, notamment chez Renault. Gaston Juchet travaille à la fin des années 1950 sur un coupé 2 places ci-dessus et 2+2 places ci-dessous, en parallèle du duo Caravelle/Floride qui vient d’être commercialisé.

Outre une recherche sur l’intégration ci-dessus du losange Renault dans la calandre (une recherche encore d’actualité, comme le démontre le concept-car Emblème), Gaston Juchet offre à sa création la ligne en “Z” qui dynamise le bloc arrière, où se loge la mécanique, sans doute sur la base d’une Dauphine ou de la future R8 de 1962. Sur ces esquisses, on note également la belle intégration des blocs feux arrière ou encore le mouvement dynamique de la ligne en “Z” qui se prolonge sur l’aile arrière.

