LIGNES/auto vous propose, en trois actes, le portrait surprenant d’un designer à la carrière tout aussi étonnante. Où il est question de dameuse, de concept-car Renault F1, de Dacia Duster ou encore de mobilité individuelle pour un vol plaisir dans un ciel tout bleu. Son parcours doit donner espoir – et envie – à tous les jeunes designers ou étudiants qui se posent des questions sur le chemin idéal à emprunter pour accéder à ce métier. L’histoire commence à Sofia, où Emmanuel Klissarov nait en 1980.
« Je suis né à Sofia et j’ai grandi en Bulgarie jusqu’à mes 10 ans. » Avec la chute du mur de Berlin en 1989, le Sofiote et sa famille quittent le régime communiste établit depuis le 9 septembre 1944. « Nous avons atterri en Autriche où j’ai pu apprendre l’Allemand, puis je suis allé à Montréal où j’ai appris le français, même si je le parle avec un accent canadien ! » Le jeune adolescent conserve quand même des souvenirs marquants de sa vie en Bulgarie. C’est même l’un d’entre eux qui va le guider sur la voie de designer…
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« En Bulgarie, j’ai grandi en montagne avec un centre de sport pour les étudiants de l’université de Sofia. J’y ai découvert les dameuses et toutes sortes de véhicules étranges. Ce sont les premiers véhicules qui m’ont marqué et donné envie de les dessiner, ma passion vient de là, avec les dameuses ! Et une fois en Autriche, j’ai continué le ski au milieu de ces engins ! C’est là finalement que tout a débuté. »
La vie d’Emmanuel Klissarov bascule à son arrivée au Canada en 1992, à l’âge de 12 ans. « Lorsque je suis arrivé plus tard au lycée à Québec, j’ai pu davantage m’intéresser au design et au dessin. Je dessinais toutes sortes de véhicules et on m’a alors conseillé de m’orienter vers le design industriel. » Après la Bulgarie, l’Autriche et le Canada, Emmanuel Klissarov va arriver en France dans des conditions un peu particulières.
« Après ma première année d’études à l’université canadienne, je vais essayer de m’orienter vers le design auto, mais l’université de Montréal n’était pas forcément la bonne orientation pour cet objectif. Il y avait les options de l’Art Center à Los Angeles ou le CCS de Détroit, mais les budgets étaient trop élevés pour moi. J’ai appris dans le même temps que l’école française Strate (ci-dessus) et l’université de Montréal avaient conclu un partenariat. Je pouvais donc aller faire une année à Strate, où j’ai pu toucher de plus près le design automobile et la formation adaptée. »
Le designer cosmopolite va très vite apprendre notre langue, tout en gardant des expressions québécoises : « je suis tombé en amour avec Paris ! » Et à Strate, un homme que LIGNES/auto connaît bien, va le guider. Il s’agit de Philip Nemeth (ci-dessus) « J’ai connu Philip qui était l’un des professeurs à Strate et il m’a beaucoup motivé, aidé et formé. Quand j’étais à Montréal, j’étais l’un des meilleurs à l’université, mais j’ai trouvé utile de sortir de ma zone de confort. Et à Strate, je me suis retrouvé avec des élèves bien meilleurs que moi ! Du coup, ça te force à élever ton niveau, à travailler davantage et différemment. J’ai progressé rapidement et j’ai cette année-là (en décembre 2005 NDA) gagné le concours de design qu’organisait le magazine l’argus. Tout a changé alors et j’ai pu sécuriser un stage chez Citroën pour 2006. »
« Trois mois après mon arrivé à Paris je gagnais ce concours ! C’était extraordinaire, je savais que j’avais la garantie d’avoir ce stage chez un grand constructeur et c’est de ça dont je rêvais ! » En 2006, le studio de design de Citroën est dirigé depuis six ans par Jean-Pierre Ploué. La C3, puis les C2 et C4 (ci-dessous) sont dans la rue et d’autres projets ambitieux sont dans les tuyaux. Un stagiaire est-il mis dans le boucle de ces travaux ?
« Chez Citroën, je suis sous la responsabilité de Cathal Loughnane qui était alors au design intérieur (1999-2009, avant de prendre la direction du Peugeot Design Lab et aujourd’hui chez Aston Martin, NDA). J’étais également supervisé par Mark Lloyd (ci-dessous à gauche) qui était aussi responsable de la sélection du jury l’argus. Citroën était assez fermé au niveau des stagiaires, on était dans un local un peu à part et de temps en temps, il y avait un designer qui venait voir nos travaux. On n’avait pas le droit de voir ce qu’il se passait, car il ne fallait pas que les projets en cours nous inspirent. On aurait sans doute suivi cette inspiration lors d’autres stages chez d’autres constructeurs… »
Un an plus tard, en 2007, cap vers un autre pays. Après la Bulgarie, l’Autriche, le Canada, la France, Emmanuel ajoute la Roumanie à son guide du routard ! Direction Dacia où il plonge au cœur même du centre de design roumain comme designer extérieur jusqu’en 2012. C’est alors que le grand patron du design Renault, Laurens van den Acker, le rapatrie en France, dans le centre de design de Guyancourt, tout près de Paris. De retour en France, Emmanuel va prendre une nouvelle dimension en touchant tout à la fois les produits de série, notamment chez Dacia, et poser sa patte dans l’univers des concept-car avec la Formule 1 du futur, la R.S. 2027 Vision – code ZF1 – dévoilée en 2017.
Ce travail est effectué dans une équipe dirigée par Stéphane Janin – équipe qui ressemble plutôt à un commando -. « J’ai travaillé sur un cockpit innovant et transparent, imprimé en 3D dans un matériau léger et résistant, en me basant sur les mensurations du pilote. Ainsi, il était possible de vivre la course pour le spectateur en observant au plus près les expressions du pilote. Son casque est également transparent, ce qui vous permet de voir son visage et d’observer ses réactions. Sur place ou à distance, vous êtes au cœur de l’action. La signature lumineuse en forme de ‘C’ alors identitaire de la marque a été incorporée dans le design aérodynamique de l’aileron avant. »
La même année, Emmanuel Klissarov -alors sénior designer extérieur -, remporte la compétition interne pour le dessin de la deuxième génération du Duster, actuellement au catalogue de la marque Dacia. « Les premières esquisses explorent une attitude très moderne et audacieuse. » Il est vrai que la marque, née low-cost, a ouvert son champ d’expression en termes de design, au plus grand bonheur des designers !
Cette période Renault, de 2012 à 2018 le verra également collaborer sur des travaux d’importance comme le Renault Captur II, où il sera finaliste du concours de design avec une proposition « qui adoptait une attitude audacieuse de frondeur, menée à bien à travers les différentes étapes du processus de design, de la 2D à la modélisation en argile à l’échelle 1/4 et à l’échelle réelle. » C’est cette plongée au cœur même des séquences de développement d’un produit de A à Z qui permet à Emmanuel Klissarov d’acquérir de multiples compétences…
Il est également finaliste sur le projet de l’Arkana. Mais au fait, être finaliste, cela correspond à quoi exactement ? « Un finaliste du concours de design influence en général plus ou moins fortement le modèle de production. Pour l’Arkana, ma proposition a commencé dans la phase 2D puis a rapidement évolué vers la phase de modélisation en Clay à l’échelle 1/4. Elle a abouti à une modélisation en Clay à l’échelle 1/1 et a finalement été partiellement mixée avec les solutions de concept des deux autres propositions internes. »
Son vrai fait d’arme chez Renault reste le Scénic de la dernière génération (avant le Scénic E-Tech de la période Gilles Vidal) ci-dessus dont les travaux débutent en 2012. C’est le dernier vrai monospace de l’histoire de Renault.
« J’ai beaucoup travaillé les proportions et le langage formel en cohérence avec la marque. Les premières esquisses exprimaient un dynamisme réel avec une silhouette qui respectait les proportions iconiques du monovolume. Le développement de la maquette en Clay à l’échelle 1/1 se basait sur le modèle de convergence développé par Jérémie Sommer. Il a pris une direction plus audacieuse lorsque le thème du design a été développé à l’échelle 1/4 puis a été affiné. »
Le modèle à l’échelle 1/1 du Scénic a ensuite évolué vers le design du concept-car R-Space présenté en 2011. À cette époque, Axel Breun est le responsable des concept-cars Renault. « L’avant vu de trois-quarts a conservé l’orientation initiale du design, en mettant l’accent sur la largeur de la voiture. »
En 2018, pourquoi ne pas ajouter l’Allemagne à son tableau de chasse ? Après la longue période Renault, Emmanuel Klissarov vise le constructeur Mercedes. « Mes projets chez Renault se sont très bien passés et j’ai pu obtenir six mois de congés sabbatiques pour faire le tour du monde avec ma compagne. Je pense qu’il est important de voyager pour stimuler la créativité et un tel voyage pouvait l’influencer. »
« Mais entre-temps, Tesla et Mercedes m’ont contacté. Personnellement, je voulais expérimenter le travail avec les Allemands, d’abord parce que je parle cette langue et aussi parce que j’ai trouvé que c’était important pour mon propre développement de carrière. J’ai donc choisi l’option Mercedes. » Pour autant, l’Allemagne ne sera pas la destination d’Emmanuel puisqu’il va revenir… en France !
A SUIVRE ICI, PARTIE 2 ET 3 : http://lignesauto.fr/?p=30955
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