Quand Giorgetto Giugiaro charmait Renault. Épisode #01 : la Renault 21.

Les collaborations nombreuses entre les studios de design privés italiens (Bertone, Ital Design, Pininfarina, etc.) ont débuté à partir des années 1950 pour Peugeot et Renault, et dans les années 1970 pour Citroën. C’était la belle époque des carrozzeria transalpines. Les services Produits des marques françaises imaginaient alors que de telles signatures prestigieuses étaient un atout pour elles.

La collaboration Peugeot-Pininfarina née en 1951 va perdurer jusqu’au milieu des années 2000. Ici le projet E30 de la 505 en juillet 1975, avec à droite, la proposition -mâtinée de 305- de Gérard Welter, et à gauche, celle de Pininfarina.

Peugeot a débuté sa collaboration en 1951 avec Pininfarina. Leur premier bébé fut la 403 aux formes classiques, dévoilée en même temps que la Citroën DS, en 1955. Une DS conçue exclusivement en interne, comme le sera son successeur CX en 1974. Citroën fera ensuite appel au carrossier italien Bertone (Marcello Gandini puis Marc Deschamps) pour œuvrer sur pratiquement tous les programmes de la marque : SM 4 portes pour une étude d’industrialisation, XM, ZX, Xantia, Saxo et même un coupé BX ci-dessous qui fut assez proche d’une mise en production au début des années 1980.

En 1982, le designer Marc Deschamps à la tête du studio de design de Bertone travaille sur le projet d’un coupé sur la base BX pour Citroën.

Pour Renault, l’affaire est un peu plus complexe. Comme ses concurrents français, la Régie Nationale des Usines Renault de l’époque a mis en marche une collaboration avec différents consultants italiens, notamment Ghia, dès les années 1950 (ci-dessous le projet Ghia pour remplacer la Frégate). Le studio de design ne compte alors qu’une poignée de stylistes (une dizaine en fait) et globalement, ils remportent à peu près tous les projets. Le style Renault fait parfois appel à des Italiens de renom, comme Coggiola et bien plus tard, G-Studio, pour la concrétisation de ses propres maquettes de style ou concept-cars.

Le projet 114 destiné à remplacer la Frégate. Il sera abandonné et le projet 115 qui le remplacera sera étudié en interne par Gaston Juchet pour devenir la R16 en 1965.

Il faudra attendre les années 1970 pour que l’empreinte italienne devienne plus conséquente dans le développement stylistique des programmes Renault. On pense souvent que Giorgetto Giugiaro et son entreprise Ital Design ont été abordés par Robert Opron, nommé en 1975 patron du style Renault. Robert Opron fut effectivement l’homme des collaborations extérieures, et pas seulement avec des designers italiens puisque des artistes, comme Mario Bellini furent temporairement impliqués dans des études Renault.

La Medusa de Giugiaro dévoilée en 1980 séduit Robert Opron qui le contacte dans la foulée pour le projet Renault 21.

Pourtant, ce n’est pas Opron qui a mis Giorgetto Giugiaro dans la boucle des consultants italiens dans les programmes de la Régie, mais bien Gaston Juchet et ce, dès les études du duo Renault 15 et 17. Le rival de toujours de Giugiaro, Marcello Gandini, fut quant à lui totalement adoubé par Opron. On doit à l’Italien des études tous azimuts, dont le plus grand nombre est resté sans suite. Le point d’orgue de la collaboration entre Gandini et Renault fut le camion Magnum (1990) et la Supercinq (1984) ci-dessous © Archives de Gautam Sen.

Ajoutons-y l’intérieur de la première génération de R5 Turbo (1980) et celui de la Renault 25 (1984). Cette collaboration avec Gandini s’est effectuée en deux temps : lorsque le maître italien était responsable du studio de design Bertone à Caprié, tout près de Turin, puis en tant que collaborateur privé et contractuel avec la Régie, à partir de 1979. L’année durant laquelle Gandini quitta Bertone, remplacé alors par Marc Deschamps en provenance du style… Renault où il est resté de 1976 à 1979.

Dans cette tentaculaire collaboration avec des signatures italiennes, Renault a misé sur deux stars du design des années 1970-1980, dont Giorgetto Giugiaro. On vient de lire que ce dernier a contribué dès les années 1970 aux programmes Renault sous la responsabilité de Gaston Juchet, directeur du style (ci-dessus à gauche avec Giugiaro)

Il a donc existé une période allant des années 1970 jusqu’à la décennie suivante, où Giugiaro et Gandini ont réussi à développer des programmes stylistiques Renault, sans être systématiquement concurrents : à Gandini la Supercinq et le Magnum, à Giugiaro les Renault 19 et 21 (ci-dessus maquettage).

Intéressons-nous justement dans ce sujet à l’apport de Giugiaro chez Renault au cours de la décennie 1980. Et notamment à la Renault 21 (ci-dessus), première de cordée, née en 1986 deux ans avant la Renault 19. Ital Design atteint à cette époque une notoriété extraordinaire. Les années 1970 ont permis à la structure italienne qui comprend ingénierie et design, de signer les récentes Volkswagen à succès (la Golf de 1974 notamment), des Fiat inoubliables (la Panda de 1980, ci-dessous) et surtout, d’attirer les constructeurs automobiles internationaux comme Hyundai. Giugiaro est bankable.

Au début des années 1980, douze ans après la création de ce qui deviendra Ital Design, l’Italien est contacté par Robert Opron pour contribuer au projet X48 de la future Renault 21, destinée à remplacer la Renault 18 née en 1978, tout juste deux ans avant. Le programme repose sur une toute nouvelle plateforme et les designers de Renault sont les premiers à dévoiler leurs maquettes.

On découvre tout d’abord celle de Michel Jardin ci-dessus. Le designer vient de terminer le projet du coupé Fuego, renouvelant le duo des Renault 15/17 dessinées par Gaston Juchet. La proposition de Jardin est d’ailleurs fortement influencée par son dessin de Fuego, mâtinée de Renault 25 avec une large bulle transformée en cours d’étude en un triptyque de verre à trois pans. La grande berline R25 est tout juste figée à cette date et sera commercialisée en 1984, deux ans avant la R21.

En concurrence interne avec Michel Jardin, Jean-François Venet propose non pas une mais trois silhouettes du programme X48 : une berline bicorps, un break (ci-dessus) et une berline tricorps (ci-dessous) plus classique. On reconnait la patte de ce grand designer dans ses dessins, dont l’un s’inspirera très fortement d’une esquisse effectuée lors de l’étude de la Renault 25; une esquisse enfantée par ses soins ! De son côté, Robert Opron pousse les designers d’AMC (American Motors Corporation) aux États-Unis pour qu’ils proposent leur propre vision.

Robert Opron a alors l’objectif de créer un centre de design Renault satellite aux USA. AMC fait alors partie du « groupe » Renault. La maquette américaine est rapidement écartée. Reste donc celles de Renault auxquelles s’ajoute très rapidement celle de Giugiaro. C’est cette dernière ci-dessous qui est finalement retenue. Un vrai traumatisme en interne car toutes les dernières Renault ont été dessinées en interne : R5, R20, R30, R14, Alpine A310, R18, Fuego, R9, R11, R25… A l’exception de la Supercinq de Gandini…

La maquette de Giugiaro est donc retenue pour le projet X48 de la Renault 21. Robert Opron explique dans le Bonus à la fin de ce post pour quelles raisons. Retenue, mais à deux détails près. Détails qui n’en sont pas sur deux plans : industriel, avec l’imposition par l’ingénierie des portes autoclaves, non présentes sur la maquette italienne, et l’autre sur le plan du pur design avec la refonte de la découpe du coffre de malle pour élargir visuellement la voiture, en plus de feux horizontaux (ci-dessous).

Giorgetto Giugiaro se contente de l’étude stylistique de la berline Renault, laissant la Régie s’occuper de son industrialisation. Et d’une remise aux cotes toujours un peu fluctuantes par rapport aux cahier des charges sur les maquettes italiennes. Outre le design interne de Renault, celui d’AMC et donc celui de Giugiaro, il est un quatrième larron qui se joint à la force de proposition sur ce programme X48 : Marcello Gandini. Grâce à Gautam Sen, grand spécialiste du designer italien, nous pouvons vous offrir ici la proposition de la Renault 21 vue par Gandini, ci-dessous. De toute évidence, elle a été réalisée alors que le thème de style de Giugiaro avait été arrêté. La maquette Gandini restera sans suite.

La maquette de la Renault 21 de Gandini est tout à fait dans le style prôné par l’Italien et reprend même les enjoliveurs présents sur d’autres projets en cours dessinés par Marcello Gandini, comme le SUV “Véhicule de Grande Randonnée” enfanté en 1980.

Le programme Renault 21 tombé dans l’escarcelle de Giorgetto Giugiaro, ce dernier amplifie son emprise sur le design interne, toujours avec la bienveillance de Robert Opron. Ainsi, alors que la Renault 21 n’est pas encore commercialisée, c’est au tour du programme X53 de prendre corps. C’est la Renault 19 qui doit remplacer le duo des Renault 9 et 11 et une fois encore, Giugiaro va remporter la mise car son design transpire « la qualité perçue », ce que désirait avant-tout Renault.

Dès 1983, Giugiaro tient à remercier la Régie avec un beau cadeau conçu entre les études des Renault 21 et Renault 19 : son concept-car Gabbiano (ci-dessus) conçu sur la base de la Renault 11 (appelé “11 SC”) et dévoilé au salon de Genève. Après ces deux succès, voilà que pointe à l’horizon le plus grand programme des années 1980 pour Renault : le renouvellement de la Renault Supercinq avec celle qui deviendra la Clio en 1990 et connue sous le nom de projet X57 (ci-dessous, dessin de Jean-Pierre Ploué).

Giugiaro est confiant. Sur la lancée des deux précédents projets remportés par ses équipes face à celles de Renault, il devient légèrement orgueilleux pour ce programme X57 (Clio de 1990). Et il va commettre une erreur qui va lui coûter la victoire. Ce sont les stylistes Renault qui vont reprendre l’ascendant en signant la Clio en interne. De quelle erreur est-il question ? Vous le saurez en lisant la deuxième partie de ce reportage avec la genèse de la première génération de Clio, et des documents inédits, où la future petite Renault va trouver une sacrée concurrente en interne, avant même d’être commercialisée : la Twingo (ci-dessous).

A suivre prochainement : “Quand Giorgetto Giugiaro charmait Renault. Épisode #02 : la Renault Clio.

BONUS N°1 : interview de Robert Opron en 1986 sur la Renault 21

J’ai eu l’occasion d’interviewer à plusieurs reprises Robert Opron, le responsable du style du groupe Renault dans les années 1980. Il est alors revenu sur le projet X48 de la Renault 21 après son départ de la Régie Renault en janvier 1986.

Robert Opron avec son habituel nœud papillon. A gauche, Jean-François Venet et à droite, Marcello Gandini et Gaston Juchet.

Au sujet de la collaboration entre le constructeur et Giorgetto Giugiaro, il expliquait que « je ne suis pas certain que ce soit une bonne chose de la cacher. Je crois qu’à notre époque il faut dire la vérité, elle n’est pas péjorative du tout car il est absolument normal qu’un grand constructeur fasse le point avec des carrossiers extérieurs. Le choix du style de la Renault 21 s’est porté sur la maquette de Giugiaro car elle correspondait le mieux aux objectifs du marketing. »

« On savait que c’était un véhicule de milieu de gamme et qu’il devait ne pas choquer, être dans la tradition des tricorps. » Mais des projets plus audacieux avaient été proposés en interne. « Oui, et il y avait même eu de très belles maquettes (ci-dessous celle de Michel Jardin) qui ont toujours été mal perçues dans les test-clientèles. Personnellement je ne suis pas du tout satisfait du choix final. Il y avait une partie du Produit et moi-même qui n’étions pas d’accord avec les objectifs. Nous pensions à la Renault 16, véritable succès de la Régie et nous imaginions que le futur milieu de gamme Renault devait être créatif et non jouer la tradition. Il devait être novateur et s’inspirer de l’état d’esprit dans lequel avait été créée la Renault 16. Nous avions fait dans cette logique de belles maquettes mais qui dans les tests n’avaient pas apporté de résultats satisfaisants, donnant raison à ceux qui voulaient la tradition. »

BONUS N°2 : la R21, d’abord conçue en bicorps !

On vient de le lire, le projet X48 de la Renault 21 a été remporté par Giugiaro. Mais le travail du bureau de style Renault a été laborieux. Michel Jardin, alors responsable d’un des deux studios de design Renault, rapporte dans les conclusions d’un séminaire daté d’avril 1986 que « le projet X48 a été lancé en juillet 1980 sur les bases d’un ancien planning et a subi l’incidence d’un changement de cap en phase finale de son développement. » Ce changement n’est pas anodin puisque jusqu’en juillet 1982 à l’occasion d’un premier gel de style, la voiture est une bicorps ! Pas moins de neuf maquettes 1/1 ont effectivement été mises en concurrence jusqu’au mois d’avril 1982 à l’occasion de la sélection de trois propositions pour le gel final de juillet. Ces trois propositions reposent sur l’architecture d’un bicorps. Les doutes s’installent, et finalement un nouveau gel de style est programmé en décembre 1982.

Michel Jardin se lance dans une série d’esquisses et de dessins du projet X48 (future Renault 21) avec comme concept de base, une berline bicorps.

Les maquettes bicorps sont toujours présentes et pourtant, c’est le choix de la berline à coffre (une tricorps) de Giugiaro qui est acté ce jour-là. Michel Jardin note dans sa conclusion que « la forme définitive de la Renault 21 sera figée début octobre 1983 » soit trois ans avant la commercialisation. Dans le cas du programme de la Renault 21, le concept architectural entre une berline deux volumes et une berline à coffre classique n’était pas clairement défini au lancement du projet. Surprenant ! Ironie de l’histoire, la Renault 21 a également été produite en version bicorps à hayon, une solution qui est dans l’ADN de la marque depuis la Renault 16.

BONUS N°3 : pas d’avance de phase non plus pour la R19

Le choix de style retenu en juin 1986 pour le projet X53 de la Renault 19 est celui de Giugiaro. La maquette italienne mena son combat face à la proposition interne signée Jan. Michel Jardin précise que « la maquette de Giugiaro a dû être refaite pour correspondre au cahier des charges. » Le style s’est arraché les cheveux pour définir la version finale. Michel Jardin note alors que « le style choisi a dû être réinterprété pour répondre aux impositions du plan carrossier. Les délais de réalisation de maquettes de style en plâtre avec les traités Unisurf sont insuffisants pour aboutir à un résultat parfait. Dans les ateliers de style, c’est la course permanente en vue de la date imposée au détriment de la qualité. »

Dessin de Thierry Metroz du projet X53 de la Renault 19. Elle sera commercialisée en 1988.

« Au bureau d’études, les dessinateurs Unisurf ont des problèmes d’interprétation de ce système numérique pour définir les bonnes surfaces, surtout pour des styles de plus en plus modelés. Au final, les modèles Unisurf ne sont pas fidèles au style déterminé, d’autant plus que des modifications de dernières minutes ont dû être interprétées directement au dessin, faute de temps, sans passer par le stade maquette. » On comprend que choisir un style d’un consultant renommé ne veut pas dire que le projet ne demande aucun effort côté Renault ! Pour autant, la qualité de fabrication de la Renault 19 marque une rupture avec les précédents produits de la Régie et cette berline compacte (1988) sera un vrai succès !

A suivre prochainement : “Quand Giorgetto Giugiaro charmait Renault. Épisode #02 : la Renault Clio.

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