Dossier Architecture et Automobile. Partie 2 : la Citroën ‘Cavrois’ inspirée par Mallet-Stevens

Dans cette seconde partie de notre dossier “Architecture et automobile”, nous vous invitons au cœur de notre passion commune : le design automobile et l’impact qu’une architecture des années 1930 peut avoir sur la conception d’une Citroën familiale pour demain. Voici un lieu emblématique, un projet automobile bien pensé pour la famille et un architecte français à redécouvrir…

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette architecture des années 1930, qui a servi d’inspiratrice à ce projet automobile, n’a pas été dessinée par Le Corbusier. Ce dernier avait pour habitude de placer devant ses créations une Avions Voisin pour les photos de propagande. Non, il s’agit cette fois d’une villa (ci-dessus) d’un autre architecte tout aussi talentueux – et rival de Le Corbusier bien que les deux s’estimaient – qui a même une rue à son nom dans le 16e arrondissement de Paris (voir dans les Bonus) : Robert Mallet-Stevens (1886-1945).

Cet architecte français crée à la fin des années 1920 le mouvement Moderne des concepteurs qui réinterprètent le courant des Arts Décoratifs en l’imprégnant des nouvelles technologies et des nouveaux matériaux alors en vogue. C’est en 1929, à la demande de la famille Cavrois, que Robert Mallet-Stevens débute ses travaux d’architecture intérieure et extérieure d’une villa somptueuse de 2500 m2 habitable, située à Croix, tout près de Lille. C’est tout simplement la Villa Cavrois. Elle transpire cet esprit moderniste des années 1930 qui fait suite aux années folles, et elle a heureusement été restaurée in-extremis alors qu’elle était dans un état pitoyable (voir notre Bonus à la fin de ce post).

Cette Villa a été inaugurée en 1932, et c’est elle, avec ses volumes de type demi-lune contrastant avec ses verticalités, ou encore ses contrastes de matières et de couleurs, qui a séduit – 92 ans après sa naissance – deux étudiants en design transport de l’école Rubika de Valenciennes : Maxime Cettier pour le design extérieur et Thomas Leggett pour le design intérieur. Ils se sont attelés à un projet de familiale Citroën largement inspirée de la création de Mallet-Stevens.

Ci-dessus, une rapide synthèse de quelques éléments typiques des créations de l’architecte français qu’on retrouve sur le projet du duo Cettier-Leggett. En 1, les balayages horizontaux et contrastés réinterprétés à la base du pare-brise. En 2, les volumes en demi-lune et en 3, la teinte des briques et l’ambiance des bassins de la Villa se retrouvent avec cette illustration de la Citroën Cavrois.

Le deuxième thème d’étude de Maxime Cettier adopte les forme en demi-lune vues dans la Villa mais dispose encore d’un vitrage latéral classique.

Qui sont ces designers en herbe ? Maxime et Thomas, tous deux âgés de 24 ans, ont passé leur diplôme en fin d’année dernière. Maxime explique “qu’on était dans la même classe et on se connait depuis quatre ans. En fin de cinquième année, Thomas avait le projet de cet intérieur inspiré de la Villa Cavrois. Je l’ai rejoint comme designer extérieur, car nous avons été fortement inspiré après une visite de la Villa.” Le tout, en parallèle à leurs travaux d’études. En perruque en quelque sorte !

Le troisième thème est le bon : les passagers arrière disposent d’une vraie attention pour qu’ils découvrent le paysage avec un point de vue extraordinaire sous la forme de grands hublots.

Thomas Leggett nous explique “que j’ai d’abord visité la Villa Cavrois comme étudiant d’école d’art, mais on a tous les deux été touchés par la façon dont la maison a été pensée et par ce que l’architecte a voulu concevoir d’une manière très avant-gardiste. Même si elle date de 1932, elle reste encore aujourd’hui très moderne et fonctionnelle pour une grande famille.”

On a découvert un design très géométrique et j’ai personnellement été inspiré par la phrase qui est à l’entrée. L’architecte Mallet-Stevens écrit qu’il a conçu cette maison en pensant à la famille, et ça m’a ramené à la voiture familiale que mes parents possèdent toujours. J’ai donc conçu ce projet d’abord pour la famille, et Maxime m’a rejoint immédiatement car nous avons tous les deux une sensibilité architecturale.

L’architecture, qu’elle soit inspiratrice avec la Villa Cavrois ou technique, fait donc partie intégrante du projet. Maxime Cettier confirme que “nous ne voulions pas ‘dessiner’ une voiture mais la ‘construire’ dans ses volumes extérieurs et intérieurs. La phrase de Robert Mallet-Stevens inscrite dans la Villa explique que ce qui l’avait intéressé dans la famille Cavrois, c’est son goût pour les choses originales, l’enthousiasme pour la vie, et donc de construire la maison en fonction de ces envies familiales. Avec Thomas, nous avons été guidé par cette formulation pour notre projet.” On note avec cette vue rapprochée ci-dessous que Maxime Cettier a pris à bras le corps le concept de la familiale en imaginant une ouverture de porte accessible aux enfants avec une commande intuitive au pied et un grand logo “PUSH”. Et l’originalité de ce design extérieur provient des deux hublots destinés aux passagers arrière…

Thomas Legget, pour le design intérieur, a joué avec ces hublots inédits : “ils sont en verre avec une projection d’un éclairage indirect à bord, comme les éclairages indirects voulus par Mallet-Stevens dans la Villa Cavrois. Ils intègrent aussi une veilleuse de nuit pour les enfants… ” Tous deux sont d’accord pour dire que cette ouverture “offre un regard poétique vers l’extérieur, comme dans une cabine de bateau où l’on se délecte de la vision de la mer et qui nous plonge dans un univers de voyage. On voulait retranscrire ce sentiment et offrir aux enfants un nouveau regard sur le monde extérieur.

Maxime s’est focalisé sur le design extérieur en s’inspirant librement des travaux de l’architecte français, notamment “en respectant la géométrie verticale, les balayages horizontaux et les volumes semi-ronds. Je voulais mettre l’accent sur le rang-2 pour que les enfants aient une bonne visibilité vers l’extérieur et voient défiler le paysage avec gourmandise. D’où l’idée du hublot retravaillé.

Au-delà de cette signature forte des hublots latéraux, Maxime Cettier – designer extérieur du projet -, a construit “les volumes de la voiture en prenant en compte la forme des demi-cylindres récurrente dans l’architecture de Mallet-Stevens, que ce soit à l’extérieur ou l’intérieur de la Villa Cavrois, avec notamment l’espace dédié à la cheminée. J’ai ensuite dessiné les volumes en 3D et joué avec eux pour aboutir à trois propositions. On a choisi avec Thomas celle où le design s’appuie sur un concept monocorps et monospace pensé pour la famille.

La teinte de la sellerie des sièges rappelle celle des meubles dessinés par l’architecte Mallet-Stevens pour la Villa Cavrois.

A bord, les thèmes architecturaux ou encore ceux des couleurs sont respectés à la lettre par Thomas Leggett. “La signature extérieure avec ce hublot est très intéressante à magnifier à l’intérieur. J’ai repris les clins d’œil iconiques des monospace et je les ai réinterprétés d’une manière plus architecturale avec un vrai idée de mobilier.” Ci-dessous, on devine que la vitre ronde du hublot reçoit à sa base un espace pour des livres alors que le rangement inférieur prend la forme d’un véritable petit meuble, avec ses portes coulissantes.

On a beaucoup travaillé sur la lumière à bord, outre celle apportée par les deux vitres rondes latérales. Elle ne vient pas directement éclairer les passagers mais vient d’abord se refléter dans les volumes des médaillons de portières. Ces dernières reprennent également les formes thématiques de la villa Cavrois. Un éclairage est également présent dans les petits meubles de rangements pour les enfants.

Évidemment, Thomas s’est également focalisé sur les sièges car “ils sont l’élément le plus importants et je les ai conçus avec des formes arrondies jusqu’en partie supérieure pour que les enfants puissent venir poser leur tête dessus. Je les ai modifiés lorsque Maxime a trouvé l’idée des hublots latéraux afin d’améliorer la transition entre l’intérieur et l’extérieur.” Maxime précise de son côté “qu’on a également maximisé l’espace à bord grâce à un package de base inspiré du Renault Scénic E-Tech.

Un volant monobranche, évidemment !

Dernière remarque : pourquoi ce projet est-il une Citroën ? Le constructeur s’est-il engagé auprès des deux designers ? “Non, pas du tout” clament-ils. “C’est une choix personnel !” Sans doute inspiré des voitures familiales… Et pourquoi ne pas avoir poussé le thème de l’éclairage indirect qu’on trouve à bord jusque dans les optiques et feux pour le design extérieur, avec une signature lumineuse inédite ? Maxime explique “qu’au début de mes recherches, je voulais reprendre la forme en demi-cylindre pour les optiques, mais ça reste une piste à explorer !

Les coffres de rangement sont traités comme de véritables meubles.

Cette Citroën Cavrois se situerait dans la gamme Citroën à hauteur de la prochaine C5 Aircross… Mais avec une vision plus joyeuse et plus proche encore de la famille, avec un habitacle qui fait la part belle au rang-2 souvent négligé. Ces deux jeunes designers, diplômés, sont prêts à s’investir sur tous projets automobiles avec leur approche très singulière . “Allo ? Pierre Leclercq, ici LIGNES/auto, vous me recevez ?

BONUS : l’architecte Robert Mallet-Stevens et la Villa Cavrois

Pour tous ceux qui aiment se plonger dans les archives, tels des archéologues à la recherche d’indices, Robert Mallet-Stevens n’est pas le plus aimé : il a effectivement demandé à ce que ses archives soient détruites après sa mort. Cet architecte n’a cependant pas pu effacer de la mémoire collective son passé de décorateur de cinéma pendant les années folles, et notamment pour le film de Marcel L’Herbier (L’Inhumaine en 1923 ci-dessous). Ses décors posent déjà les fondations de ses architectures futures, car les commandes de villas – parfois appelées… châteaux – affluent de la part de personnalités de l’époque, comme le couturier Paul Poiret.

Robert Mallet-Stevens pose les base de son travail que le site designluminy.com exprime ainsi : “les notions de proportion, d’expression, de jeux de reliefs sont autant de découvertes plastiques qui appartiennent au domaine de la géométrie, la base même de l’architecture, aimait-il à dire. Toute son œuvre en est imprégnée, quel qu’en soit l’échelle, des verres à liqueur, cubiques, jusqu’à ses grandes réalisations comme la villa Cavrois ou le palais de la Lumière à l’exposition de 1937.”

Des années 1920 aux années 1930, la griffe Mallet-Stevens demeure la même, qu’elle s’exprime dans les décors de cinéma – en 2 ci-dessous- ou dans sa propre rue à Paris –en 1– Mais d’où vient son nom ? Du Belge Guillaume Mallet, son père (un expert de l’art) et de sa mère, Stevens. Il va même jusqu’à raccourcir son prénom, passant de Robert à “Rob” comme on le voit ci-dessus dans sa signature sur l’un des murs de la rue qui porte son nom dans le 16e arrondissement de Paris.

Le vocabulaire architectural de la rue Mallet-Stevens date de 1926-1927. C’est lui qui va se retrouver omniprésent dans les œuvres du français, et notamment lorsqu’il est contacté par la famille Cavrois pour l’étude de la Villa éponyme, à Croix, à quelques kilomètres de Lille. L’élévation de cette villa est tracée à main levée selon une figure géométrique – ci-dessous – à partir de laquelle la bâtisse s’épanouit. Selon designluminy, “elle présente la composition de la façade Nord qui est construite sur une symétrie parfaite dont l’axe se superpose à l’axe de la porte. Cette dernière dessine un carré parfait alors que la verticale de la tour déporte la composition vers l’aile droite, plus courte que la gauche. La symétrie générale est rachetée par le jeu des terrasses et les deux escaliers latéraux symétriques sur lesquels s’arrête le tracé.” Si vous visitez la Villa Cavrois (https://www.villa-cavrois.fr/) vous ne la regarderez plus du même œil…

Et si vous la visitez, sans doute découvrirez-vous son incroyable histoire. Cette villa, comme d’autres signées de la main de l’architecte français, a connu un destin funeste. C’est une miraculée ! Cette bâtisse extraordinaire a été abandonnée puis dépouillée à la fin des années 1980 puis sauvée de justesse après avoir été protégée par les monuments historiques. S’ensuit alors une vaste opération de restauration à revivre ici : https://www.youtube.com/watch?v=jsYQYjug6eQ

Et évidemment, si vous passez par la Capitale, n’hésitez pas à vous rendre dans la rue Mallet-Stevens. Une rue assez courte qui met en avant les principes architecturaux et de géométrie que l’architecte a suivi tout au long de sa vie. Ci-dessus le bâtiment qui ouvre cette rue : l’hôtel particulier de Joël Martel de 1927 et photographié cette année par l’auteur. Pour en savoir plus : https://www.unjourdeplusaparis.com/paris-insolite/rue-mallet-stevens-triomphe-de-la-ligne-droite

Merci à Maxime Cettier et Thomas Leggett pour leur disponibilité (contact.maximecettier@gmail.com et contact.thomasleggett@gmail.com)
Pour aller plus loin sur le sujet Mallet-Stevens : http://www.malletstevens.com/oeuvre.htm

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