Non, l’A390 n’est pas le premier crossover Alpine !

Ce sujet s’adresse aux amoureux de la marque Alpine qui doutent. Ou ceux qui hurlent aux loups de voir débarquer Alpine dans l’univers du crossover avec la toute prochaine A390 qui sera dévoilée le mardi 27 mai. Les lignes et photos qui suivent vont tenter de les convaincre qu’il y a beaucoup de traces de crossover dans l’ADN de la marque sportive, née du travail acharné de Jean Rédélé ! La preuve en images.

Le mardi 27 mai prochain, le voile va se lever officiellement sur la première Alpine 5 portes, 5 places, 100% électrique qui revendique déjà un plaisir de conduite aussi intense qu’au volant de l’A110. Un événement dans l’histoire automobile française. Cette Alpine, c’est l’A390 – ci-dessous – et, ironie de l’histoire, elle arrive exactement 30 ans après la mort de la marque, voulue par le président Renault de l’époque, Louis Schweitzer. C’est un sacré pied de nez, et cette A390 est un projet que l’on n’imaginait même pas lorsque la marque, tel un Phoenix, a fait son retour sur le marché en 2017.

Que l’on n’imaginait pas ? Vraiment ? Pas sûr… Il est vrai que la renaissance d’Alpine désirée par Carlos Tavares alors qu’il œuvrait encore avec un losange sur le cœur (!) n’a pas été des plus simples. Si certains n’acceptent pas la simple idée d’une Alpine 5 portes typée crossover, qu’en aurait-il été s’ils avaient découvert la nouvelle Alpine A110 à… moteur avant (ci-dessous, le projet W19). Car, oui, l’Alpine A110 actuelle aurait pu devenir une berlinette à moteur avant. Impensable ? Non, puisqu’une maquette et des études ont été réalisées sur la base de… la Nissan Z. Alliance et coûts maitrisés semblaient orienter le projet de la future berlinette vers cette architecture.

Axel Breun et Thierry Métroz (alors chez Renault) devant la maquette pleine de la future A110 basée sur la plateforme à moteur avant de la Nissan Z. Le projet date de 2007.

Cette proposition aurait donc pu achever définitivement les passionnés de la marque, même s’il faut reconnaitre que les designers avaient réussi le tour de force de respecter l’esprit berlinette… sur une base technique pourtant inconcevable. Si la maquette ci-dessus prouve que l’étude n’en est qu’à ses débuts, notamment avec des jantes qui ne sont que des impressions “papier”, celle ci-dessous dévoile le projet W19 au cœur même du centre de design à Guyancourt, avec cette fois une maquette plus aboutie et visiblement semi-creuse. On relève quand même que le capot arrière (qui n’abrite pas le moteur mais vos valises) est flanqué d’un énorme losange Renault. Si l’esprit Alpine semble y être, la marque en elle-même est tout bonnement absente.

En coulisse, la renaissance d’Alpine n’est pas un long fleuve tranquille. Le projet ne tient pas la route. L’orientation est donnée vers l’architecture à moteur arrière respectueuse de l’ADN A110. Ouf ! Mais tout n’est pas gagné pour autant, car au sein du groupe Renault, il existe une entité Renault-Sport qui semble (logiquement ?) prioritaire et travaille au début des années 2010 sur un projet lié, de près ou de loin selon dans quel département on se place, à l’esprit Alpine.

En 2014 effectivement, soit cinq ans avant la révélation de la nouvelle Alpine A110 cette fois dotée de son architecture à moteur arrière, Renault envisageait de présenter le programme E EA, ex-RS1 (ci-dessus) au salon de Genève. Ce roadster deux places était donc une Renault et plus exactement, une Renault-Sport sensée renouveler l’esprit du Spider Renault-Sport né presque dix ans plus tôt.

Comme on le découvre avec le document inédit ci-dessus, la période fourmille de projets aptes à relancer l’esprit Alpine, mais pas vraiment la marque, puisque le logo Renault-Sport prévaut. Il faudra attendre le plan Renaulution de Luca de Meo de 2021 pour cette relance inespérée. A l’époque du tableau ci-dessus, le concept-car Alpine qui célèbre les 50 ans de l’A110 est concomitant à l’étude du fameux roadster E EA, ex-RS1. Tout ceci alors que la première berline signée de la nouvelle équipe dirigée par Laurens van den Acker doit être révélée en 2012 : la Clio connue sous le nom de code B98. Nous sommes en amont de l’année 2012 et encore très loin de la définition de la nouvelle A110 de 2017 ci-dessous, connue sous le code AS1… Il se sera ainsi passé dix ans entre le projet W19 et la présentation de l’A110.

Vous argumenterez avec une certaine logique que tout ceci n’a rien à voir avec l’univers du crossover. Détrompez-vous ! L’arrivée de Laurens van den Acker à la tête du design Renault en 2010 est l’occasion de découvrir sa stratégie de lancement de six concept-cars (la fameuse marguerite) autour de six étapes de la vie, de l’amour jusqu’au travail en passant par les loisirs. Et parmi ces concepts, le deuxième s’oriente vers un SUV dynamique qui prendra le nom de Captur dévoilé en 2011 à Genève.

Julio Lozano, le designer extérieur de ce concept-car (dessins ci-dessus) expliquait alors que « pour dessiner Captur, je suis parti de l’image d’un sprinter dans les starting­blocks, avec ses muscles tendus, et la puissance dégagée lorsqu’il s’élance » Sportif, le concept-car connu sous le code ZH25 l’est assurément avec son bloc de 1.6 l dopé par deux turbos et développant 160 ch et son style est musclé ! Ce qui fera dire plus tard à Axel Breun, « qu’il aurait été une super-Alpine SUV ! » Et voilà, nous y sommes : l’esprit crossover Alpine transpire dans cette Renault laboratoire… La preuve ci-dessous avec ce dessin d’étude du concept-car flanqué non pas d’un losange mais bien du nom Alpine. En 2011, tout ceci reste un tantinet brouillon, car entre Renault, Renault-Sport et Alpine, le choix radical n’est pas encore opéré.

La situation est d’autant plus complexe que Renault Sport ne se prive pas d’étudier toutes sortes de concepts exprimant à la fois le dynamisme, l’audace et… l’esprit crossover. Ainsi, six ans avant la présentation du Captur, badgé Renault et non Alpine, Renault-Sport travaillait sur le projet W16 d’un coupé sportif 4 places à moteur central (!), au caractère SUV totalement assumé, ci-dessous.

Ce coupé inédit à l’architecture audacieuse révélée dans ce document inédit ci-dessous offrait des proportions surprenantes. Certes, les deux places arrière étaient contraintes entre les deux occupants avant et le groupe propulseur dans leur dos, mais elles étaient bien présentes. La longueur de 4,19 m était extrêmement compacte et visiblement, le pavillon était constitué d’une toile s’ouvrant sur pratiquement toute la longueur pour offrir encore plus de sensations.

Son cahier des charges était extrêmement ambitieux et anticipait surtout le développement futur du SUV sur le segment des compactes sportives. Ainsi, le W16 est une 2+2 places, son moteur est en position centrale arrière et son style use des codes du SUV. Dix ans avant la déferlante de ce type de silhouette, Renault tient un joli concept. Dans l’édition spéciale de la revue de « l’Alpine Renault Club Pays Bas » (n°92, alpinerenault.nl), Axel Breun dit de ce projet qu’il « est comme une petite Porsche Macan avec un capot très court. J’ai déjà travaillé sur une Alpine SUV en 1989 avec un pare-brise panoramique qui en disait long sur mon amour pour la Stratos. La maquette du projet W16 est encore sur mon bureau, toujours attractive ! »

Le thème du crossover est entré avec fracas dans les projets de Renault-Sport. Mais il n’est pas encore question d’Alpine… Pour cette dernière, c’est d’abord la renaissance du modèle mythique de la berlinette en 2017. Ce fut donc, côté design, sous la gouvernance de Laurens van den Acker. « C’est pour moi une belle réussite, une sorte de symbole ! Franchement, je n’aurais jamais imaginé faire une Alpine quand je suis arrivé, c’est un vrai bonus. » La restructuration de 2014 permit à Antony Villain de prendre en charge le design de la Berlinette de 2017, annoncée par l’équipe d’Axel Breun avec l’A110-50 de 2012. Le directeur général de Renault, à l’époque Carlos Tavares, la pilota à Monaco !

On pouvait désormais évoquer Alpine sans que les dents ne grincent en interne. Mais il y eut quand même quelques craintes la même année lorsque le concept-car de la première marguerite – DéZir -, fut esquissé avec certains croquis officieux portant le logo Alpine ! « On ne va quand même pas braquer l’entreprise ! » suggéra Laurens van den Acker à son responsable des concepts, Axel Breun. Ce dernier renonça donc à l’idée de peindre le concept DéZir en bleu Alpine !

Lorsque la nouvelle A110 est enfin révélée pour une commercialisation en 2018, l’équipe Alpine n’a pas l’intention de ranger ses tablettes graphiques. Elle imagine déjà un concept architectural d’une version SUV de l’A110, avec les codes stylistiques de la berlinette mais dotée une architecture rehaussée et surtout, avec quatre (ou cinq ?) places et quatre (ou cinq ?) portes. Alpine songe donc très sérieusement à la fin des années 2010 à une silhouette complémentaire au programme AS1 : le crossover dévoilé ci-dessous, une sorte d’A390 avant l’heure.

Voici la maquette échelle réduite d’un crossover Alpine conçu sur le thème esthétique de l’A110 au moment du lancement de l’actuelle berlinette. L’A390 se dévoilait en filigrane !

Cette ambition de porter l’A110 vers d’autres terrains de jeu s’exprime même au travers un modèle spécifique et unique, l’A110 SportX (ci-dessous) révélée au Festival International Automobile 2020. Sa carrosserie est élargie de 8cm et sa garde au sol de 60 cm. Inspirée des A110 qui défiaient la concurrence sur les rallyes enneigés, la SportX relance l’idée d’une silhouette crossover. Mais en janvier 2020, le groupe Renault n’est pas dans ce que l’on peut appeler une grande forme. Les suites de l’arrestation de Carlos Ghosn au Japon en novembre 2018 ont secoué l’Alliance et le groupe Renault est à la recherche du Messie pour prendre les rênes de l’entreprise.

Paradoxalement, c’est grâce à l’arrestation de celui qui ne s’est pas opposé à la relance du modèle A110 de 2017 qu’Alpine va voir son destin chavirer ! Le 1er juillet 2020, Luca de Meo remplace Ghosn et accède au poste de directeur général de Renault Group. Il jette les bases de son premier plan de restructuration : Renaulution. Il sera présenté en janvier 2021 avec plusieurs annonces chocs. Renault va produire une R5 électrique, Dacia va voir plus grand avec le Bigster et le groupe reposera désormais sur quatre entités : Renault, Dacia, Mobilize et… Alpine. La stupéfaction des fidèles de Renault-Sport est à la hauteur de l’événement. Le label “RS” est englouti dans cette révolution et Alpine remplace Renault en F1… Place à Alpine qui va même s’immiscer dans la gamme Renault en finition “Esprit Alpine”. Clap de fin pour Gordini et Renault-Sport.

Alpine devient une marque à part entière, au même titre que Renault ou Dacia. Mieux, le plan expose déjà les ambitions d’une gamme 100% électrique avec dans un premier temps trois modèles, dont un crossover, l’A390 que l’on va découvrir à la fin de ce mois. C’est le Dream Garage. Depuis, il a compté jusqu’à sept voitures. Pour l’heure, les six modèles officiels ci-dessus sont les deux A110 électriques (berlinette et roadster), la version 2+2 A310, l’A290 sur base R5, le crossover A390 et un crossover plus ambitieux en taille, l’A490 (ou A590 ?) Ce dernier pourrait viser le marché américain en plus des marchés asiatiques, mais le contexte géopolitique évoluant de jour en jour, il faut patienter pour confirmer ce type d’information.

Pour ces modèles sportifs A110, A110 roadster et A310, Alpine a conçu sa propre plateforme APP qui aurait depuis évolué vers un concept multi-énergie. La collaboration avec Lotus qui avait été envisagée au début du programme Renaulution ayant cessé, la plateforme sera donc une 100% Alpine. Pour rentabiliser au mieux cette plateforme, le plan produit accueillerait un septième produit sur cette base plutôt que sur celle d’une plateforme Renault (comme pour les A290 et A390).

BONUS : ces deux projets de SUV nés Alpine dans les années 1970-1980

Le VVA pour Véhicule Vert Alpine a été pensé au cœur des années 1970 et dessiné par Michel Jardin. Ce designer qui fut ensuite le responsable des concept-cars Renault jusqu’en 2006 imagine un concurrent du Matra Simca Rancho produit dans l’usine de Romorantin et basé sur une plateforme de Simca 1100 fourgonnette. Le VVA va permettre notamment des études d’implantation des sièges à bord qui vont bénéficier par la suite au projet de l’Espace de 1984. Rien ne se perd…

Mais l’accord commercial signé entre Renault et AMC le 31 avril 1978 met à mal le projet VVA qui devait être produit à Dieppe. Cet accord prévoit, outre la vente de la R5 “Le Car” et la fabrication de modèles Renault en Amérique, la vente de modèles Jeep en Europe. Le VVA deviendrait alors un concurrent interne peu souhaitable… Qu’à cela ne tienne, le projet est transformé en VGR, pour Véhicule de Grande Randonnée.

Plusieurs collaborateurs en interne ou en externe à Renault vont œuvrer sur ce programme, comme Marcello Gandini (ci-dessus avec un intérieur réalisé par Mario Bellini) ou encore Piero Stroppa ci-dessous. Le VGR a remplacé le programme VVA au passage de la décennie 1970 à celle de 1980. Avec des propositions encore plus proches de celles de Jeep, il ne fallait pas espérer que ces ex-programmes “Véhicule Alpine Vert” voient le jour. Mais avec sa prochaine A390, et plus de 40 ans après, Alpine tient enfin son crossover !

BONUS VISUEL
Confrontation des signatures lumineuses
de la prochaine Alpine A390 et de l’Alpine Alpenglow.

A suivre à partir du 27 mai prochain…

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