

Sur le papier, il y a matière à rêver : un roadster Renault biplace qui partage le concept de son toit découvrable « rotatif » avec… la Ferrari Superamerica ! Même les hommes du produit se frottent les mains puisque cette future petite Renault originale est basée sur la plateforme de la Twingo, avec un carry-over qui va abaisser le coût de développement et de production.

C’est justement parce qu’elle a sans doute trop puisé dans la Twingo II (pas la génération la plus réussie de la saga) que la Renault Wind – puisque c’est d’elle dont il s’agit – n’a pas connu le succès. A ceci s’ajoute un marché qui n’a pas été à la hauteur des ambitions et sur lequel, outre Renault, Ford avec sa StreetKa et Opel avec sa Tigra TwinTop ont également connu l’échec.

Comme toujours, difficile de juger les faits sans grimper à bord de la machine à remonter le temps. Le billet n’est pas très cher, car il suffit de se projeter 15 ans en arrière, lorsque la Renault Wind fut commercialisée. Bien sûr, vous avez choisi le billet toutes options, et vous bénéficiez donc d’un supplément temporel pour atterrir finalement au milieu des années 2000, lorsque le programme W33 est lancé.

Cela fait à peine cinq ans que la star Peugeot 206 CC a déboulé sur un marché quasi inexistant (découvrable du segment B) et a créé une belle surprise avec son toit rétractable signé Heuliez. Un projet qui traînait chez le carrossier des Deux-Sèvres depuis quelques années. Heuliez a également réalisé un spider sur la base de la Peugeot 106 en 1991, ci-dessous. Il n’a pas connu la production en série.

Mais une fois la 206 CC lancée sur le marché en 2000 – environ cinq ans avant le début du projet W33 – Peugeot multipliera ce concept à l’envi, jusqu’aux 207 CC, 307 CC, 308 CC sans omettre le programme d’un « mini CC » ci-dessous réalisé sur la base de la petite Peugeot 107. Un projet qui fut finalement abandonné.

En 2008, le design Peugeot passe des mains de Gérard Welter à celles de Jérôme Gallix qui tente, bien avant Renault, de jouer sur la corde sensible de la nostalgie positive et réincarne l’esprit de la 204 Cabriolet. Ce projet issu du programme des UD « Urban Distinctive », ne connaîtra pas la mise en production, malgré le joli travail ci-dessous effectué par le designer Samuel Guinefoleau.

Dans ce contexte, le programme W33 de la future Renault Wind semble tout à fait crédible, d’autant qu’Axel Breun qui dirige l’équipe de huit personnes concentrées sur ce projet, tente de le rapprocher de l’histoire d’Alpine. Il marque ses premières intentions esthétiques d’une ligne évoquant le profil de la petite Alpine A106 ci-dessous.

La volonté est alors d’amadouer le produit qui travaille en parallèle sur le projet W19 de la renaissance de la Berlinette (sur une base de Nissan à moteur avant, pas encore la Berlinette de 2017…) en expliquant que la future Wind est une petite sœur de cette future Renault/Nissan. Bref, le programme est lancé et qui de mieux pour en parler qu’Axel Breun ? Nous l’avons interrogé sur ce fameux projet W33.

L’histoire est d’autant plus intéressante qu’elle coïncide avec l’arrivée à la tête de Renault de Carlos Ghosn, ci-dessus à gauche. Ce dernier commence sa revue dans le studio de design par un coup de tonnerre comme nous le confie Axel. Tout ceci alors que l’équipe de Renault Sport Technologie présente au nouveau patron la maquette du projet W16 ci-dessous, un 2+2 sportif à moteur central à l’allure rehaussée, et ça ne se passe pas très bien !

« C’est l’époque où je suis nommé directeur de design pour Renault Sport, et le premier bébé dont j’ai hérité, c’était ce projet W16 (ci-dessus et ci-dessous) dont le dessin originel a été enfanté par Antony Villain (aujourd’hui directeur de design de la marque Alpine). On venait de fraiser une maquette chez Ital Design qui avait créé un petit studio de maquettage sur les hauteurs de Buc, pas très loin du Technocentre de Guyancourt. C’est le premier projet qu’on montre à Carlos Ghosn, et il l’arrête immédiatement ! »

L’entame de la collaboration entre Carlos Ghosn et les équipes de design ne pouvait pas plus mal débuter ! « C’était une grande frustration pour l’équipe de Renault Sport… On avait deux autres grands projets en chantier dans cette cellule design RST implantée dans les locaux du design à Guyancourt : le W19 de la potentielle nouvelle Berlinette et ce fameux W33 de la Twingo roadster. Pour ce dernier, il y avait à l’origine deux maquettes : celle de Félix Kilbertus ci-dessous avec un toit en toile, et celle de Yas Suzuki avec le toit rotatif. Cette dernière avec un intérieur signé Yohann Ory.»

« Ces deux maquettes réalisées à Courbevoie par D3 sont restées en concurrence, avant d’opter finalement pour le toit rotatif au détriment de la capote en toile. J’ai convaincu Patrick le Quément que ce toit était dans l’esprit des concepts novateurs qui collaient alors à l’image de Renault. Patrick le Quément avait un doute, car la maquette de Félix Kilbertus était très bien proportionnée, alors qu’avec l’implantation du toit rotatif, la maquette de Yas Suzuki avait un arrière forcément un peu plus massif. On a hésité, mais Patrick le Quément a finalement validé la proposition du toit rotatif. »

Patrick le Quément et Thierry Métroz demandent alors de modifier cette maquette, pourtant très appréciée par Axel Breun, Yas Suzuki et Fabio Filippini, afin de modifier ce regard un peu trop sensuel, voire… félin. Et donc un peu Peugeot. Elle est remplacée par la seconde maquette de couleur orange, toujours enfantée par Yas Suzuki avec Axel Breun. Elle accueille cet habitacle joliment dessiné par Yohann Ory ci-dessous. Ce dernier, alors jeune designer polyvalent, a même esquissé des propositions de style extérieur lors du jalon de choix sur dessins. On y trouvait déjà quelques esquisses avec les phares verticaux !

La seconde maquette du projet W33 ci-dessous dispose cette fois “du regard plus masculin que voulaient Patrick et Thierry” confie Axel. Cette Wind immatriculée ‘2007 DP 07’ née quelques mois après la bleue se retrouve seule lors du jalon de contrat où la mise en production doit se décider en présence de Carlos Ghosn. Une fois encore, tout ne va pas être très limpide…

« On a vu plusieurs fois Carlos Ghosn au design car la proue de la maquette a été sujette à de nombreuses modifications. Je me souviens que lors d’une n-ième modification, pour le gel de style, j’ai présenté la maquette orange devant Carlos Ghosn qui avait son air renfrogné… Ghosn m’écoute, et à un moment, il me regarde droit dans les yeux et me dit ‘’oui, je vous écoute mais ce n’est pas encore ça.’’ Alors que la maquette était pratiquement celle de l’industrialisation. Là je jongle un peu et je sauve la partie après quelques modifications ! Mais c’est un moment où la pression est vraiment forte ! »

Une pression d’autant plus présente qu’en parallèle, le programme W19 de la future Berlinette imaginée sur la plateforme d’une Nissan à moteur avant est à l’étude. Est-ce que le programme W33 de la Wind était validé par le produit ou était-il réalisé hors plan-produit, en perruque ? « Non, c’était un vrai programme demandé par Patrick Pelata. Tout le monde était enthousiaste et notamment le directeur de programme, Jacques Prost. Mais il ne fallait pas lui coller le logo d’Alpine, car dans le contexte de l’époque, il était pratiquement interdit de prononcer ce mot ! »

« Rémi Deconinck au produit était contre, et dans l’entreprise on faisait attention à ne pas trop parler d’Alpine (nous sommes au milieu des années 2000 et tout changera moins de dix ans plus tard, NDA.) Il y eut quelques soucis sur le programme de la W19 (Alpine/ Nissan) conçu concomitamment au W33 (Wind) car lors de ma présentation de la maquette, j’ai dû prononcer plus de 100 fois le mot Alpine, et Patrick le Quément me l’a gentiment fait remarquer ! Finalement, la Wind (W33) choquait moins que la Berlinette sur base Nissan (W19). Cette dernière était quand même supportée car elle concernait aussi Nissan dans l’Alliance. »

Si la W33 est devenue Wind dans la vraie vie commerciale, le projet de la berlinette W19 a été suspendu. « Elle a été pensée chez Nissan comme une petite Z, en dessous de la 350. C’était notre problème, parce que sur la W19, nous voulions raccourcir le capot avant malgré la présence du moteur, alors que chez Nissan, ils voulaient tout le contraire, un long capot ! »

Ce projet mis dans un placard, la cellule design de Renault Sport a beaucoup à faire avec les dérivés RS de la gamme Renault et les versions compétition. On se souviendra que la Mégane Trophy V6 ci-dessous est arrivée sur les pistes en 2005 dans le cadre des World Série by Renault. En même temps que le début des travaux sur la Wind !

Après l’abandon de “l’Alpine” Renault W19, la commercialisation de la Renault Wind arrive donc en 2010. Axel Breun a suivi ses résultats sur le marché où il s’en est finalement vendu à peine plus que 14.000 exemplaires contre près de 370.000 Peugeot 206 CC ! Comme pour les Ford StreetKa et Opel Twin Top, c’est un échec. Le lancement commercial est effectué alors que la direction du design Renault change avec l’arrivée de Laurens van den Acker en 2009, ci-dessous à droite. Peu après, Axel Breun prend la responsabilité de la cellule design des concept-cars, après avoir quitté son poste à RST. Il a ainsi suivi les premiers concept-cars de la fameuse « marguerite » de Laurens van den Acker. Le premier pétale de cette stratégie familiale (l’amour, les loisirs, le travail, etc.), est la DeZir de 2010, aux faux airs… d’Alpine ! Décidément.

Et ce n’était pas totalement un hasard. Dans les coulisses, l’équipe de Renault Sport travaille alors sur un dérivé roadster de ce concept DeZir pour la série : c’est le projet Z1 ci-dessous. Il est porté lui aussi assez loin puisque deux architectures techniques sont étudiées (toutes deux 100% électriques) et plusieurs maquettes sont réalisées. Sans suite, là encore.

C’est sans doute très frustrant pour les designers et tous les ingénieurs qui œuvrent sur ces projets mort-nés. Mais sans eux, ces belles histoires à raconter n’existeraient pas ! Et comme dans les films américains, il y a quand même eu un Happy End : la « vraie » renaissance de la Berlinette Alpine arrivera enfin, en 2017. Exactement dix an après le projet de la W19 qui lui doit un peu, beaucoup, passionnément… Mais de descendante à la Wind, il n’y en a pas eu. Et ce ne fut pas une surprise.
Bonus #1 : la Wind V6 moteur central !
Axel Breun est infatigable ! Pendant le développement de la W33, il dessine une version RS à moteur central. Sa logique est simple, la plateforme n’est finalement pas très éloignée de celle de la Clio et sur cette dernière, la version V6 (deux générations) a été rendue possible. Alors pourquoi pas une Wind V6 ?

D’autant qu’Axel Breun était le designer des deux générations de Clio V6. « Cette Wind V6, c’est une fantaisie de ma part. Mais techniquement, la Wind et la Clio se partagaient pratiquement la même plateforme et donc il était réaliste d’en imaginer une version à moteur central… C’était vraiment hors programme. Et puis il faut rappeler que la Clio V6 a laissé de mauvais souvenirs. Globalement, les deux Clio V6 ont été un échec commercial et cela avait laissé des traces chez Renault Sport… »
Bonus #2 : le concept-car Wind de 2004

Lorsque le concept-car Wind apparaît au salon de Genève 2004, Renault sort d’un début de la décennie 2000 assez fructueux : berline Laguna II en 2001, monospace haut de gamme Espace IV en 2002 et monospace compact Scénic II en 2003. Cela vaut pour la série. Côté concept-cars, la moisson a également été très riche avec le SUV Koleos en 2000, le coupé GT Talisman en 2001, la petite berline Ellypse en 2002 et le duo Be Bop en 2003. Pourtant, au moment où le projet Z15 – qui donnera naissance au concept-car Wind en 2004 – est lancé, une cicatrice reste encore douloureuse : celle de l’abandon du programme Z11, la fameuse réincarnation de la Berlinette (lire ici son essai : https://lignesauto.fr/?p=38875). Très clairement, nous pouvons écrire que si le projet Z11 avait vu le jour, Wind n’aurait pas existé, comme le confirme Patrick le Quément : « je crois qu’il y a beaucoup de vrai dans cette affirmation, oui… Le renouveau d’Alpine en ce début des années 2000 n’a pas fonctionné. Ce n’est pas faute d’avoir essayé ! Clairement, l’entreprise n’envisageait alors pas de relancer la marque. »

« Sachant que le projet Z11 était derrière nous » poursuit Patrick le Quément, « nous avons quand même voulu une voiture qu’on a imaginée comme étant l’objet dont avait besoin Renault. Pour nous, l’idée était de pouvoir dessiner un petit roadster abordable qui nous semblait tellement en ligne avec le besoin d’aller au-delà du véhicule purement fonctionnel, et concevoir un objet de véritable passion ! » Le design de ce petit engin, facilement appropriable, est signé Erde Tungaa qui dessinera ensuite la première génération de… Dacia Duster, et s’impliquera lourdement dans celle de 2018. A bord, on retrouve la patte de Stéphane Janin qui exprime le concept du Touch Design appliqué à un habitacle restreint, tendu de cuir. Stéphane peut compter sur le travail de Catherine Joly pour les couleurs et matières, avec la teinte extérieure « aqua-marine. »

Six ans après sa présentation, le concept-car Wind offrira son nom au cabriolet à toit rétractable réalisé sur la base de la Twingo II. Axel adore le concept Wind de 2004 mais au moment de passer le thème en grande série, il conclut que « je rêvais d’une petite sportive de type Alpine A106. Compacte, légère et innovante avec le toit rétractable. Le projet s’est heurté à un cahier des charges très contraignant qui nous imposait d’utiliser le bloc avant et la baie de pare-brise de la Twingo II. Nous avions dessiné une voiture avec un capot plus bas, un pare-brise plus incliné et elle était techniquement réalisable, mais hors budget hélas… »
Bonus #3 : Wind, l’appellation qui fâche
Si la star incontestée des petits roadsters reste la Mazda Miata née en 1989, la petite Renault n’était pas ridicule en termes de comportement routier « très bon et vraiment fun » confirme Axel Breun. « Renault Sport avait encore réaliser du bon travail et je me souviens encore des séances d’essais à Aubevoie » (pistes d’essais de Renault). Et si la Wind ne s’était pas appelée Wind, cela aura-il changé l’histoire ?

Sans doute que non, mais Axel regrette que le nom du concept-car de 2004 ait été choisi. « Oui, c’est très dommage qu’on ait choisi que le nom de ce concept dessiné par Erde Tungaa (exter) et Stéphane Janin (Inter) car il aurait fallu le mettre tel quel en production. C’était lui le concurrent de la Miata ! » Et Axel était allé plus loin en proposant pour lui le nom de RoadStar qu’il avait imaginé dès 1990 pour le concept-car de roadster Renault Laguna, ci-dessus…
Bonus #4 : Carlos Ghosn furieux !
L’un de mes excellents confrères, Bruno Thomas, a subi les foudres de Renault lorsqu’il a dévoilé la Renault Wind dans AUTOplus, bien avant sa commercialisation. Il raconte son enfer d’une longue mise en examen dans le livre « Scoops automobiles 1980-2000 : l’envers du décor » disponible ici : https://lignesautoeditions.fr/?p=1281 . En voici quelques extraits :
« L’histoire a commencé une belle matinée d’été, le 15 juillet 2008. À six heures du matin, des coups frappés à la porte m’obligent à sortir rapidement de mon lit. « Ouvrez, c’est la police ! » Face à moi, une femme et deux hommes habillés en civil demandent à entrer pour une affaire me concernant. Après leur avoir demandé leur carte de police, je leur explique qu’ils doivent se tromper, il y a trois autres Thomas dans la tour. « Vous êtes bien journaliste à AUTOplus ? » Là, l’étau se resserre car, oui, je suis le seul journaliste d’AUTOplus dans l’immeuble. Les trois policiers entrent, devant mon épouse, mes deux enfants et ma belle-mère qui, Polonaise et ne parlant pas français, se demande vraiment ce qui se passe. Mon épouse essaye de lui traduire au mieux toute l’absurdité de la situation. Dans la salle à manger de mon appartement, la policière lieutenant de Police Judiciaire, m’indique que je suis officiellement en garde à vue ! C’est comme si la foudre s’abattait sur mes épaules. Sans plus attendre, elle déplie sur la table du salon un exemplaire du magazine AUTOplus, sur lequel s’étale celle que nous appelons, la Twingo Coupé-cabriolet (Renault la commercialisera en 2010 sous le nom de Wind). « On est là pour ça ! »

J’explique que cet article date d’un an (il est paru dans le n°982 du 03 juillet 2007), la policière sans plus attendre réplique : « c’est le bébé de Carlos Ghosn, il n’a pas apprécié ! » Commence alors une éprouvante garde à vue. Perquisition du domicile, on embarque mon ordinateur, mais le plus grave est qu’on m’interdit ma prise de médicaments quotidienne contre l’hypertension. (…) Avant de me m’enfermer dans une cellule, les policiers me demandent : « Pourquoi êtes-vous là ? » Je réponds à chaque fois : « Parce que je suis journaliste. » « Ah, c’est de vous que l’on parle à la radio, à la télé ! » (…) Interrogatoires en pleine nuit, retour en cellule. Plateau-repas pour dîner, déjeuner. Passages aux toilettes, entretien avec un avocat commis d’office, auscultation par un médecin, vont meubler mon quotidien. Je ne suis jamais seul pour me déplacer, un policier m’accompagne toujours. Je suis vidé, rincé, je n’en peux plus. On me fait passer aussi devant le photographe pour prendre mon portrait : profils, pleine face. On prend mes empreintes. J’échapperais juste à l’analyse ADN, les policiers ont oublié de la pratiquer. » Bruno Thomas, alors journaliste à AUTOplus.

L’auteur tient à remercier Axel Breun, Patrick le Quément pour leur disponibilité et Bruno Thomas pour son témoignage dans le livre “Scoops automobiles 1980-2000”.

