Nous allons commencer cet entretien avec Laurens van den Acker, directeur du design Groupe Renault, avec ce que le client ne voit pas : la plateforme. Lorsqu’on découvre la CMF-EV de l’Alliance -sur laquelle repose la prochaine famille de Mégane(s) 100% électrique- on découvre une architecture à moteur électrique avant.
C’est la solution inverse de celle choisie par les architectes allemands de la MEB du groupe Volkswagen. Certes, la CMF-EV sera capable d’accueillir une machine électrique également à l’arrière, mais la majorité des silhouettes de l’Alliance qui reposeront sur ce soubassement seront donc des tractions.
Côté design, ce choix a un impact fort. Quel fut le poids du département de Laurens van den Acker dans la définition de cette CMF-EV ? Le directeur du design nous explique que « la plateforme, c’est un travail de longue haleine et cela concerne évidemment un grand nombre de futurs modèles. Le design a donc un impact dans certains choix. L’ingénierie commence d’abord par concevoir cette plateforme avec la plus petite voiture possible. C’est le cas de la Mégane eVision de seulement 4,21 m de longueur, et dans ce cas, elle a eu un grand impact sur la définition de la CMF-EV. »
Renault n’a pas voulu dessiner une berline monocorps comme Volkswagen l’a fait avec l’ID.3. Laurens van den Acker et ses équipes ont plutôt cherché à profiter de cette plateforme “pour proposer des proportions inédites. On sait qu’une voiture électrique sera plus haute que la moyenne parce qu’elle embarque ses batteries sous le plancher. On a connu ça avec la Twingo conçue sur une plateforme prévue pour accueillir une version électrique.” ci-dessous.
Avec la Mégane eVision, l’architecture profite de batteries très fines, c’est un premier point. Pour compenser le fait que les voitures électriques sont un peu plus hautes, il faut appliquer quelques astuces de style, comme des pneus de plus grande taille pour casser les proportions, ce qui ne gêne pas le rayon de braquage car le moteur EV étant plus compact, le diamètre de braquage reste excellent. L’autre possibilité mise en avant sur eVision, ce sont des porte-à-faux très courts qui, associés à un très long empattement, donnent l’impression d’une voiture basse. »
Pour autant, on peut s’étonner qu’avec cette nouvelle plateforme, la future berline Mégane dispose encore d’un capot, haut perché et très plat. Très automobile en quelque sorte. “C’est voulu » nous rassure Laurens van den Acker. “On a choisi de ne pas aller dans la voix d’un design monocorps, car même si le volume habitacle est exceptionnel, on désirait avant-tout dessiner une voiture sexy, pas un monospace ! On a choisi une silhouette qui donne envie. Je me souviens d’une réunion où l’on a présenté plusieurs designs pour cette première berline de la famille EV, et on s’est mis rapidement d’accord avec le management pour ce projet-là. »
Mégane eVision est une berline compacte du segment « C » qui embarque des codes de SUV, voire ceux d’un coupé. Luca de Meo – directeur général de Renault – ayant affirmé que la gamme Mégane de demain, 100% électrique, serait bâtie autour de plusieurs silhouettes, comment dessiner ces dernières puisque tout est déjà dans la berline !? Laurens se veut là aussi rassurant : « l’enjeu n’est pas très différent de celui de la toute première famille des Mégane au milieu des années 1990. On sait toujours adopter cette stratégie de la multiplication de silhouettes pour une même famille. On est à l’aise avec ça et même plus futés qu’à l’époque ! »
Une stratégie qui semble en opposition avec celle adoptée par tous les constructeurs aujourd’hui et qui consiste au contraire à réduire le nombre de silhouettes ! « Luca de Meo nous demande de concevoir plus de silhouettes dans le segment « C » de la Mégane, mais il nous demande du même coup d’en faire moins ailleurs ! Je pense que nous devons trouver le juste nombre de silhouettes dans notre gamme. Le constat de Luca de Meo est de dire qu’on avait trop de voitures dans les segments d’entrée de gamme et du « B », et pas assez dans le segment « C » primordial en Europe. » La Mégane thermique terminera son cycle de vie mais ne sera pas remplacée en l’état, seule la famille Mégane EV perdurera à long terme.
Luca de Meo ci-dessus, a annoncé que « l’on doit reconnecter Renault avec son histoire et ses produits iconiques » comme ce fut le cas avec la Twingo et ses (petits) gènes de R5 Turbo (ci-dessous). Bonne nouvelle ! “oui” reconnait avec ravissement Laurens van den Acker. “Il y aura à terme des véhicules qui vont puiser dans l’ADN des icônes de la marque. C’est forcément sympa pour les designers !“
Le langage formel annoncé par le show-car Mégane eVision est-il dédié aux seuls véhicules électriques de la gamme ou à l’ensemble de la gamme ? « Je serais tenté de dire qu’on va laisser un peu plus de diversité de style dans notre gamme mais franchement, c’est difficile de prédire ce qu’il va se passer avec le futur langage de formes parce que vous savez qu’il y a un nouveau chef du design Renault qui arrive à la mi-novembre ! »
Gilles Vidal (ci-dessus) prend effectivement en charge le design de la marque Renault, Alejandro Mesonero prend Dacia et Antony Villain prend en charge Alpine. Nous nous avancerons sur le nom de Patrick Lecharpy pour la quatrième entité dédiée à la e-mobilité, information officieuse, à confirmer. Gilles Vidal arrive de chez le concurrent direct, avec comme grande réussite, le 3008 de Peugeot, justement le véhicule qui semble faire défaut à Renault. Quand verra-t-on la griffe Vidal sur les Renault ? « Je vous dirais : le plus rapidement possible ! Forcément, il ne pourra pas toucher à tout ce qui est déjà dans les tuyaux de l’industrialisation. C’est le prix à payer quand vous changez d’entreprise, pendant au moins deux à trois ans. Nous avons tous connus cela lorsque nous changeons de poste. La bonne nouvelle, c’est que l’on commence à être de plus en plus rapides et je suis sûr que vous allez voir la griffe de Gilles Vidal d’ici moins de deux ans, car j’ai vraiment l’envie de lui laisser le champ libre pour qu’il développe sa patte. »
Pour les amateurs de design et donc de concept-cars, l’absence forcée ou économique des salons automobiles est plutôt une mauvaise nouvelle. Renault a-t-il coupé dans les budgets des concept-cars face à cette situation ? « Franchement, c’est vrai que sans salon, la vie d’un concept-car est plus difficile et je trouve ça extrêmement dommage, car comme vous le savez, j’aime les concept-cars… » On se souvient notamment de la période Mazda, ci-dessous !
« Oui, je me suis régalé à l’époque ! J’ai toujours aimé cet outil de communication qui montre qu’un constructeur sait rêver. Si une entreprise ne sait plus rêver, elle n’a pas d’avenir. Mais concernant la réduction des budgets, elle ne serait pas liée à l’utilité ou non des concept-cars, mais plutôt à la situation de l’industrie automobile en général et à celle de la marque en particulier, sans oublier la situation sanitaire. Quand on réalise un concept-car, il faut bien savoir quel est le message à faire passer, qu’est-ce qui suit derrière dans le plan produit. Luca de Meo ne veut pas promettre des choses qu’il ne sait pas délivrer. Cela aura un impact sur notre stratégie des concept-cars, mais ça, vous le découvrirez dans les mois à venir. »
La Mégane eVision n’est qu’une maquette et elle ne montre pas son habitacle. Est-ce dû à des délais, à la Covid ou est-ce une décision réfléchie ? « C’était planifié dès le lancement du projet. On voulait dans un premier temps annoncer nos idées pour cette manifestation eWays. Il y aura d’autres étapes de découverte de ce concept, jusqu’à la présentation de la voiture officielle en fin d’année prochaine. »
Les concept-cars ont montré différentes stratégies dans la définition des habitacles de demain : une multitude d’écrans pour certains des constructeurs (Peugeot e-Legend), moins d’écrans pour d’autres (DS ASL). Où se situe Renault ? « Je pense qu’il ne faut pas avoir de prise de position trop ferme dans ce domaine. On est toujours dans une sorte d’inflation des écrans, mais ce n’est pas une lubie des designers. C’est plutôt lié à cette volonté de communiquer de plus en plus d’informations, notamment avec les voitures dont on déléguera de plus en plus souvent la conduite.”
“Avec les voitures connectés, il y a plus de services, plus d’aides à la conduite. Et pour délivrer ces informations de façon la plus simple, c’est par le biais d’écrans. L’inflation des écrans semble incontournable mais elle ne sera pas la même pour tous. Je veux bien imaginer qu’un client Dacia aura des désirs différents du client d’Alpine ou d’un client d’Espace. Le champ est tellement large que je n’ai pas de réponse simple pour dire s’il y aura plus ou moins d’écrans demain.“
Puisque vous avez prononcé le nom d’Alpine et que cette marque a été clairement identifiée comme l’une des quatre du groupe Renault, l’équipe en charge de son design sera-t-elle développée ? « Oui, forcément car nous allons suivre cette volonté de développement de la marque et le travail de l’équipe va augmenter. » Et Laurens va même plus loin en évoquant la restructuration du groupe autour des « marques ».
« Il y a un peu plus de 500 personnes dans le monde qui travaillent pour le design du groupe Renault. Avec la réorganisation s’appuyant sur quatre marques (Renault, Dacia, Alpine et e-mobilité), c’est une nouvelle aventure où l’on travaille pour des marques différentes au sein du même studio de design. Je suis ravi de cette évolution parce c’était vraiment l’heure de ce changement. Le design voulait travailler dans cette direction mais cela n’avait pas de sens tant que l’entreprise n’était pas organisée par marques. C’est désormais le cas. »
La réorganisation matérielle des studios de design de Guyancourt, opérée en 2016 sous le nom de ‘R*Generation’, est-elle compatible avec la restructuration de Renault autour de ces quatre marques ? « Oui, justement ! On avait l’outil mais pas la stratégie qui allait avec. En 2016, on a cassé les cloisons. Je crois que j’en ai fait enlever au moins deux kilomètres à l’époque ! Avec l’arrivée de Luca, je pense que créer des équipes avec une appartenance à chaque marque et avec un responsable pour chacune d’entre elles va dynamiser le département design. L’outil est tout à fait en phase. Il lui manquait juste la pièce maitresse : cette réorganisation par marque ! »
Propos recueillis par Christophe Bonnaud lors des journées eWays. Merci à Vincent Frappreau, “presse segment A/B et Design”, et bien sûr, à Laurens van den Acker pour sa disponibilité.