Lancia revient en Europe et donc, en France avec 20 points de vente dédiés et 80 en après-vente, ces derniers communs avec ceux de DS ou Alfa-Romeo par exemple. « Lancia est aujourd’hui de retour en France. Ce pays représente beaucoup pour la marque, de par l’attrait qu’ont ses habitants pour le style et le design italiens, et de par l’importance du segment B sur ce marché. Nous avons pour ambition de faire de Lancia une marque désirable, respectée et crédible, en plaçant la France parmi les principaux marchés pour Lancia en Europe », a déclaré Luca Napolitano, PDG de la marque Lancia.
La France fait donc partie des 6 pays européens, en dehors de l’Italie, qui verront le retour de Lancia en 2024 avec l’arrivée de la nouvelle Ypsilon. Suivront la Gamma en 2026 et la Delta en 2028, ces dernières en 100% EV. Mais côté design, que s’est-il passé depuis le 16 janvier 2021 et la création du groupe Stellantis et l’annonce du retour de la marque italienne ? Pour le savoir, nous avons rencontré Frédéric Duvernier, le responsable du design extérieur de Lancia, sous la responsabilité de Jean-Pierre Ploué, patron du design de la marque italienne.
On rembobine le film et nous sommes en 2021. Vous êtes alors tatoué par les chevrons Citroën…
« Oui, j’étais alors responsable de l’avance de phase et des concept-cars. Cela faisait 17 ans que j’étais chez Citroën, où mon dernier travail était le suivi du concept-car Oli. J’ai vécu une extraordinaire période avec différents directeurs de design de la marque : Jean-Pierre Ploué (2000-2009, en haut à gauche), Thierry Métroz (2010-2012, à droite) puis Alexandre Malval (2012-2018, en bas à gauche) et Pierre Leclercq (depuis 2018). »
Vous décidez alors de participer au projet fou de relancer la marque Lancia. Que s’est-il passé à la formation de Stellantis ?
« Il faut savoir que lorsque le groupe Stellantis s’est formé en 2021, tout s’était déjà décidé en coulisses. Personnellement, quand j’ai entendu et vu ce qui se passait avec une fusion probable, j’ai fait une introspection et imaginé la suite. Spontanément, j’ai pensé à Lancia, j’avais envie d’aller vers cette marque qui n’était pourtant présente qu’en Italie. Il me semblait qu’une aventure fantastique se dessinait ! »
Un peu culotté de lâcher une marque plus que centenaire pour une autre aussi âgée mais presque disparue !
« Lancia m’a paru comme une évidence, j’ai voulu participé à cette aventure. »
Est-ce que Jean-Pierre Ploué est l’initiateur de votre venue ?
« Pour Lancia, c’est moi qui l’ai sollicité. On est allé déjeuner ensemble pour en parler et on était d’accord sur de nombreux points, notamment que Lancia était une marque fantastique. Je lui ai proposé un projet, parce que ce n’était pas seulement l’occasion de relancer une marque, c’était le moment pour expérimenter de nouvelles voies, en termes d’organisation, en termes d’équipe et de façon de travailler. »
Chez Citroën, Frédéric Duvernier dirigeait le département d’avance de phase et de concept-cars, ici avec Pierre Icard, designer du concept Ami One.
Une démarche semblable à celle d’un commando !
« Quand vous arrivez dans une équipe déjà formée, vous devez composer avec les outils, avec les méthodes, et tout ça met un certain temps à se mettre en place. Vous ne pouvez pas changer ça du jour au lendemain. En revanche, avec une feuille blanche, c’est plus excitant et efficace. »
C’était quoi le design Lancia en 2021 ?
« Il n’y avait plus qu’un seul département de couleurs et matières qui gérait la vie série de l’Ypsilon, uniquement pour l’Italie. Il n’y avait plus de studio et comme il n’y avait plus rien, pas d’équipe constituée, pas de designer, pas de modeleur, pas de responsable de gamme, j’ai saisi l’opportunité de générer l’équipe que je voulais en termes de compétences, hiérarchie et organisation »
On vous a orienté vers une équipe de designers italiens ?
« Non, pas du tout ! Vous savez que le design est un monde très cosmopolite. Au design intérieur, on a deux designers indiens et deux français. Au design extérieur aussi on a également plusieurs nationalités et c’est pareil pour les modeleurs. Depuis mars dernier, l’équipe a été complétée avec Laura Brunet, une designer couleurs et matières. On s’appuie aussi sur un support extérieur à notre équipe qui concerne les moyens de modelage. On a une équipe multiculturelle. »
Cette équipe est dédiée à Lancia ou est-elle transversale chez Stellantis ?
« Elle est Lancia et seulement Lancia. Au sein de Stellantis, chaque équipe est dédiée à une marque. Jean-Pierre Ploué est responsable du design marque, Gianni Colonello (ci-dessous) est responsable du design intérieur et moi du design extérieur. J’ai également comme adjoint Frank Saint Joanis qui est responsable de l’exécution des voitures, car il n’est pas seulement question de design et de produit. Il faut que chaque futur modèle soit réalisé avec un modelage de qualité. Pour ça, on dispose d’une équipe d’excellents modeleurs 3D. »
Le digital est la seule source de création chez vous ?
« Non, on passe toujours par l’étape de la maquette Clay réalisée en interne, car on ne soustraite pas la Clay… on l’exécute avec les talents internes gérés par l’équipe de Stéphane Strouven. En termes de design, la Clay est une plus-value pour mettre au point la qualité d’exécution. C’est un outil qui est très flexible et très rapide. »
Le langage formel annoncé par le concept-car Pu+Ra HPE rejette la ligne droite pour des volumes galbés, tout en muscle. C’est plus complexe à maîtriser ?
« C’est effectivement beaucoup plus compliqué, autant en 3D qu’en Clay, c’est un savoir-faire particulier. Pour le flanc du concept, on a passé deux semaines de ponçage intensif pour obtenir le résultat. Contrairement à ce qu’on imagine, cette simplicité du langage formel demande un travail de dingue, plusieurs semaines en numérisation 3D. La simplicité nécessite un savoir-faire exceptionnel ! »
Lancia fait partie du pôle Premium de Stellantis avec Alfa Romeo et DS. Cette dernière marque semble être votre principale concurrente en interne… Vous échangez avec l’équipe de designers DS
« Bien évidemment et c’est quelque chose de très simple, sur une base de rendez-vous mensuel, voire hebdomadaire lorsqu’il y a urgence à traiter un sujet. On se rencontre avec Thierry Métroz mais aussi avec Alejandro Mesonero-Romanos d’Alfa Romeo et leurs équipes pour s’assurer que chacun reste dans son périmètre et que l’on ne fait pas la même chose, mais c’est valable aussi pour Opel, Peugeot et toutes les marques du groupe. »
La différenciation dans le pôle Premium ne doit pas être simple, notamment avec DS si on met le côté sportif d’Alfa Romeo.
« De mon point de vue, pas plus DS qu’Alfa Romeo ! En interne, personne ne se marche sur les pieds. Nous avons des manifestes de design qui gèrent le langage de style, mais tout ce qui compte également pour chacune des marques : identité, graphisme, couleurs, territoire, etc. Vu de l’extérieur, vous vous posez sans doute des questions pour savoir comment vont s’imbriquer les produits au sein du groupe, mais pour moi, pas de doute, en termes de design, Lancia sera très différent de DS ou d’Alfa Romeo. »
En termes de produits, vous avez annoncé l’Ypsilon pour 2024, la Gamma pour 2026 et la Delta en 2028. Ces trois produits sont-ils pour vous de l’histoire ancienne ?
« L’Ypsilon est terminée et sera présentée l’an prochain. Elle reste une belle histoire ! En ce qui concerne la Gamma on est en plein dedans et on est bien avancé. Le style est pratiquement gelé à ce stade. Pour la Delta, on a avancé également sur tout ce qui concerne l’architecture. On est au stade de l’avance de phase. Elle sera sur une nouvelle plateforme et évidemment il y a des ambitions importantes sur ce modèle qui est dans doute « la » Lancia la plus attendue. On travaille d’arrache-pied pour la réussir ! »
Pourquoi la Delta arrive si tard et pas avant la Gamma ?
« Ce sont des décisions qui n’appartiennent pas au design, et sans doute pas à la marque non plus. Ce sont des décisions liées à la taille de notre groupe Stellantis et les mises en place industrielles de tous les programmes. Imaginez 14 marques, l’ensemble des sites de production, tous les plans produits, tous les véhicules qui sont programmés, tous les développements et les dépenses liées, c’est colossal comme travail. Quand vous imbriquez tout ça d’un point de vue groupe, il faut imaginer un boulier géant et chaque petite boule doit trouver sa place. Les deux ans entre chaque modèle Lancia sont très bien car on évite ainsi d’avoir un trou entre chaque lancement, c’est très important. La meilleure imbrication possible pour notre marque est bien celle qui a été définie. »
Aurez-vous des exclusivités, que ce soit en termes de plateformes, d’infotainment, etc.
« Bien sûr, même en termes de géométrie de plateforme… »
C’est-à-dire ?
« On pourra modifier quelques éléments dimensionnels, comme les voies ou empattement pour nos propres modèles, et générer des spécificités qui font que les Lancia seront spéciales. »
Y compris par rapport à DS ?
« Oui, mais aussi par rapport à Peugeot ou toutes les autres marques. C’est important, car sans générer ces spécificités, vous ne pouvez pas différencier les modèles. Il faut évidemment générer des spécificités au niveau du style, de la silhouette mais aussi au niveau de la plateforme, sans oublier l’infotainment avec notre système SALA qui sera exclusif à Lancia. »
Avec votre concept, vous sortez de l’univers des voitures hautes. Les Lancia seront donc des voitures basses ?
« Ça va dépendre des produits. On fait tout pour rester le plus bas possible, et le plus compact aussi. On ne fera pas les véhicules les plus longs de chaque segment, c’est évident »
C’est même officiel puisque la marque a annoncé 4,60 m pour la future Gamma, c’est plus court que la Peugeot 408…
« Pour Lancia, il faut être en ligne avec son histoire. Une Gamma n’était pas si généreuse en gabarit, une Delta c’était 3,70 m, c’est assez compact ! il y a ancrée dans l’ADN une certaine notion d’agilité, de légèreté et d’efficacité. Et même de sportivité. Il est trop tôt pour en parler mais évidemment que la composante de la sportivité pour Lancia ne peut pas être oubliée du jour au lendemain ! »
La première phase de la relance de la marque, ce sont ces trois produits : Ypsilon, Gamma et Delta. Vous êtes déjà dans la seconde phase ?
« Alors, non ! On crée les trois premiers véhicules et l’après, c’est… après 2028, on n’en est pas encore-là. On se concentre déjà sur la Delta, le troisième véhicule de la renaissance Lancia. On est une petite équipe et on lorgne d’abord sur l’efficacité ! »
Ces trois produits seront trois silhouettes et uniquement elles, il n’y aura pas de dérivés pour l’un ou plusieurs d’entre eux ?
« Ce qui a été annoncé, ce sont trois silhouettes uniquement, et même si on n’est pas à l’abri d’une surprise, ces trois silhouettes restent notre objectif actuel. »
Revenons à l’architecture avec le handicap de loger un pack batterie de plus de 10 cm dans le plancher. On voit qu’avec les récentes créations (notamment Scénic), ça impacte l’architecture à bord. Une contrainte ?
« Il y a les deux solutions : soit on le prend comme une contrainte, soit comme une opportunité. On a bougé d’autres organes ailleurs dans l’architecture. Ça va générer plein de surprises, notamment sur la partie planche de bord, avec de nouveaux espaces qui se libèrent. Et puis les structures de chocs sont différentes et concernent de nombreux organes comme les traverses, les boucliers, le tablier… Tout change, et ça nous offre l’opportunité de mettre des éléments ailleurs. Les architectures mutent ! »
La voiture électrique semble vous avoir fait redécouvrir l’aérodynamique !
« Ce n’est pas une redécouverte pour nous, c’est vital ! C’est comme pour l’architecture avec les batteries, c’est un terrain de jeu. On l’embrasse pour en tirer tout le potentiel et un design expressif intéressant. »
Votre concept-car se passe pourtant des fameux plans droits et verticaux que l’on trouve pratiquement partout aujourd’hui et qui améliorent l’aéro ?
« Il y a deux écoles en aéro sur une silhouette : l’école avec les arêtes vives, et l’école avec l’enroulement. On a opté pour la seconde, notamment sur cette partie arrière tout en muscles. C’est l’école que suit également Porsche avec sa 911 et ils me semblent que leur voiture est efficiente et roule vite ! Sur notre concept, vous avez de l’enroulement des filets d’air sur la partie longitudinale (en 1 ci-dessous), basse et haute, ensuite il y a la coupe franche de l’air grâce au becquet horizontal (2) et en dessous, il y a le diffuseur qui est un collecteur d’air qui réduit le SCx (3). Il faut également ajouter les roues aérodynamiques (4) avec leur flasque aéro. »
Le bonus LIGNES/auto
Le design Lancia, c’est presque un vivier d’anciens élèves de l’école Rubika ! Rubika est une école supérieure de création numérique spécialisée dans les métiers du jeu vidéo, du cinéma d’animation et du design industriel implantée sur 5 campus à Valenciennes : https://rubika-edu.com/
Si Laura Brunet, dernière arrivée au design Lancia au département des matières et couleurs est issue du groupe FCA (Fiat Chrysler Automobile) et d’une formation effectuée à l’École Polytechnique de Turin, une majorité de designers provient de l’école Rubika. Maxime Mielot en stage depuis mars, est issu de la promo 2018-2023 ; Quentin Duflos, junior designer au style intérieur, s’est également formé dans cette structure, comme Clément Lacour (design extérieur) et même Teddy Trinchero au design extérieur depuis 2021. Shreyas Dalvi, au design intérieur, ne fait pas exception à la règle.
Axel Verquin, depuis mars 2021 chez Lancia au style intérieur, a également suivi ses études à Valenciennes mais à l’institut supérieur de design. LIGNES/auto ajoute le nom de Bocsi Attila, chef designer chez Lancia depuis mai 2021, parce que l’ouvrage “Concept-cars et prototypes d’études Peugeot” (voir vidéo ci-dessus) a révélé l’un des projets secrets réalisé à l’époque chez Peugeot : un petit SUV urbain ci-dessous, dérivé d’un modèle Mitsubishi et capable de remplacer la Peugeot 1008. C’était en 2008…
Relisez l’interview de Jean-Pierre Ploué sur Lancia ICI http://lignesauto.fr/?p=27086