Situation pour le moins cocasse pour les amateurs éclairés de le petite histoire automobile. Cette année, Citroën et Renault ont tous les deux dévoilé un concept-car typé SUV conçu pour le même segment : celui des petits crossovers qui fait un tabac au niveau des ventes. Si le Renault 4EVER Trophy annonce un modèle de série (la R4 de 2025), le Citroën OLI est un manifeste exploratoire qui regorge d’idées pour les futures Citroën.
Pourquoi cocasse ? Parce qu’il y a plus de soixante ans, Renault présentait sa R4 qui fit hurler le patron de Citroën de l’époque, Pierre Bercot. Pour ce dernier, la R4 n’était qu’un plagiait de sa 2CV. Vous lirez plus bas les manuscrits du patron de Citroën prêt à intenter un procès contre la Régie Renault d’alors… Aujourd’hui, c’est la paix qui règne entre les deux constructeurs. Gilles Vidal, patron du design Renault, a beau avoir débuté sa carrière chez… Citroën, il peut croiser Pierre Leclercq, patron du design Citroën sans dévier de sa trajectoire.
Les deux hommes s’estiment forcément. 4EVER Trophy et Oli pourront donc vivre leur vie paisiblement, sans procès, car les deux n’ont pas grand-chose en commun, si ce n’est leur positionnement (4,20 m/4,16 m) sur le segment B et leur caractère de Crossover. Mais revenons à la petite histoire de la Grande Histoire automobile, et ce procès qui a failli éclater entre Citroën (Pierre Bercot) et Renault (Pierre Dreyfus) ci-dessous, suite à la présentation de la R4.
Dans son livre « Mes années aux usines Citroën » (document privé, “la pensée universelle”), le patron de Citroën de l’après-guerre, Pierre Bercot, décrit la relation détestable qu’il a eu avec son homologue de la Régie Renault, Pierre Dreyfus. Sur plus d’une vingtaine de pages, il décrit son acharnement à vouloir faire un procès pour concurrence déloyale en affirmant et détaillant par écrit les similitudes entre sa 2CV et la R4 de la Régie. Un procès qui n’eut finalement jamais lieu car, comme l’écrit Pierre Bercot, « on fit comprendre à Citroën qu’on ne plaide par contre l’État » !
« Un jour de novembre 1958, une réunion organisée par un banquier privé de la place eut lieu chez Michelin, boulevard Pereire. L’initiative avait été prise par le Président de la Régie Renault. Étaient présents, outre lui-même, les gérants de Michelin et les représentants de Citroën. (…) Le Président de la Régie demanda à Michelin de lui céder la majorité de Citroën, se faisant fort avec l’aide de l’État de payer en deux ans. La réponse fut négative, sans discussion et fermement négative. Le demandeur insista (…) et la réponse resta non. Et le Président de la Régie, au bout de sa patience, se leva en tapant du poing sur la table et conclut ainsi l’entretien : « C’est bon, j’userai de tous les moyens. »
« Il a été dit partout que la R4 était une imitation de la 2CV. (…) La liste est longue des éléments de constitution et de fabrication que Renault copia purement et simplement sur Citroën. Renault utilisant ces éléments sans que les dépenses engagées et les années d’études pour aboutir à ces résultats aient été partagées dans la charge que cela constituait pour Citroën. (…)”
“Renault a attendu que l’expérience Citroën ait donné ses résultats pour l’adopter purement et simplement et récolter le fruit de ses études. (…) Renault a été jusqu’au bout de sa mauvaise action ; il a voulu que cette copie se voie : le dessin et la forme des sièges de la R4 sont exactement les mêmes que ceux de la 2CV ; le changement de vitesses est reproduit exactement dans sa forme extérieure sur la R4. (…)”
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“Les présentations publicitaires en prospectus sont elles-mêmes identiques (voir ci-dessus). Renault au salon montre une famille prenant un déjeuner sur l’herbe, assise sur les banquettes sorties de la voiture : c’est bien l’image que Citroën avait plus d’une fois présentée elle-même à la clientèle.”
S’ensuit de la part de Pierre Bercot un long échange de lettres avec son homologue de la Régie. Une première est adressée à Billancourt en octobre 1961. Il y est fait mention des éléments communs entre la 2CV et la R4 : « (…) le bloc avant de la caisse est en tous points identique à celui de notre voiture. Ces solutions nouvelles ont été adoptées par la Régie qui n’a eu pour les trouver, aucune dépense à faire.”
“Il nous apparaît que la voiture 3-4CV de Renault est une copie, à beaucoup d’égards, de la 2CV et que la Régie Renault ne s’est pas conformée aux règles de la concurrence loyale.” En 1962, des entrevues entre les représentants de Citroën et le Ministère de l’industrie eurent lieu, sans suite probante. « La Régie Renault a profité indûment du travail et de l’expérience de la Société Citroën et du renom de ses voitures » Une deuxième puis une troisième lettre (en 1963) furent de nouveau envoyées sans plus de succès. Tout ceci a laissé l’affaire pourrir et fit naître une énorme rancœur pour Pierre Bercot envers la Régie. Ce ne fut finalement pas Renault qui goba Citroën, mais… Peugeot, en 1974.