

Le 13 juin prochain, Peugeot lèvera le voile sur la version sportive de sa 208 électrique, on imagine avec le sigle e-GTI. Ce sera à l’occasion des 24 Heures du Mans auxquels deux 9X8 participeront pour la troisième fois. Cette e-208 GTI devrait reprendre à son compte la machine EV de ses cousines Alfa-Romeo, Lancia et Abarth, avec pas moins de 280 ch. L’ancienne direction avait mis un coup d’arrêt à la lignée des sportives PSE, et notamment au développement de la e-208 PSE ci-dessous.

Avec l’arrivée d’Alain Favey à la tête de Peugeot, il semblerait que le garrot se délie peu à peu et que les sourires reviennent à la fois chez le Lion, mais aussi chez Stellantis, en attendant les premières mesures du grand manitou Antonio Filosa. La prochaine Peugeot e-208 GTI s’appuierait donc sur un sigle mythique des années 1980 pour relancer une compétition (205 GTI, Golf GTI et autre R5 Alpine Turbo) qui ravissait les amateurs de bombinettes sportives.

Le contexte a changé, et c’est désormais avec des batteries que les Peugeot e-208 GTI, VW ID2.GTI et Alpine A290 vont relancer la bagarre en mémoire de leurs aïeules. Revenons sur la naissance de la 205 GTI originelle, et pour ce faire, sur celle de la 205. Nous laisserons aux spécialistes des gallinacés (« qui de l’œuf ou de la poule est arrivé en premier ») débattre pour savoir si c’est la 205 GTI qui a emmené la 205 sur la voix de la réussite, ou si c’est la 205 qui a permis au mythe GTI de naître et de vivre le succès que l’on sait…

Comme toujours pour les belles histoires, il faut les contextualiser et changer de décor. Et se replonger à la fin des années 1970 lorsque le programme M24, qui va donner naissance à la 205 en 1983, est lancé. Les trente glorieuses viennent de s’achever dans la douleur avec une crise pétrolière qui rebat les cartes. Peugeot est à la peine avec un précédent appétit qui lui fait craindre la nausée : Simca, Chrysler Europe et puis Talbot restent dans la mémoire de tous. À vouloir engloutir ces marques ou tenter de la faire revivre pour Talbot ci-dessus, le groupe PSA né au cœur de ses années 1970, frise la correctionnelle.

On ne l’écrit pas assez souvent, mais il est un programme qui a en partie causé cette situation : le projet « J » ci-dessus. Pensé dès la fin des années 1960, il devait à la fois prendre la succession de la 404 tout en séduisant les clients d’une 304 tout juste commercialisée. C’est avec ce projet que Peugeot se lance dans l’idée de mutualisation d’une nouvelle plateforme pour différentes silhouettes sur la base de la berline « J », avec un break, un coupé, un cabriolet et même un pick-up. Pour le coupé cependant, Gérard Welter me confiait lors de la rédaction de son livre que « nous l’avions conçu directement sur la base de la 304 et non celle du projet « J ». Mais il aurait tout à fait pu s’intégrer à la famille « J » si elle avait finalement vue le jour. » L’une des trois propositions du coupé “J” de l’équipe de Gérard Welter ci-dessous.

La plateforme en question est toute nouvelle et accueille deux architectures : traction au lancement du programme (*voir à la fin de ce post) et plus tard en traction et propulsion, avec un moteur transversal ou longitudinal selon l’architecture retenue. Avec assez de moteurs pour satisfaire une clientèle la plus ample possible. Ce projet « J » a capoté après de très longues études pendant la décennie 1970.

C’est finalement une 305 ci-dessus, basée sur la plateforme légèrement modifiée de la 304, qui verra le jour en 1977. Pour cette 305, le style Peugeot tente un forcing avec plusieurs silhouettes, dont cette bicorps fastback ci-dessous, non retenue. 1977 : c’est l’année où le programme M24 de la future 205 prend forme, et c’est un an après le décès de Francis Rougé, président du directoire de Peugeot.

C’est Jean-Paul Parayre qui, en 1977 et jusqu’en 1984, va prendre la direction du groupe PSA fondé en 1974 et adoubé en 1976. C’est donc sous sa gérance que vont naître les deux produits qui vont sauver le groupe privé : la Citroën BX et la Peugeot 205. Cependant, ce projet de la 205 est lancé alors que le tiroir-caisse de Peugeot est quasiment vide…

En coulisse, dans les sphères techniques, il faut parer au plus pressé. Et c’est Citroën qu’il faut déjà sortir de l’ornière. Peugeot grince des dents… Entre 1974 et 1976, le département technique du groupe PSA travaille sur une petite Citroën, apte à couvrir le segment où la 2CV se fait vieillissante, même si elle reste toujours adulée. Ce sera la Citroën LN ci-dessous qui matérialise tout ce qu’il ne faut pas faire : tout ou presque est commun à l’extérieur, avec la caisse du coupé Peugeot 104, alors que tout ce qui est caché est différent, puisqu’on trouve sous le capot avant le bicylindre de la marque aux chevrons en lieu et place du quatre cylindres.

Il fallait faire vite car le réseau Citroën, malgré la présentation de la CX en 1974, était en attente d’une petite voiture capable de contrer la cousine 104 et surtout la Renault 5, toutes deux nées en 1972. Information notable : le groupe PSA commence donc son apprentissage de la communauté de pièces entre ses deux marques (Citroën et Peugeot) en radicalisant ses choix, plus simples avec la LN, échaudé sans doute par le cahier des charges compliqué et dispendieux du projet « J ». La maîtrise n’est toutefois pas optimale comme on le jugera lorsque la Citroën LN, pour accroître son offre sur le marché, reprendra le quatre cylindres d’origine du coupé 104. Le bloc avant avait été tellement transformé pour y placer le bicylindre que le bloc quatre cylindres ne rentrait plus ! Une blague qui n’en était pas une…

Et la 205 me direz-vous ? Et bien elle a profité de toutes ces expériences pour faire évoluer son cahier des charges qui ne prévoyait pas de « gros » moteurs dans son bloc avant. Et donc, la 205 GTI n’était pas programmée à l’origine du programme M24. Que s’est-il passé pour que le miracle de la « 205 GTI » ait finalement lieu. Gérard Welter m’a confié sur cette période des informations qui expliquent ce revirement.

La GTI, c’est donc d’abord une 205. Et cette dernière est la première Peugeot a remporter sans équivoque le duel avec le consultant Pininfarina. « Lorsque nous nous sommes retrouvés en compétition pour ce projet M24 » me disait Welter, « tout était réuni chez nous pour la première fois afin de mener une bataille victorieuse ! » Une jolie petite berline, c’est bien, mais de là à l’imaginer en sportive une année seulement après sa commercialisation, c’est impensable à l’époque…

Le regretté patron du style Peugeot me racontait alors que « l’évolution GTI, c’était un pari. D’abord celui de la trois portes avec son dessin de custode très particulier (ci-dessus, les premières recherches sur la silhouette 3 portes). Lorsqu’ils découvrirent cette variante, les commerciaux voulaient absolument disposer une décoration sur le panneau de tôle. Nous avons donc dessiné des enjoliveurs et dans l’un d’entre eux, nous avons même intégré le bouchon de la goulotte de réservoir. Cette solution n’était d’ailleurs pas simple parce qu’en industrialisation, il fallait bien aligner l’ensemble, ce n’était pas si facile ! » Voilà déjà une place pour un futur logo mythique !

« La GTI a été voulue non pas par les stylistes mais par… Sochaux. Peugeot avait besoin d’une voiture phare aux côtés des multiples déclinaisons déjà programmées (diesel notamment NDA). Nous voulions une voiture plus performante capable d’aller chercher toutes les variantes de la Golf et cette volonté était appuyée à l’époque par Bruno de Guibert qui œuvrait à Sochaux. Au style, nous avons dessiné une voiture un peu voyante avec un intérieur rouge. C’est l’équipe de Paul Bracq qui s’est occupée de l’habitacle de la GTI, avec la Golf GTI en ligne de mire. Dès sa commercialisation, ce fut un succès ! Nous avons réussi notre défi de battre la Golf, comme quoi tout est possible ! »

Pour autant, la 205 n’est pas venue spontanément car elle s’est basée à l’origine sur un cahier des charges assez classique. « Nous n’avions pas les moyens d’investir vu le contexte économique de l’entreprise. Il nous fallait tout simplement récupérer la base de la Peugeot 104. C’était catastrophique car nous nous sommes retrouvés avec un handicap majeur sur le plan de l’architecture fourni par le bureau projet. En reprenant la base de la 104, nous héritions de l’implantation de la rue de secours sous le capot moteur. » Autant dire que le futur moteur de la GTI ne pouvait absolument pas prendre place sous ce capot encombré.

Gérard Welter fut alors à l’origine d’une réunion qui a tout changé : « nous voilà en train de dessiner des voitures mal foutues à cause de cette roue de secours. La seule consolation que nous pouvions avoir, c’est que Pininfarina était parti avec le même cahier des charges, et du reste, leurs propositions butaient sur les mêmes contraintes que les nôtres. Un jour, je prends un coup de chaud – et quand Welter chauffait, les murs tremblaient ! – et je m’insurge auprès de l’ingénieur responsable du bureau projet. Je lui explique que nous ne pouvons décemment pas créer la voiture tant attendue avec une telle architecture. L’accueil a été à la hauteur de mon emportement et le dialogue fut plutôt houleux… »

« Je file alors au bureau de style et avec quelques lignes tracées au scotch noir, je dessine une silhouette sur un grand plan avec laquelle j’explique les avantages de baisser le capot en changeant la roue de secours de place. Avec cette architecture, je pouvais dessiner des lignes de glaces plus basses, obtenir des proportions bien meilleures. C’est alors que le déclic eut lieu lorsque Forichon, le patron technique est intervenu. Il venait de remplacer Boschetti et il écoutait avec attention tout ce que je démontrais avec mon plan grandeur. Et d’une seule tirade, il clôt le sujet en s’exprimant clairement : « Gérard a raison, faisons ce qu’il demande, placez-moi cette roue de secours à l’arrière ! »

Le compartiment avant dégagé, l’équipe technique modifie sensiblement l’espace sous capot en anticipant l’arrivée du moteur diesel XUD7. Ce diesel arrivera dans la gamme peu de temps après la commercialisation de la 205. Si le diesel tient sous le capot, alors le XU5J essence de 1600 cm3 et 105 ch n’aura pas de mal à s’y loger ! Voilà la version GTI rendue possible grâce à l’implantation de la roue de secours repoussée à l’arrière. Hallelujah !

Le 13 juin, si vous (re)voyez le sigle GTI sur une lointaine descendante de la 205 GTI de 1984, n’oubliez pas que cette dernière n’est pas née en un jour. Elle est issue d’une diabolique genèse qui a pris les bonnes directions grâce à des hommes courageux (Welter, Forichon, De Guibert et Boillot notamment) alors que la pression était maximale sur les épaules des responsables du projet M24 et sur celles de la direction du groupe PSA. Pour la prochaine e-208 GTI (si telle est son appellation…), ces mêmes décisions stratégiques ont été sabordées pendant de longs mois, avant de renaître avec l’arrivée du nouveau boss de la marque qui a su puiser dans les études préalablement réalisées par les équipes Peugeot. Rien que pour ça, on leur dit merci !

BONUS : la 205 Dodge de Paul Bracq
La 205 GTI doit également beaucoup à Paul Bracq et son équipe de design intérieur : la couleur rouge, bien sûr, mais aussi ce bloc d’instrumentation inauguré sur la 305 Phase 2, très compact et moderne. Paul Bracq a cependant été bien plus que le patron du design intérieur de Peugeot.

Bracq a goûté au style extérieur pour un programme assez original. Alors que la 205 n’est pas encore commercialisée, Paul Bracq prend en charge un projet surprenant. « En même temps que mon travail de directeur du style intérieur, j’étais responsable d’un programme Peugeot-Chrysler aux États-Unis. Ce dernier est alors basé sur la 205. »

« J’allais donc régulièrement à Détroit pour concevoir une Dodge sur la base de cette future Peugeot. Il fallait mixer le style américain et le style européen tout en conservant des éléments communs avec la 205. Nous sommes alors en 1981 et le projet n’aboutira pas… » Il est vrai que cette Dodge a pris de l’ampleur et s’éloigne considérablement de la 205 d’origine. Paul Bracq participe par ailleurs à l’éclat de chacun des concept-cars dont il s’est occupé, comme la Quasar de 1984 avec son intérieur rouge, l’Oxia de 1988 avec son habitacle bleu, sans oublier bien sûr l’extraordinaire Proxima de 1986 qui conjugue les deux teintes à bord. Paul Bracq et Gérard Welter, aux caractères antinomiques, ont pourtant vécu une parfaite complémentarité tout au long des 20 ans de leur cohabitation.
BONUS : le projet « J »

L’épopée du projet « J » est détaillée par notre confrère Gilles Colboc, l’un des rares connaisseurs de cette Peugeot peu connue, dans l’ouvrage « Concept-cars et prototypes d’études Peugeot » aux Éditions BJB. En voici la synthèse : la première lettre d’intention date d’octobre 1969. Il est question d’une voiture de 4,30 m de longueur, traction avant et ambitieuse puisque c’est une 9 CV. En mars 1971, le cahier des charges évolue vers une berline 8 et 10 CV et l’architecture technique ajoute la propulsion (10 CV) aux versions traction (8CV).

Le projet se complexifie. En février 1972, le programme ambitionne avec ses différentes carrosseries et architectures techniques de combler à lui seul le trou dans la gamme entre la 104 et la 504 ! On y trouve une berline (J18 puis J23), un coupé (J20) qui connait deux études – un modèle compact de 4 m et un grand pour aller chercher les Ford Capri et Opel Manta de 4,30 m -, un cabriolet et un break (J21 puis J24) et même un plateau pick-up (J25). Les moteurs sont à carburateur et/ou à injection et la boîte est mécanique ou automatique. Le projet devient tentaculaire, trop coûteux et est finalement abandonné après près de 10 années d’études !

Revivez la genèse de la Peugeot 208 ici : https://lignesauto.fr/?p=13862
