Nous avons rencontré François Leboine, responsable du design de la cellule concept-cars, quelques jours avant l’annonce de l’annulation du salon de Genève où devait être dévoilé Morphoz. Découvrons avec lui ce concept qui a une certaine allonge !
Morphoz est une berline compacte de 4,40 m disposant de 400 kilomètres d’autonomie (c’est un véhicule 100 % électrique basée sur la nouvelle plateforme CMF/EV de l’Alliance). Sa particularité est de s’agrandir de 20 cm à l’avant et autant à l’arrière. A l’avant, elle peut recevoir un pack de batteries supplémentaires en passant sur une station dédiée. Son autonomie grimpe alors à 700 km est sa longueur à 4,80 m. Concept surprenant !
LIGNES/auto : Vous travailliez jusqu’alors pour les produits de série et vous voilà désormais aux commandes du “design concept-cars de Renault.” Un autre métier ?
François Leboine : “Non, ça reste le même métier, celui de créer des concepts les plus beaux possibles qui racontent les histoires les plus intéressantes possibles. Ce qui change avec la série, c’est la pureté du design qu’on pousse jusqu’au bout parce qu’on échappe aux contraintes et aux compromis industriels. C’est tout le plaisir du concept, d’une histoire qu’on raconte avec un design qui n’est pas dans le compromis parce que le concept-car, c’est tout sauf un compromis !”
Morphoz est le quatrième pétale de la seconde marguerite voulue par Laurens van den Acker, le patron du design Renault (ci-dessous). Le résultat est moins froid que les 3 concepts EZ (EZ-Go, EZ-Pro et EZ-Ultimo) ?
F.L. : “Ce pétale n’est pas comme celui de la famille EZ avec ses notions de service, mais il s’appuie sur une approche raisonnée de l’automobile, où finalement on se pose la question du besoin, du nécessaire et de la capacité à s’adapter.”
Quel était le briefe de départ de ce projet Z36 ?
F.L. : “On est parti de cette idée explorant la famille avec un véhicule qui soit dans l’animalité, avec une grande capacité à s’adapter à nos usages, le tout dans un environnement qui évolue. Ce concept est finalement cohérent avec un futur où il doit s’adapter à notre environnement.”
” L’idée de départ vient d’une réflexion sur l’usage, la famille contemporaine et comment gérer la géométrie variable de ces nouvelles familles. Alors on a fait la voiture qui va avec, à… géométrie variable.”
Quel a été le travail le plus complexe au niveau du dessin que l’on doit à Marco Brunori ?
F.L. : ” Le point le plus compliqué, c’est bien sûr l’agrandissement de la voiture, car il fallait que les gens la trouve aussi belle compacte que longue.”
C’est finalement une familiale et elle n’est pas monospace ! Pour le créateur du monospace compact, c’est étonnant. Que s’est-il passé ?
F.L. : “Oh, il ne s’est rien passé du tout ! On s’est mis en adéquation avec les envies de notre époque. On n’écrit pas les mêmes histoires avec les mêmes réponses et les mêmes objets. Ici, il est intéressant de jouer avec l’agrandissement de la voiture – et donc de son habitacle – mais aussi avec un espace technique qui s’agrandit avec la vocation d’aller plus loin…”
La faculté de changer de dimensions est assez surprenante ?
F.L. : “Dans notre réflexion, la voiture intelligente ne l’est pas forcément parce qu’elle sait s’agrandir pour offrir plus d’autonomie, mais aussi et surtout par ce qu’elle sait rétrécir pour son usage quotidien. Un usage qui représente parfois jusqu’à 80% de son utilisation.”
Finalement, on revient aux codes automobiles avec ce long capot !
F.L. : “Cette voiture s’agrandit et alors on peut jouer avec les codes automobiles. Par exemple le long capot en version Travel n’exprime plus la puissance, mais la possibilité d’aller plus loin grâce à son complément de batterie. C’est ça, la vraie modernité.”
Cette berline me fait penser au concept-car Symbioz de 2017. Elles ont des points en commun ?
F.L. : “Leurs univers sont parallèles et cohérents. On n’allait pas concevoir le contraire de SymbioZ trois ans après ! Les évolutions sont dans la continuité avec le partage intérieur pour mieux inciter les passagers à communiquer. L’habitat rentre dans nos intérieurs et MorphoZ pourrait tout à fait entrer dans la maison connectée conçue au moment de SymbioZ.”
Quelle est la différence entre ces deux concept-cars ?
F.L. : “Depuis SymbioZ, on est passé dans un univers où l’automobile fait partie d’un nouvel écosystème. Elle est intégrée à un univers plus global et elle s’inscrit aussi bien dans les espaces urbains que dans l’idée du long voyage, grâce à une plateforme qui se transforme, évolue spécifiquement selon nos besoins. Au-delà de cette voiture, on réfléchit à d’autres partages que celui entre les occupants. Par exemple, la station d’échange de pack batteries évoque bien sûr le partage de l’énergie, mais demain, elle pourra également redistribuer cette énergie pour éclairer une rue, recharger une station de vélos électriques, etc. Cette plateforme de stockage d’énergie va être connectée avec notre environnement et nos infrastructures. »
Les proportions évoluent entre les deux versions courte et longue. Comment avez-vous déterminé les longueurs des deux silhouettes en une ?
F.L. : “Dans notre réflexion, on voulait gérer l’agrandissement pour évoluer d’un segment à l’autre, c’est-à-dire croître d’environ 40 centimètres. On a basculé dans d’autres codes pour imposer cette histoire autour de la capacité de la voiture à s’adapter pour des distances et usages différents.”
En termes d’identité de design, quel a été le briefe ?
F.L. : “Nous voulions évoluer naturellement avec un design composé de volumes sensuels sur lesquels on appose des surface précises, extrêmement acérées, pour concrétiser la technicité de la voiture. Les détails racontent l’ère de l’électrification. On est sur la génération 2.0 de l’électrique chez Renault. Partout dans les zones de transitions, on a joué avec des lignes qui vibrent, une sorte de vibration cinétique qui amplifie l’effet de translation et d’adaptation de la voiture.”
Propos recueillis par Christophe Bonnaud.
L’auteur publie aux Editions BJB un ouvrage de 356 pages sur l’histoire du style Renault : “Concept-cars et prototypes d’études Renault” ci-dessous à paraître début avril. Vous pouvez encore le précommander à un prix préférentiel sur ce site : http://lignesauto.fr/?p=15225 De nombreux documents inédits et des projets avortés (notamment Alpine) sont révélés dans ce livre, deuxième Tome de la collection après celui dédié à Citroën (encore disponible ici : https://www.bjbeditions.com/products/concept-cars-et-prototypes-detudes-citroen)